Pour une introduction à la Renaissance : la modification des mentalités à travers la représentation de la mort

, par BERNOLLE Marie-Anne, Chargée de mission pour l’Inspection de Lettres

Présentation

Cette analyse des évolutions de la représentation de la mort du Moyen-Age aux débuts de la Renaissance peut servir d’introduction à une étude de la Renaissance. Elle peut s’inscrire dans une séquence construite à partir d’un groupement de textes proposés dans le florilège rubrique 251

Ces travaux s’appuient sur un diaporama Powerpoint présenté aux élèves.

Diaporama : la représentation de la mort

Il s’agit pour le professeur de faire découvrir aux élèves, par les commentaires d’images, l’évolution des mentalités qui ouvrent l’époque de la Renaissance. Par le biais de cette analyse, l’élève percevra mieux les bouleversements que cette époque connaît par rapport au Moyen-Age, étudié en histoire en classe de 2nde, mais sera également à même de voir les transitions subtiles qui permettent l’éclosion du mouvement humaniste. On a en effet trop tendance à voir dans la Renaissance une rupture radicale avec le Moyen-Age, conséquence des analyses qu’en ont fait les historiens du XIXème siècle, pour lesquels le Moyen-Age n’apparaît que comme une période obscure. Au XVIème siècle, la transition est beaucoup plus subtile.

Du XIIème au XVème siècle, la modification du rapport à la mort telle qu’elle transparaît dans la représentation qui en est faite dans la peinture, la sculpture et la littérature atteste de la modification progressive des mentalités.

 DIAPOSITIVE 1 : Représentation de la mort

L’appréhension de la mort jusqu’au XIIème siècle : une mort acceptée

La mort est attendue, comme l’attestent les chansons de geste et les romans médiévaux les plus anciens.

La mort fait l’objet d’une annonce

Que le chevalier ait des pressentiments qui relèvent de la conviction intime ou qu’il ait eu des signes naturels annonciateurs, il est averti, sinon lorsqu’il s’agit de mort subite, par nature exceptionnelle.

Gauvain annonce sa propre mort : « Sachez, dit Gauvain, que je ne vivrai pas deux jours. » (La mort d’Arthus, Les romans de la table ronde, Paris, Boumenger, 1941, p.443, éd. Abrégée, cité par Ariès O.C.)

« Le roi ban a fait une mauvaise chute. Quand il revint à lui, il s’aperçut que le sang vermeil lui sortait de la bouche, du nez, des oreilles. Il regarda le ciel et il prononça comme il put [...] « Ha sire Dieu, secourez-moi, car je vois et je sais que ma fin est arrivée. Je vois et je sais. » (Les enfances de Lancelot du Lac, ibid., p.124.)

A Ronceveaux, Roland « sent que la mort le prend tout. Dans sa tête, elle descend vers le cœur ». Il « sent que son temps est fini » (La chanson de Roland, Paris, Bédier, 1922)

Tristan « sentit que sa vie se perdait, il comprit qu’il allait mourir » (Le Roman de Tristan et Iseult, Paris, Bédier, 1946, p. 233.)

La mort est chose toute simple

La mort est naturelle. Elle est naturelle. Elle est ritualisée certes, dans un cadre religieux et social qui fixe les conditions de ce départ. Mais sans dramatisation, sans émotion excessive.

En rend compte la manière dont le mort est représenté, et la manière dont cette représentation évolue. On peut analyser en particulier les statues représentant des morts.

 DIAPOSITIVE 2 : un orant, Louis XI. Le mort représenté les bras étendus dans l’attitude de l’orant dans le christianisme primitif renvoie à l’idée d’une mort ritualisée, comprise dans un cadre religieux.

 DIAPOSITIVE 3 : un gisant, Jeanne de Carmentran. Les gisants, représentation du mort à partir du XIIème siècle. Le gisant est comme une matérialisation de l’attente de la mort, une fois le rituel social et religieux associé à la mort accomplie.

La mort est chose familière

Dans l’Antiquité, le monde des morts et le monde des vivants sont fortement séparés, les morts sont enfouis, cachés éloignés. On peut se reporter à la Loi des XII tables qui stipule qu’il est interdit d’enterrer les mort in urbe : le cadavre était profanation.

