Le parcours de Breton jusqu’à la naissance de Nadja

, par BERNOLLE Marie-Anne, Chargée de mission pour l’Inspection de Lettres


Cette présentation a été réalisée à partir de la monographie de Mark Polizzotti, André Breton, 1995, trad. fr 1999, Gallimard, 842 p.


Enfance et formation

Origines familiales

L’ambiguïté relative à la date de naissance de Breton est emblématique du personnage. Il est né le 19 Février 1896, à Tinchebray (Orne), de Louis Breton, gendarme, et Marguerite Le Gouguès, couturière de formation, mais sans profession.

Cependant, il revendiquera plus tard la date du 18 Février, et c’est la date qu’il adoptera définitivement en 1934. Le choix de cette date du 18 a deux explications : c’est la date de naissance de Manon, cousine maternelle de Breton, et qui l’initia selon ses propres dires au mélange troublant de « séduction et de peur » ; une analyse astrologique - Breton découvre l’astrologie dans les années 20 - fait apparaître des « liens » entre lui et des auteurs qu’il admire, Rimbaud, Nerval, Fourier.

Cette double date de naissance est révélatrice du mystère que Breton a voulu laisser planer sur ses origines, sur son enfance, et emblématique de sa volonté de retravailler le réel.

De ses parents, on retiendra deux figures contradictoires :

 un père, Louis, affable et sans ambition, professant son athéïsme, ne comprenant pas toujours, lorsqu’il sera adulte, les choix de son fils, mais fier de sa notoriété ;

 une mère dominatrice et froide, dans laquelle Breton voudra voir une égale de Folcoche, pieuse et pleine d’ambition, pour laquelle « le chemin de l’Eglise et celui de la respectabilité sociale ne font qu’un » (p.11). Les conflits avec cette mère qu’il décrira comme « autoritaire, mesquine, malveillante, soucieuse d’insertion et de réussites sociales [1] ont envahi toute la vie de Breton.

Autre élément qui aura de l’influence sur ce que sera Breton, ses origines bretonnes, partiellement du côté de son père, et entièrement du côté de sa mère. Les moments privilégiés de son enfance sont du reste attachés à ses grands-parents maternels, chez qui il vécut, en Bretagne, à l’âge de trois, quatre ans.

En dehors de ces moments privilégiés, Breton garde de
son enfance le souvenir d’un temps triste et sombre ; et une des motivations de l’aventure surréaliste, ce sera de retrouver les émerveillements, l’insolence, l’absence de toute rigueur connue » [2], caractéristiques de l’enfance, du moins telle qu’il s’est imaginé l’enfance dont il pense avoir été frustré.

Formation

Breton fréquente successivement :

1900-1902 : la Maison Sainte-Elisabeth, pour l’école maternelle

1902-1907 : l’école communale de Pantin

1907-1913 : le collège Chaptal

Les études de Breton seront marquées dans un premier temps par l’avalanche des prix d’honneur, premiers prix et autres récompenses, dans toutes les matières.
Progressivement, cependant, à partir du collège, apparaîtront quelques remarques relatives à un comportement dissipé.

A partir de la seconde, sous l’influence de Fraenkel, qui sert de catalyseur à un ennui trop longtemps réprimé, Breton commence à délaisser les matières qui l’intéressent moins et laisse éclater son intérêt pour la poésie.

Pendant son enfance et son adolescence solitaires, Breton se réfugie dans la lecture, interdite du reste par sa mère car jugée frivole, ce qui lui donne par suite le charme de l’interdit auquel Breton s’adonne la nuit, en cachette. Passionné d’aventures exotiques dans l’enfance, il se laisse ensuite séduire par la poésie symboliste ; étudiant l’allemand en classe, il se laisse séduire peu à peu par la littérature et la pensée allemandes, notamment les romantiques allemands qui constitueront une des pierres angulaires du surréalisme. Il sera particulièrement sensible à la pensée de Hegel pour lequel « le trait essentiel de l’esprit est la Liberté ».

Sa mère doit se résigner à ne pas voir son fils entrer en classe préparatoire et accepter le choix par défaut de son inscription en médecine.

Eveil d’une conscience : le temps des premières rencontres

Les premiers enthousiasmes de Breton et Fraenkel, en 1912 pendant leur année de philosophie à Chaptal, sont pour Jules Bonnot et sa bande. Ils veulent voir en eux « la plus belle expression de la révolte individuelle » [3]. Cela détermine chez Breton une admiration confuse pour l’anarchisme, plus proche du sentiment esthétique que de la conviction politique.
C’est de la même manière qu’il s’intéresse un peu plus tard à la presse anarchiste : Le Libertaire, l’Anarchie, Action de l’art. Trouvera un écho particulier chez lui l’idée que l’artiste « est son oeuvre même », que « l’art est la révolte au sens le plus élevé » [4]. Cela s’oppose à l’idée des décadents de la fin du siècle d’un art pour l’art et donne à Breton l’idée qu’art et vie doivent être liés.

Il a en cela d’illustres prédécesseurs, Hugo pour n’en nommer qu’un, qui ont associé poésie et engagement. Ce n’est encore qu’à l’état d’intuition chez Breton, mais il sent que l’art peut être une arme révolutionnaire.
Il fonde avec Fraenkel et un autre camarade, Etienne Boltanski, le premier de ses cercles intellectuels le Club des sophistes. Ce sont déjà des réunions très privées, les adhérents sont choisis, et Breton y règne en maître, en faisant montre d’une autorité distante qui annonce le style des réunions surréalistes ultérieures.

C’est le temps de toutes les innovations ; le monde connaît une mutation sans précédent. S’impose l’idée de l’existence de l’inconscient : Bergson, dans Matière et mémoire (1896) met en avant le rôle de l’intuition ; Pierre Janet, en 1889, a fait paraître l’Automatisme psychologique et avec Freud commence en 1896 l’aventure de la psychanalyse.

En art, après la révolution impressionniste, c’est la révolution cubiste. Alfred Jarry, en 1896, fait sensation et scandale lors de la première d’ Ubu Roi .
L’année 1913 est en cela emblématique : « La seule année 1913 voit la publication de La prose du transsibérien de Blaise Cendrars, (...) la création du Sacre du printemps de Stravinski et les premiers »tableaux métaphysiques« de Giorgio De Chirico. Picasso et Braque conçoivent le cubisme analytique et Wassily Kandinsky peint ses premières grandes abstractions. Einstein dévoile la théorie générale de la relativité, Husserl le concept de phénoménologie(...). Proust publie Du côté de chez Swann, alors que Kafka donne Le Procès, Gide Les caves du Vatican (...) » (p.25).

