Entrer dans un texte : l’ironie, arme des Lumières

, par BELTRANDO Béatrice

Cet article renvoie à des programmes qui ne sont plus d’actualité ; néanmoins, la démarche pédagogique évoquée conserve tout son intérêt.

travail proposé par Béatrice Beltrando

Il s’agit ici de faire entrer les élèves dans « un projet esthétique » et de prendre conscience des compétences requises pour la lecture de textes. Ce travail constitue l’introduction d’une séquence intitulée « L’ironie, arme des Lumières ».

Etape 1 : Travail préalable

Visite guidée (questionnaire) de l’exposition virtuelle de la BNF sur les Lumières.

Etape 2 : Lecture du texte de Montesquieu, De l’esclavage des nègres.

Le texte est lu par le professeur, le questionnement se fait à l’oral.
 > « Montesquieu défend-il l’esclavage ? » (+ jusification(s) + éventuellement explicitation et classement des arguments économiques, historiques, religieux, politiques…)
 > Définition en commun de l’ironie : prise en charge d’un discours par un locuteur de manière à discréditer ce discours aux yeux du lecteur. Problème : le lecteur doit être compétent / le texte doit porter les marques de ce discrédit.

De l’esclavage des nègres
Si j’avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais :
Les peuples d’Europe ayant exterminé ceux de l’Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l’Afrique, pour s’en servir à défricher tant de terres.
Le sucre serait trop cher, si l’on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves.
Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé qu’il est presque impossible de les plaindre.
On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir.
Il est si naturel de penser que c’est la couleur qui constitue l’essence de l’humanité, que les peuples d’Asie, qui font des eunuques, privent toujours les noirs du rapport qu’ils ont avec nous d’une façon plus marquée.
On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui, chez les Egyptiens, les meilleurs philosophes du monde, étaient d’une si grande conséquence, qu’ils faisaient mourir tous les hommes roux qui leur tombaient entre les mains.
Une preuve que les nègres n’ont pas le sens commun, c’est qu’ils font plus de cas d’un collier de verre que de l’or, qui, chez des nations policées, est d’une si grande conséquence.
Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes ; parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens.
De petits esprits exagèrent trop l’injustice que l’on fait aux Africains. Car, si elle était telle qu’ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d’Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d’en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié ?
.............................................................Montesquieu, L’Esprit des Lois, livre XV, chapitre V

Etape 3 : Réécriture du texte :

Les élèves éprouvent la difficulté de ce registre : écrire des monstruosités tout en les dénonçant comme telles. L’exercice est intéressant car les élèves réduisent souvent l’ironie à l’antiphrase : Pas d’antiphrase ici mais un discours outré, violent, insoutenable. Des rapports de cause à effet pervertis.
Pistes données aux élèves :
 Si j’avais à soutenir le droit que nous avons de faire la guerre aux autres peuples….
 Si j’avais à soutenir le droit que nous avons de faire travailler les enfants…

Etape 4 : Lecture chorale du texte (groupes de 5).

=> Les élèves sentent que l’argumentation est disloquée, décousue et péremptoire. Leur lecture en rend compte et ils en prennent conscience en explicitant leur choix.

Etape 5 : reprise des éléments précédents pour construire une lecture du texte et problématiser la séquence.

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