Dans les temps médiévaux, le mort a fait son entrée dans la cité. Plus exactement, c’est la cité qui est venue s’installer auprès des morts. Et ce en quelques étapes :
 étape 1 : construction de basiliques sur les lieux de cultes des martyrs et des saints ; les chrétiens se sont fait enterrer autour de ces basiliques pour s’associer aux martyrs dans la communion de la sépulture.
 étape 2 : construction de faubourgs sur ces aires extra-urbaines. Le peuple a vécu dans le voisinage des morts : fêtes, jeux et échoppes trouvant cité à l’ombre des sépultures.
 étape 3 : plus de distinction entre les faubourgs où on enterrait ad sanctos parce que extra urbem et la cité même interdite à la sépulture : les morts ont fait leur entrée dans les cathédrales puis ont pris place autour des églises au cœur de la cité.

 DIAPOSITIVE 4 : Un gisant de la Basilique de Saint-Denis, Pépin Le Bref et Berthe au grand pied. Ces gisants nous montrent bien que les morts font leur entrée dans les cathédrales.

A partir du XIIème siècle, Le cimetière se présente désormais comme une cour rectangulaire adossée à l’église qui en fait un des quatre côtés ; les trois autres côtes sont bordés d’arcades ou charniers décorés d’ossuaires, de crânes et de membres. Et cet espace était aussi refuge et asile. Et des maisons furent construites dans ces espaces. Le cimetière des Saints-Innocents peut en être un exemple.

 DIAPOSITIVE 5 : Cimetière des Saints-Innocents

Ainsi, le spectacle des morts n’impressionnait pas les vivants, pas plus que l’idée de leur propre mort. Le mort et par suite la mort leur étaient familiers.

La mort à l’apogée du gothique

A partir du XIIème siècle se font jour des attitudes nouvelles, comme imperceptiblement, qui modifient à terme le rapport que l’homme entretient, et a entretenu jusqu’ici avec la mort.

Les représentations antérieures de la mort, acceptée et familière

Jusque là, la mort est vécue comme un phénomène social, vécu et accepté collectivement comme la destinée naturelle de l’espèce : la familiarité avec la mort est une forme de l’acceptation de l’ordre de la nature, acceptation à la fois naïve dans la vie quotidienne. L’homme subissait dans la mort l’une des grandes lois de l’espèce et il ne songeait ni à s’y dérober ni à l’exalter.

Si on s’appuie sur les sarcophages du VIème siècle, sont liés à la mort :
 la gloire du Christ : on le retrouve ensuite dans les figurations de Dieu en majesté
 le motif apocalyptique
 l’idée de la résurrection des morts : la mort est alors ce temps d’endormissement dans l’attente de la résurrection des morts.

De nouveaux modes de représentation de la mort

A partir du XIIème siècle apparaissent des modes nouveaux de représentation liés à la thématique de la mort.

Le jugement dernier

Au XIIème siècle, apparaît l’idée et la représentation du jugement dernier. Pour l’analyser, on peut s’appuyer sur le tympan de l’église Sainte-Foy de Conques, commencée entre 1041 et 1052 et terminée au cours du premier quart du XIIème siècle.

 DIAPOSTIVE 6 : Le thème du jugement dernier
 DIAPOSITIVE 7 : Conques, l’église Sainte-Foy
 DIAPOSITIVE 8 : Le tympan de l’église Sainte-Foy : présentation générale du tympan qui représente la scène du jugement dernier.
 DIAPOSITIVE 9 : Le Christ en majesté
 DIAPOSTIVIE 10 : Les justes et les damnés : motif de la séparation des justes et des damnés, pèsement des âmes par l’archange saint Michel.

La cour de justice du jugement dernier

Au XIIIème, c’est une véritable cour de justice qui est représentée.
 Au pèsement des âmes s’ajoute l’intercession de la vierge Marie et de Saint Jean.
 L’homme est jugé pour le bilan de sa vie : il a donc dans sa mort et devant la mort une responsabilité individuelle. Mourir n’est plus un acte social relevant de la fin naturelle de l’espèce, mais un moment dont l’issue dépend de l’attitude de chacun dans la vie.