Outre-atlantique, à l’Exposition internationale d’art moderne sont exposés Matisse, Derain, Vlaminck, Dufy, Picasso, Braque, Léger et Delaunay ; y participent également Francis Picabia et Marcel Duchamp.

Dès 1912, Breton commence à s’intéresser aux arts primitifs ; il se procure avec l’argent d’un prix d’honneur une petite statuette de l’île de Pâques. D’abord intéressé par le futurisme et le cubisme, il prend vite du recul, et se laisse surtout touché à cette époque par Gustave Moreau. La visite du Musée Gustave-Moreau fut pour lui une découverte ; la peinture de Moreau lui inspire une émotion tant érotique qu’esthétique.

Parallèlement, en poésie, Breton se sent alors attiré par des poètes aujourd’hui oubliés qui se refusent à moderniser leurs vers - Royère, Saint-Pol-Roux - ce qui ne l’empêche pas d’apprécier la poésie d’un Apollinaire. Pendant l’année 1913, Mallarmé a ses faveurs.
L’influence du poète se fait d’ailleurs grandement
sentir dans les premiers poèmes que Breton publie dans la revue du néo-symboliste Royère, La Phalange : « Rieuse », « Saxe fin » et « Hommage ». Grâce à ce dernier, il fait aussi la rencontre de Paul Valéry, qui sera ensuite pour lui un lecteur et un critique assidu.

De sa rencontre avec Vaché dont nous parlons dans le paragraphe suivant, Breton retiendra le concept d’« umour », proche de l’« humour de l’absurde » d’un Ionesco et d’un Beckett ; c’était pour Breton l’« esprit nouveau » qu’il avait voulu voir dans la volonté d’être voyant de Rimbaud ou dans le modernisme d’Apollinaire.

Le temps de guerre

Le parcours militaire

En 1914, en marge de la fièvre patriotique qui embrase la France à l’heure de la mobilisation, Breton découvre la poésie de Rimbaud à Lorient où il s’est installé avec ses parents.

A l’automne, le PCN en poche, il s’inscrit à l’école de médecine, mais sans conviction. En Février 1915, il passe le conseil de révision et est incorporé au 17ème régiment, puis envoyé à Nantes comme infirmier militaire.
Il y fait la rencontre, grâce à Paul Valéry, d’Edmond Bonniot et de sa femme Geneviève, fille de Mallarmé. Il découvre alors des inédits de Mallarmé et se met à relire Mallarmé, Jarry, Rimbaud.

A même époque, il noue une relation amoureuse avec Manon Le Gouguès, sa cousine : l’expérience s’avèrera décevante.

Les relations amicales qu’il noue notamment avec André Paris, et avec lequel il correspond, s’avèrent plus fructueuses et plus satisfaisantes.

En juillet 1916, peut-être pour mettre fin sans douleur à son histoire avec Annie, il demande d’être transféré à Saint-Dizier.

Il y fera la rencontre des écrits des pionniers de la psychanalyse (Jean-Martin Charcot, Emil Kraepelin, Constanza Pascal) ce qui aura sur son évolution intellectuelle une importance majeure. Il découvre à travers le Précis de psychiatrie d’Emmanuel Régis et La psychoanalyse des névroses et psychoses d’Emmanuel Régis et Angélo Hesnard les théories de Freud.

Son contact quotidien avec les malades mentaux est pour lui l’occasion d’observer la puissance poétique dont peut être doué un esprit malade et de commencer à imaginer quelles peuvent êtres les nouvelles sources d’inspiration poétique : les rêves et les associations mentales.

Début 1917, Breton est affecté à Paris. Il y fait la connaissance de Joseph Babinski, l’illustre neurologue, pour lequel il nourrira une grande admiration.

Le parcours littéraire

Sur le plan poétique, dans les années 1914-1915, Breton connaît un conflit intérieur entre la densité étudiée de la poésie de Mallarmé et la puissance verbale de celle de Rimbaud. Il adopte alors un nouveau modèle, Apollinaire. Ce dernier était une des figures les plus importantes de l’avant-garde. Il était l’ami de Picasso, Braque, Derain, Marie Laurencin, Vlaminck, Rousseau, Max Jacob. Il dirigea jusqu’en Juillet 1914 les Soirées de Paris.

Du conflit intérieur entre des sources d’inspiration contradictoires va naître le poète Breton : deux poèmes de cette époque en témoignent, « Décembre » et « A vous seule » où perce, derrière une syntaxe travaillée et un peu précieuse, une tonalité ironique et mordante.

Breton, au terme de la guerre, arrive à maturité : il finit de rédiger le 10 Février 1916 Poème qu’il adresse à Valéry et qu’il publiera en 1918, daté du 19 Février, sous le titre définitif Age. Il y célèbre la maturité ; et il atteint de fait avec ce poème dans lequel il s’interroge sur les influences une maturité qui lui ouvre des voies nouvelles.

De cette époque, juin 1916, date le premier poème auquel Breton accordera grande importance puisqu’il sera repris ensuite dans tous les recueils de poèmes choisis : Façon. On y trouve la marque de son intérêt d’alors pour la mode, l’influence de Vaché notamment dans le choix d’une forme disloquée qui emprunte au sonnet sa forme originelle, l’emprise enfin d’Alice, son amour d’alors, après un bref intérêt pour une autre jeune femme, Annie.

Breton, au printemps 1917, alors qu’il est hospitalisé pour une appendicite et des complications, essaye de faire accepter certains de ses écrits dans la revue Nord-Sud dirigée par Reverdy qui choisit de façon drastique ses collaborateurs, dans lesquels il veut voir des praticiens du cubisme littéraire. Parmi les anciens, on compte Apollinaire, Max Jacob..., parmi les plus jeunes on trouve également Louis Aragon, Philippe Soupault, Jean Paulhan, Tristan Tzara et bientôt Breton.
Reverdy attire Breton par son intransigeance et son austérité ; s’ensuivra une correspondance féconde essentiellement sur des questions esthétiques.
Le groupe de la revue Nord-Sud, s’oppose de façon virulente à ceux de la revue Sic qui incarne jusque là l’avant-garde littéraire. Breton cristallise son rejet sur la personne de Cocteau.

Pourtant, c’est à propos de son ballet Parade donné en mai 1917 en collaboration avec Erik Satie, Picasso, qu’Apollinaire utilise pour la première fois le qualificatif de sur-réaliste.

Le terme commence à prendre un contenu plus précis lorsqu’il est utilisé pour la deuxième fois à propos des Mamelles de Tirésias qu’Apollinaire qualifie lui-même de « drame surréaliste ». Mais ce n’est qu’en 1924 que Breton donnera au terme une définition stricte : « automatisme psychique pur ».

Aragon fait connaître à Breton les écrits de Lautréamont, que celui-ci ne connaît pas encore, et lui met dans les mains le premier des Chants de Maldoror. Lautréamont va bientôt devenir la principale source de leur inspiration. De fait, il s’est livré à une expérience littéraire sans précédent, en se donnant pour objectif d’endormir l’intelligence du lecteur et en attaquant à la base ce qui fait la langue poétique. Pendant les gardes de nuit qu’ils ont demandé à faire, Aragon et Breton se retrouvent ainsi dans les couloirs désertés de l’hôpital pour lire à tue-tête Les Chants de Maldoror au milieu des hurlements des malades mentaux enfermés dans leurs cellules. Ils sont plus frappés encore par la lecture de Poésies, parues sous le vrai nom de Lautréamont, Isidore Ducasse. Ce dernier y vilipende des grands noms de la poésie, et surtout du Romantisme, et leur impute la décadence de la poésie. Les aphorismes de Ducasse vont être déterminants dans les choix esthétiques que Breton va être amené à faire : « Il n’y a rien d’incompréhensible », Faut-il que j’écrive en vers pour me séparer des autres hommes ? Que la charité décide !« , »La poésie doit être faite par tous. Non par un." (cité op. cit. p.88).

Sous l’influence de Lautréamont, la poésie de Breton se métamorphose et apparaissent les premiers collages verbaux : « Forêt-Noire » - la technique du collage a été mise au point par Picasso et Braque en 1912 et reprise par Lautréamont. Suivent deux autres poèmes de même facture « Pour Lafcadio » et « Monsieur V » consacré à Paul Valéry.

Paul Valéry n’est plus pour lui un maître ; leurs voies se séparent. En juillet 1918, Breton commence à correspondre assidûment avec Paulhan et cherche en lui le maître du moment. Il lance parallèlement ses compagnons dans la réalisation d’un ouvrage sur la peinture contemporaine, et plus largement sur l’« esprit nouveau ». On voit là déjà la volonté de Breton d’ignorer les frontières.

Les trois mousquetaires commencent aussi à négliger Reverdy qui est de plus en plus invivable et dont les partis pris esthétiques sont de plus en plus éloignés de ceux de Breton, en devenir. Apollinaire n’est plus le même, Valéry s’est essoufflé ; Breton doute.

Breton est représentatif du bouleversement qui s’annonce dans les arts, à l’unisson du bouleversement que va être la première guerre mondiale.
Un esprit nouveau souffle, dispensé notamment par la revue SIC, revue d’avant-garde parue en février 1916. Cravan, rédacteur en chef, marquera Breton et sa génération ; il fera à leurs yeux figure de précurseur.

Rencontres

Dans ces temps de guerre où théâtres, cinémas sont fermés se forment des cercles d’artistes qui feront l’avant-garde d’après guerre, notamment celui autour de la librairie d’Adrienne Monnier que fréquenteront Breton, Apollinaire, Valéry.

En février 1916, Breton fait la rencontre de Jacques Vaché. Ce dernier est originaire de Lorient ; il a passé sa jeunesse en partie en Extrême-Orient, et sinon, à Nantes. Il s’est très jeune adonné au dessin et a fondé au lycée ce qu’on appellera ensuite le « groupe de Nantes », reprenant l’esthétique anarchiste d’Alfred Jarry, les thèses politiques de Bonnot, et trouvant raison à son existance en choquant le bourgeois. Breton s’enthousiasme pour les grandes figures du modernisme et entend partager cet enthousisasme avec Vaché pendant la convalescence de ce dernier à l’hôpital de Nantes où Breton est interne, tandis que Vaché refuse tout et, avant qu’on entende parler de Dada, fait profession, comme lui de « tout refuser, ne se fier à rien, rire de tout » (p.48).

Vaché a exercé sur Breton une sorte de fascination : figure du dandy baudelairien se vouant au « culte de soi-même », affectant de la distance vis-à-vis de tout et de tous, maniant l’angliscisme distingué, faisant de Breton son compagnon pour choquer le bourgeois, notamment en improvisant des pique-nique bruyants pendant les projections de films.

Breton a voulu dans ses écrits faire de cette relation une relation exclusive ; elle y prend une importance disproportionnée, quand on prend en compte que, dans la réalité, cette « aventure » n’a duré que deux mois. Ils ne se reverront dans la suite que 5 ou 6 fois. Vaché néanmoins écrira à Breton (de l’été 1916 à décembre 1918) et ces Lettres de guerre constituent un des documents présurréalistes les plus importants.

Le personnage même de Vaché, énigmatique, dans lequel il est difficile de démêler ce qui relève de l’imaginaire de Breton, de ce qui relève du Vaché réel, de ce qui tient enfin au personnage que Vaché lui-même semble s’être construit, constitue un mythe central de ce qui deviendra le Surréalisme.

Le temps de guerre voit apparaître également le mouvement Dada. Celui-ci est l’objet de méfiance, notamment en Suisse. Il cherche en France des appuis et tend à s’auréoler de la reconnaissance et du soutien d’Apollinaire qui y renâcle. La première parution dadaïste, le Cabaret Voltaire, en juin 1917, présentera un poème piraté d’Apollinaire. La seconde parution, Dada 1, en juillet 1917, attendra jusqu’au bout et en vain une contribution, cette fois officielle, d’Apollinaire.

Et, ce même mois, à Zurich, c’est l’acte de naissance mythique - un couteau planté dans le dictionnaire au mot dada - du mouvement Dada autour de Tzara avec Hugo Ball, Emmy Hennings, Hans Arp, Richard Huelsenbeck et Marcel Janco. Plus qu’un mouvement artistique, Tzara et les siens définissent Dada comme un mouvement de dégoût.