On peut analyser cette représentation en s’appuyant sur le portail de la cathédrale Notre-Dame d’Amiens, construite entre 1220 et 1270.

 DIAPOSITIVE 11 : Amiens, la cathédrale Notre-Dame
 DIAPOSTIVE 12 : Le portail central et la représentation du jugement dernier
 DIAPOSTIVE 13 : Au registre inférieur, les ressuscités sortent de leur tombeau au son de l’olifant ; au milieu, Saint Michel et sa balance
 DIAPOSTIVIE 14 : Au registre intermédiaire, les damnés sont séparés des élus et ils se dirigent vers la gueule d’un Léviathan
 DIAPOSITIVE 15 : Au registre supérieur, le Christ sur son trône, les mains levées, la Vierge, Saint Jean et des anges qui portent les instruments de la Passion

Le liber vitae

Le liber vitae souvent représenté dans ces scènes funèbres a changé de fonction :
 Il a été le livre cosmique, recensement de l’univers,
 Il est devenu le livre des comptes individuels.

Cette modification des représentations peut se lire dans la fresque de l’abside de la cathédrale d’Albi.

 DIAPOSTIVE 16 : la fresque de l’abside de la cathédrale Sainte-Cécile à Albi. Sur cette fresque, fin XVeme début XVIeme siècle, les ressuscités portent le livre à leur cou comme pour le présenter aux portes de l’éternité.

L’individu a désormais dans sa mort une responsabilité qui confère à celle-ci une coloration tragique, mais atténuée tant que le jugement est encore relégué à la fin des temps.

Le tribunal et la chambre des morts

S’ajoute à cela que, dans l’iconographie, peu à peu, le temps du jugement n’est plus placé à la fin des temps, mais le tribunal se tient dans la chambre même des morts.

Il ne s’agit pas encore du jugement dernier à proprement dit, mais pour ainsi dire d’une préfiguration allégorique sous la forme de l’affrontement entre les intercesseurs (Vierge Marie, Saint Jean) et Satan. Se développe ainsi une religion de l’intercession qui sera dénoncée par les thèses protestantes.

C’est certes à un premier niveau d’interprétation la représentation de la lutte cosmique entre le bien et le mal. Mais à un deuxième niveau, individuel celui-là, il s’agit pour le mourant de l’épreuve ultime : à la lumière de la lecture du livre de sa vie. Ce qui se voit dans les illustrations de l’ ars moriendi ouvrage sorti des presses à la fin du XVème et gravures sur bois datant du XVème et XVIème siècle.

 DIAPOSITIVE 17 : Ars moriendi, gravure de 1470
 DIAPOSITIVE 18 : Ars moriendi, gravure de 1470, détails
 DIAPOSITIVE 19 : Ars moriendi, gravure du XVème siècle

Le motif du cadavre

Autre modification, le motif du cadavre, de la « charogne » du « transi ». Il apparaît, mais non de manière uniforme. La mort comme objet d’horreur n’est pas encore représentation commune, autant qu’on puisse en juger. Et ce motif est encore rare dans l’art funéraire proprement dit. Mais, on le trouve en revanche de façon omniprésente :
 dans le motif de la Danse des morts en décoration pariétale dans les églises et dans les cimetières : voir la danse macabre de La Chaise Dieu
 dans les illustrations de l’office des morts dans les manuscrits du XVème siècle
 dans la littérature, très particulièrement dans la poésie du XVème et du XVIème siècles.

Cette horreur de la mort qui s’exprime à travers la représentation du cadavre en décomposition est un thème lié certes à celui de la mort, mais également à celui de la vieillesse et de la maladie. Il faut y voir là en même temps une manifestation de l’amour de la vie. Ainsi Philippe Ariès écrit : « La décomposition est le signe de l’échec de l’homme, et c’est là sans doute le sens profond du macabre, qui en fait un phénomène nouveau et original. »

Sont ainsi liées une conscience profonde que l’homme est un mort en sursis et que la mort est déjà là en dedans de lui et parallèlement et, une passion dévorante pour la vie qui passe par un attachement comme viscéral aux moralia soit aux choses, hommes, animaux qui l’entourent.

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