En août 1917, à une table ronde organisée par Apollinaire, Breton fait la rencontre de Soupault, issu d’une famille bourgeoise conventionnelle ; il fait des études de droit par obligation familiale, mais se passionne pour la botanique et la littérature. Il écrit depuis 1914 et il fait volontiers oeuvre de provocation, ce qui ne laissera pas de plaire à Breton. A l’inverse, Soupault est séduit par le mystère qui entoure Breton.
En Septembre, à la faveur d’un chahut d’étudiants, il fait la rencontre d’Aragon. Ils partagent leur passion pour Rimbaud, Mallarmé, Jarry, fréquentent tous deux la librairie de Mlle Monnier. Ils se retrouvent également dans leur lecture des périodiques socialistes hostiles à la guerre Le Drapeau, Le Journal du peuple et La Vague, sans pour autant s’enthousiasmer alors pour la politique qui, selon eux, n’en vaut pas la peine.

Breton dit d’Aragon (cité op. cit.p.81) : « Les lieux de Paris, même les plus neutres, par où on passait avec lui, dira-t-il, étaient réhaussés de plusieurs crans par une fabulation magico-romanesque [...]. Nul n’aura été plus habile détecteur de l’insolite sous toutes ses formes ; nul n’aura été porté à des rêveries si grisantes sur une sorte de vie dérobée de la ville [...] ». On peut y voir une piste de lecture pour les photographies de lieux qui émaillent Nadja. [5]

Bientôt, ils partagent la même chambrée et s’installent, pour composer, un bureau qu’ils décorent avec des oeuvres de leurs peintres préférés : Braque, Chagall, Matisse, Cézanne, Picasso. Ils hantent également les cinémas pour voir les feuilletons populaires, puis les classiques du fantastique, dont [6] de Murnau. Ils ont également un faible pour les films où joue Musidora - Jeanne Roques - qui mêle dans ses personnages mort et sexualité. Elle est ainsi pour eux une figure du modernisme.

Breton, Aragon et Soupault forment bientôt un trio inséparable que Valéry surnomme « les trois mousquetaires ». Dès cette époque, Breton fait figure de chef du groupe, sur lequel le personnage à exercer une influence décisive est Jacques Vaché.

« L’homme coupé en deux »

Après l’armistice, Breton est cet homme coupé en deux, indécis, démobilisé par la mort d’Apollinaire qui s’est éteint le 9 novembre 1918.

Vient s’ajouter la nouvelle de la mort de Vaché, mort d’une overdose d’opium courant janvier 1919. Breton commence alors à rédiger la série d’essais qu’ils consacrera à Vaché. Il veut voir dans cette mort un suicide, un dernier trait d’umour, et justifie de sa volonté de mettre Vaché à la première place du Panthéon surréaliste.

En janvier 1919, le « Manifeste dada 1918 » révèle à Breton les véritables idées dada. Les mousquetaires, sous l’influence de Reverdy, avaient jusque là une certaine méfiance. Mais le manifeste déclenche chez eux intérêt et enthousiasme. Il leur semble s’inscrire dans la droite ligne de « l’umour » de Vaché et de la poésie subversive de Ducasse.

Le directeur des Jeunes Lettres, Cliquennois, attiré par Dada et en admiration devant Breton, propose à Breton son journal pour défendre ses idées ; le 19 mars paraît le premier numéro de la nouvelle revue ainsi née, Littérature. La revue, révolutionnaire juste ce qu’il faut, est très bien accueillie. Breton y publiera son premier poème-collage, ainsi que Poésie de Ducasse. A partir de juin 1919, avec le retour de la NRF, Littérature se lance, pour conserver sa raison d’être, dans la publication de petites notes assassines : la première victime est Claudel...

Pour Breton, il est de plus en plus clair que son objectif esthétique est la multiplication des démarches pour faire apparaître l’irrationnel. La pratique de l’écriture automatique participe de cette démarche. Breton n’en est certes pas l’inventeur - il se réfère lui-même à Nerval et Thomas Carlyle -, mais c’est chez lui une démarche esthétique qui lui permet d’approcher les mécanismes de l’image poétique, et c’est également une révolution psychologique et morale par le choix d’abandonner la raison. Breton se lance dans l’aventure au printemps 1919, avec Soupault ; ce seront les Champs magnétiques. Ils expérimentent à la fois les formes d’écriture et la vitesse de l’écriture automatique. Aragon y verra un tournant pour l’histoire de l’écriture.

Les années Dada 1919-1921

Breton et le Dadaïsme

Au moment de la démobilisation, à l’automne 1919, désoeuvré, ayant pris ses distances avec ses amis, Breton redécouvre Dada et se lance à corps perdu dans l’aventure.

Il a à cette époque une relation avec Georgina Dubreuil, tumultueuse, qu’il vit comme un compagnonnage.

Et il fait la rencontre de Francis Picabia.

L’attente de Tzara occupe Breton pendant plusieurs mois ; celui-ci arrive enfin à Paris, le 17 Janvier 1920. Il s’installe dans l’appartement de Picabia qui deviendra bientôt le quartier général dada.
Les initiatives vont se multiplier, Breton travaillant à l’organisation de ces manifestations dadaïstes. Les vendredis de Littérature sont un échec parce que Breton et ses amis manquent d’expérience et de sens du spectacle. Parallèlement, les revues dada se multiplient : Littérature, bien sûr, mais aussi Dada, 391, Cannibale, Proverbe d’Eluard, Z de Dermée, Projecteur de Céline Arnauld. On notera également la revue du plus ancien membre du mouvement dada après Picabia, Ribemont-Dessaignes : Dd H4 02, soit la formule chimique du vitriol.

En février 1920 a lieu la deuxième manifestation dada, au Grand-Palais ; Tzara s’est occupé de la publicité en faisant croire que Chaplin s’était converti au Dadaïsme et viendrait en France. Il a atteint son but, la foule a hurlé.

En mars, ce sera au Théâtre de l’Oeuvre ; en mai, les dadaïstes louent la salle Gaveau pour le « Festival dada ».

Breton cherche aussi à diversifier les manifestations dada ; en mars 1921, il lance un exercice qui consiste à noter les vivants et les morts. Breton obtiendra à ce petit jeu la meilleure moyenne avec 16,85, Chaplin se voit adjuger un 16,09 de moyenne , Rimbaud 15,95 et Ducasse 14,27.

Autre initiative, en Avril 1921, il propose des excursions dans Paris pour que Dada aille au-devant du public.

Le 2 mai 1921 est organisé le vernissage d’une exposition des oeuvres de Max Ernst, animateur du groupe dada à Cologne. Inviter un artiste allemand est en soi une provocation qui ne déplaît pas aux dadaïstes ; par ailleurs, Breton et le groupe dans son ensembe sont séduits par les dessins et collages de Max Ernst qui, selon eux, dévoilent le mystère poétique de toutes choses. Cette exposition matérialise la rupture entre Picabia et le reste du groupe ; ce dernier sera bientôt suivi de Paul Dermée qui trouve que, sous l’influence de Breton, Dada « devient trop moral, trop dogmatique, en un mot trop pompeux » (p.179).

Mais rapidement, Dada s’est essoufflé. Le public et les journaux s’habituent au scandale systématique pratiqué par le groupe et semblent renoncer à en comprendre vraiment les motivations. Des dissensions apparaissent dans le groupe : si Tzara et Picabia se satisfont des méfiances et jalousies naissantes, le groupe Littérature est plutôt désorienté. Tzara cherche l’informel ; Breton veut bâtir un groupe soudé autour de principes communs.

Tzara a atteint son but : nul n’est censé ignorer Dada. Pour Breton, c’est un point de départ.

Dada est happé par une sorte de reconnaissance officielle et Breton commence à se méfier.

Par suite, les relations entre Picabia et Breton se dégradent. Le premier reproche au second de vouloir avoir la main-mise sur Dada et juge qu’il joue un double jeu en travaillant chez Gallimard, chez qui il est devenu collaborateur.

Après la pause de l’été 1920, les relations avec Tzara et Picabia s’enveniment. Ils organisent notamment une manifestation dada sans le groupe Littérature et en s’appuyant sur Cocteau, l’ennemi juré. Suivent des incidents divers : le plus connu est « l’affaire du portefeuille », le 25 avril 1921. Réuni au café la Certà, comme à l’habitude, le groupe découvre le portefeuille oublié par le garçon de café et s’en empare. Suivent des discussions sans fin, Breton souhaitant garder l’argent à titre individuel pour se dédommager des frais qu’il a pris en charge au nom de dada, Tzara proposant de tirer à la courte-paille, Eluard voulant le rapporter à son malheureux propriétaire - ce qu’il fera du reste en catimini ; Breton lui en voudra pendant des mois.
Picabia finit par prendre définitivement ses distances avec le groupe dada.

Au mois de juin 1921, Breton pense rompre aussi en rédigeant un article d’adieu. La rupture sera finalement consommée en septembre 1921 au cours du séjour que Breton nouvellement marié avec Simone fait au Tyrol pour y retrouver Tzara, Arp, Ernst. C’est pour Breton le signe d’un nouveau départ.

Breton et Aragon ont commencé du reste à prendre un autre chemin ; ils s’intéressent à la naissance du PCF, en 1920. Ils sont séduits par les thèses pacifistes, mais l’abondance des conditions pour adhérer au parti les décourage bientôt. Il faudra attendre cinq ans pour qu’ils reprennent contact avec le parti.

Néanmoins, Breton continue à donner son énergie pour Dada pour relancer le mouvement. Viennent se joindre au groupe du Certà Jacques Baron, Roger Vitrac, Max Morise, Georges Limbour, René Crevel, tous animateurs de la jeune revue Aventure.

Les dadaïstes font en juillet 1921 la rencontre de Man Ray, soit Emmanuel Radnitsky, présenté par Duchamp. Ils unissent leurs énergies pour organiser une exposition des oeuvres de Man Ray qui aura lieu le 3 décembre 1921.

Les activités de Breton

Après une altercation avec ses parents qui viennent de découvrir ses accointances avec le mouvement dada et l’arrêt de ses études, sur l’intervention de Valéry, Breton entre chez Gaston Gallimard en mars 1920 pour faire le suivi-clients des abonnés de la NRF. Il est également engagé par Proust pour faire les corrections du Côté de Guermantes.

Breton écrit toujours aussi peu. Il produit dans les premiers mois de 1920 quelques textes automatiques pour Littérature et une pièce de théâtre, semi-automatique, S’il vous plaît, écrite avec Soupault avant l’arrivée de Tzara.
En réalité, il perd peu à peu son intérêt pour l’écrit.

Courant 1920, il est engagé par Doucet comme bibliothécaire pour dresser la catalogue de la Bibliothèque littéraire fondée en 1916 et cise au 2 rue de Noisiel dans le XVIème. En juillet 1921, Doucet l’engage finalement à plein temps comme conseiller artistique et bibliothécaire.

Simone Kahn

Fin Juin 1920, Breton rencontre Simone Kahn, une jeune femme cultivée qui d’emblée lui déclare ne pas être intéressée par Dada. S’ensuit une correspondance qui est surtout pour Breton l’occasion de s’explorer lui-même. A la fin de l’été, Breton annonce son intention de l’épouser.

Le contact avec les parents de Simone est plus que tiède, mais lorsqu’ils ont l’assurance que Breton peut subvenir aux besoins du ménage, puisqu’il vient d’être engagé par Doucet à plein temps (juillet 21) moyennant un salaire confortable, ils donnent leur assentiment. Le mariage est prévu pour le 15 septembre 1921.

En guise de voyage de noces, les jeunes mariés rejoignent Tzara, Arp, Ernst au Tyrol, en Autriche, à Tarrenz. C’est pour Breton, essentiellement, l’occasion de se rendre compte qu’il n’a plus grand chose en commun avec eux et surtout avec Tzara. Restés seuls au Tyrol, ils sont rejoints par Eluard et Gala, puis ils se rendent à Vienne où Breton espère rencontrer Freud.

Fin 1921, l’aventure dada étant moribonde, Breton repart avec Simone pour Lorient.

Du Dadaïsme au Surréalisme : 1922-1924

Breton au quotidien

De retour à Paris, janvier 1922, le couple s’installe (Breton a toujours résidé en caserne ou à l’hôtel) dans un atelier entre Pigalle et la rue Notre-Dame-de-Lorette, au-dessus du cabaret Le Ciel et l’Enfer, au 42 de la rue Fontaine.

Cet appartement va entrer dans la légende surréaliste au même titre que Breton. Cet appartement sera vitrine des collections de Breton, lieu de réunion, quartier général du Surréalisme.

Fin des années 40, Breton troquera son petit atelier pour un appartement plus spacieux, mais toujours au 42 de la rue Fontaine, qui restera son adresse jusqu’à la fin de sa vie.

Breton mène une vie réglée entre son travail chez Doucet, les réunions quotidiennes avec le groupe dans un café et sa vie avec Simone.

Il a rapidement décoré l’atelier avec des peintures qui constituent en quelque sorte son imaginaire pictural : Seurat, Ernst, Picabia, Man Ray, Derain, Duchamp, Picasso, De Chiricho, Braque.

On y trouve aussi nombre de masques africains et océaniens, de poupées fétiches, d’objets étranges.

Le surréalisme en gestation

Breton nourrit le projet d’organiser un « Congrès international pour la détermination des directives et la défense de l’esprit moderne » ou « Congrès de Paris » qui est annoncé par Comoedia pour mars 1922.

Le communiqué est signé de Georges Auric, Robert Delaunay, Fernand Léger, Amédée Ozenfant, Jean Paulhan, Roger Vitrac, et Breton - qui dirige l’entreprise.
Breton donne au congrès pour objectif d’examiner « les caractéristiques de groupements ou d’écoles [comme] l’impressionnisme, le symbolisme, l’unanimisme, le fauvisme, le simultanéïsme, le cubisme, l’orphisme, le futurisme, l’expressionnisme, le purisme, Dada, etc. » [7]. Il aura également pour mission de répondre aux questions : « l’esprit dit moderne a-t-il toujours existé ? » et « Entre les objets dits modernes, un chapeau haut de forme est-il plus ou moins moderne qu’une locomotive ? ».

Ce projet peut s’expliquer par un mouvement de réaction qui se fait jour depuis la fin de la guerre. De Chirico a renoncé à sa peinture métaphysique pour revenir à un certain néo-classicisme. Paul Valéry, dans un article de 1919, « La crise de l’esprit », remet en cause le concept de modernité.

Nombre d’artistes européens répondent à l’appel de Breton - dont Cocteau, Salmon, Dermée, Malraux, et bien sûr Aragon, Eluard, Max Morise, Péret, Man Ray, Fraenkel, Suzanne Duchamp ... Breton y invite aussi Picabia et Tzara, mais ce dernier décline l’invitation et Breton a le sentiment de devoir se battre pour que Dada ne conduise pas le congrès au naufrage.

Il commet alors une bévue en attaquant personnellement Tzara dans un communiqué publié dans Comoedia en février. Après cette polémique, beaucoup désavouent Breton, du moins dans les termes qu’il a utilisés, et le Congrès de Paris est mort avant d’avoir vu le jour.

Breton publie également pendant l’hiver 22, dans La Vie moderne, un essai « La Confession dédaigneuse » où il présente ses idées en matière littéraire et artistique et sa ligne philosophique.

Après la pause estivale de 1923, Breton recouvre la fibre lyrique et il fait paraître le 15 novembre 1923 Clair de terre.

Parallèlement, Littérature est moribonde parce qu’elle n’est plus viable ; à l’automne, Breton ne fait plus paraître que des numéros spéciaux.

Expériences

Breton croise, le 16 janvier 1922, une inconnue qui attire son attention parce que sa mise contraste avec l’air perdu qu’elle affiche. Frappera Breton la coïncidence qui la fera rencontrer par deux de ses amis, le même jour, Aragon et Derain. Cette rencontre n’est pas sans rappeller celle d’Annie Padiou, en 1916, mais cette fois Breton consigne la rencontre par écrit en adoptant un ton clinique et lui donne pour titre L’esprit nouveau. C’est en quelque sorte, sous une forme réduite, le prototype qui conduira au récit de Nadja.

Breton est particulièrement intéressé par le fait que ces rencontres fortuites se fassent au féminin et il y voit une marque d’érotisme indéniable.

Breton est en fait à la recherche d’une nouvelle aventure collective, mais sans pour l’instant trouver un projet qui tienne. Il lance le projet d’un roman écrit en collaboration avec Aragon, mais seul Aragon écrira un chapitre. Il reprend l’idée de Picabia de créer une société secrète, mais cela n’aboutira pas.
En novembre 1922, au retour de l’exposition de Barcelone, il émet l’idée de créer un « Salon X » pour renouveler le genre des expositions : mais les peintres à qui il soumet le projet (Picasso, Duchamp, Picabia ...) refusent et l’idée est abandonnée.

Les réunions quotidiennes du groupe au café sont animées par des séances d’écriture automatique, des récitals de rêves, des jeux.

La période est enfin marquée par l’expérience « des sommeils » pendant tout l’automne 1922.

Breton reprend à Crevel - qui en a fait l’expérience pendant l’été 1922 - l’idée de séances de spiritisme, non pas pour communiquer avec les morts, mais parce que ces séances permettent de mettre en oeuvre des phénomènes qui sont pour lui d’autres moyens encore d’explorer la conscience humaine ; notamment le sommeil hypnotique. L’article « Entrée des médiums » paru dans le numéro de novembre de Littérature est un compte-rendu de ces séances.

En fait, il semble s’avérer que beaucoup des participants mimaient leurs crises pour satisfaire Breton, sans qu’il soit possible de savoir si celui-ci était conscient ou non du trucage. L’important n’est pas là ; pour Breton, c’est encore une manière, comme l’écriture automatique, d’atteindre à un niveau non conscient de la parole, qui lui semble d’une puissance poétique prodigieuse.

Breton mettra définitivement fin à ces séances après quelques incidents provoqués par Desnos qui s’avère dépendant de ces états d’hypnose et éventuellement dangereux.

Au printemps 1923, Breton, Eluard, Desnos décident de s’enfermer dans le silence, tandis qu’Aragon au contraire continue à écrire : entre Aragon et Breton, un abîme se creuse. Pour Breton, le roman est la forme la plus méprisable de la littérature ; Aragon défend le potentiel subversif du roman. En fait, il est probable que l’aisance dans l’écriture et la notoriété d’Aragon à la NRF font ombrage à Breton.

Affranchissement

Pendant cette période de maturation de ce qui deviendra le Surréalisme, Breton prend ses distances avec un certain nombre de figures dans lesquelles il a pu voir, un temps, des maîtres à penser.

Comme il avait marqué ses distances en publiant un article vengeur sur Valéry dans Littérature, de même, dans la nouvelle version de Littérature, Littérature : nouvelle série, il publie une interview de Gide. Il a en fait modifié l’ordre des propos afin de faire de Gide le portrait d’un homme vaniteux cherchant à se faire valoir auprès des jeunes écrivains. Breton manifeste ainsi sa déception face au père de Lafcadio et de l’acte gratuit, mais qui, à ses yeux, est coupable d’être entré par trop dans le rang.

Il s’attache aussi à prendre ses distances avec Dada. En mars et avril, Breton et Tzara échangent des propos aigre-doux par articles interposés. Breton veut que chacun voie en Dada l’image grossière d’un esprit nouveau qu’il n’a jamais pu ni su incarner. Tzara se fait fort de dévoiler « Les dessous de Dada ». Breton a enfin le dernier mot avec cet appel paru dans Littérature en avril 1922 (p.200) :

Je ne puis que vous assurer que je me moque de tout cela et répéter :
Lâchez tout.
Lâchez Dada.
Lâchez votre femme, lâchez votre maîtresse ?
Lâchez vos espérances et vos craintes.
Semez vos enfants au coin d’un bois.
Lâchez la proie pour l’ombre.
Lâchez au besoin une vie aisée, ce qu’on vous donne pour une situation d’avenir.
Partez sur les routes.

Breton prend également, à cette époque, ses distances avec un certain nombre de ses compagnons d’aventure.
Il est en froid avec Eluard, Péret, et Fraenkel depuis qu’ils ont pris fait et cause pour Tzara au moment de l’affaire du Congrès en février 22.

Les relations se relâchent également, non sans regrets, avec Soupault.

Breton modifie avec Picabia la première page de Littérature, quitte Le Sans Pareil qui lui a fait faux bond et n’a pu assurer la publication de Littérature pendant l’été 1922 et renégocie un contrat de distribution avec Gallimard. Il met ainsi un terme à son amitié avec René Hilsum. L’éditorial de la revue de septembre annonce une ère de renouveau autour d’un groupe de proches constitué d’amis de la première heure - Aragon -, d’acolytes avec lesquels il s’est réconcilié - Eluard, Soupault -, de dadaïstes - Picabia, Duchamp -, et de petits nouveaux - Baron, Vitrac ...

Entrent dans le cercle, à cette époque, Crevel, qui avait rencontré Breton en février 22 au moment de l’affaire du Congré - il était alors défenseur de Tzara -, et Desnos ; ces deux derniers rivalisent du reste pour mériter l’admiration de Breton.

Participent aussi de cette logique de l’affranchissement les relations entretenues par Breton avec son épouse Simone. Elles sont marquées par des séparations fréquentes et sont faites de complicité affective et intellectuelle, non sans une certaine distance voulue.

La dernière et la plus connue des manifestations Dada met comme un point final à la période dada en juillet 1923. Tzara organise un spectacle composite la « Soirée du coeur à barbe » autour de sa pièce écrite en 1921 Le Coeur à gaz le 6 Juillet 1923. Breton et les siens sont là pour amener la perturbation. La soirée sera émaillée d’échauffourées.

Août 1923 et le retour des vacances ménagent une pause bienvenue.

A l’aube du Surréalisme

Début 1924, Breton jouit d’une certaine notoriété dans le monde intellectuel de Paris, notamment grâce à ses deux recueils récents Clair de terre et Pas perdus.

Breton fortifie son groupe autour de lui, en y intégrant des nouveaux dont Maxime Alexandre.
Il renoue avec l’écriture automatique.
La brutale disparition d’Eluard le 24 mars 1924, pour lequel Breton craint une issue fatale, va fournir au groupe un nouveau ferment. Sa disparition lui confère une dimension mythique à l’instar de Rimbaud et de Vaché.

Une expérience est décisive : une excursion organisée par le groupe en mai, au départ de Blois, en laissant une grande part au hasard. Breton prend conscience qu’il ressent le besoin de donner au groupe une image publique.

Le « pape » du Surréalisme

L’ascendance de Breton

Breton était aussi prompt à l’enthousiasme le plus violent qu’au dégoût et au rejet le plus profond.
Il avait un ascendant remarquable sur son entourage. Breton se trouve ainsi, au printemps 24, à la tête d’un groupe bien à lui qui gravite autour de sa personne.
Mais parallèlement, son entourage n’est pas fixe, car Breton exclut également facilement, au gré de ses enthousiasmes et de ses désamours.

C’est au cours de l’été 24 qu’émerge le terme de « Surréalisme » pour qualifier le groupe. Depuis 1920, Breton utilise le terme, notamment pour parler de l’écriture automatique et le terme est de plus en plus lié aux activités du groupe.

Parallèlement, Breton a presque achevé en juin 1924 Poisson soluble, recueil de petites histoires en écriture automatique. Breton veut l’accompagner d’une introduction explicative pour éviter l’incompréhension qu’ont rencontrée les Champs magnétiques. Aragon propose pour ce faire un article de 24 pages ; Breton une déclaration de 70 pages, ce sont les bases du Manifeste du Surréalisme.

Le Manifeste du Surréalisme, 1924

Le Manifeste du Surréalisme paraît dans la forme qui sera celle du texte fondateur chez Le Sagittaire fin octobre 1924. Le nombre des articles qui se font l’écho de cette parution, louangeurs ou réprobateurs, attestent de l’importance de cet écrit, qui fait événement.
Breton est devenu le porte-drapeau d’un nouveau mouvement ; quelqu’un comme Drieu la Rochelle dira que seul Breton peut et réussit à transcender et à personnifier le Surréalisme.

L’illustre parfaitement l’étiquette de « pape du Surréalisme », parue à cette époque, et utilisée autant par les fidèles de Breton pour dire leur respect teinté d’humour que par ses détracteurs pour dénoncer son autoritarisme.

La première finalité de cet écrit est de définir un groupe, qui s’est constitué au fil des années qui viennent de passer, et dont les noms sont cités dans l’oeuvre : Aragon, Péret, Faenkel, Desnos, Soupault (à nouveau en odeur de sainteté), Limbour, Baron, Vitrac, Morise, Noll ; Jean Paulhan et Georges Auric qui ne seront jamais réellement surréalistes ; des nouveaux : Pierre Naville écrivain, Jacques-André Boiffard photographe, Georges Malkine artiste. Enfin, Picabia malgré tout et toujours ..., Picasso, Duchamp.

Se joindra ensuite au groupe Antonin Artaud, hésitant d’abord, puis se laissant tenter par l’aventure de la descente à l’intérieur du moi.

Breton y dresse également une généalogie du Surréalisme ; sont ainsi intrônisés à la source du Surréalisme « Sade, justement surréaliste dans le sadisme, Poe surréaliste dans l’aventure, Swift dans la méchanceté, Baudelaire dans la morale, Rimbaud dans la pratique de la vie et ailleurs, Reverdy chez lui et Vaché surréaliste en moi »(p.236).

A sa naissance, Breton pense le Surréalisme essentiellement comme une entreprise philosophique ; il définit le Surréalisme comme un « automatisme psychique », comme le « fonctionnement réel de la pensée ».

L’art et la littérature sont alors pensés comme un moyen d’exploration de « l’immense région indéterminée sur laquelle ne s’étend pas le protectorat de la raison ».
Et l’écriture automatique en est la pierre angulaire.

La Centrale surréaliste

Le Bureau de recherches surréalistes ou la Centrale surréaliste s’ouvre le vendredi 10 octobre 1924 ; il a vocation d’être un lieu de rencontre et d’information et tous les membres du groupe y assurent à tour de rôle une permanence. Ils sont aussi chargés de la correspondance, de la récolte des articles de presse et de la tenue du livre de bord dans lequel est consignée au jour le jour la vie de la Centrale. Ce journal devient vite le journal d’un échec ; il est en effet rempli de projets avortés.

Nombre de réunions, chez Breton, semblent avoir été marquées par la morosité ambiante.

Les débuts de la Centrale sont marqués par un premier scandale : les surréalistes publient un pamphlet contre Anatole France à l’occasion de son décès, Un cadavre.
Doucet profite de cette affaire pour se séparer de Breton et de Picasso.

Parallèlement, est conçue et lancée une nouvelle revue, organe de la Centrale : La Révolution surréaliste. En ont la direction Naville et Péret. Le premier numéro sort le 16 Décembre 1924. La revue est jugée bien sage, en regard du parfum de scandale qui accompagne le groupe depuis le début, notamment par Jean Paulhan.
Le second paraît le 16 février 1925 et confirme le semi-échec du premier.

On notera néanmoins la place donnée à certains thèmes :

 le rêve avec la déclaration conjointe de Boiffard, Eluard et Vitrac « Le rêve seul laisse à l’homme tous ses droits de liberté.[...] » [8]

 la mort : la revue pose la question de la place de la volonté dans la mort, et s’interroge sur le suicide. Les réponses, divers et divergeantes, de la réponse agacée de Francis Jammes à l’enflammée religieuse de Reverdy, converti au catholicisme, et Crevel qui en profitera pour affirmer haut et fort que oui, le suicide est une solution.

Le Certà étant rasé en 1925 à l’occasion de travaux d’extension du boulevard Haussmann, le groupe change de quartier général et élira domicile désormais au Radio rue Caulincourt et au Globe, près de la Porte-Saint-Martin.

Breton et Artaud

En Janvier 1925, Antonin Artaud tente de redonner vie à la Centrale dont l’activité est au ralenti en imposant plus de rigueur, en réactivant les contraintes de permanence, en faisant rédiger des textes et des déclaration qu’il veut plus virulents ... En témoigne la Déclaration du 27 janvier1925, rédigée par Artaud et destinée au numéro 3 de la revue.

Mais, les effets sont de courte durée. Artaud, comme Breton, se heurte à l’apathie des membres du groupe. Breton lui-même se montre moins assidu, ce qui lui sera reproché par Naville.

Breton et Artaud finissent par connaître un différent qui s’accroît de jour en jour. Artaud reproche à Breton de s’enferrer, et le Surréalisme avec lui, dans la futilité.

Les relations se distendront, même si Artaud reste en contact avec le mouvement jusqu’en 1926. L’un et l’autre croyaient en la révolte, mais tandis que Breton avait de la révolte une conception toute intellectuelle, pour Artaud elle devait être viscérale et paroxystique.

L’après Artaud

La Centrale reprend de l’activité après le départ d’Artaud.

Le 29 Mai, ils organisent un chahut au Vieux-Colombier.

C’est à cette époque qu’a lieu le plus grand scandale qui restera lié à l’histoire du Surréalisme.
En 1923, Breton a rendu visite à Saint-Pol Roux en Bretagne et lui a promis à cette occasion de publier un article en sa faveur, jugeant qu’il était injustement oublié par la critique.

Le 9 mai 1925 la lettre est publiée « hommage à Saint-Pol », dans Les Nouvelles littéraires par Aragon, Vitrac, Desnos, Leiris, Péret, Morise, Eluard, Baron et Breton.

Ils participent tous à une manifestation en l’honneur de Saint-Pol le 11 juin et sont conviés au banquet littéraire organisé par le Mercure de France à la Closerie des Lilas le 2 juillet.

Or, L’Humanité vient de lancer un appel aux intellectuels pour se prononcer contre la guerre du Rif dans laquelle la France est impliquée depuis le printemps ; les surréalistes en majorité signataires sont prêts à s’enflammer contre une France à leurs yeux coupable.

Par ailleurs, Claudel alors ambassadeur au Japon a commis une interview dans lequel il dénonce le Dadaïsme et le Surréalisme comme des mouvements négligeables qui ont comme seul synonyme pédératisque. Les surréalistes contre-attaquent en publiant et en distribuant sous les assiettes le jour du banquet, sur un papier rouge sang, une Lettre ouverte qui répond point par point à Claudel (cf. p.270).

Pendant le banquet, les surréalistes s’en prennent individuellement à certaines personnalités comme Rachilde, les esprits s’échauffent et les slogans « A bas la France » croisent les assertions de Rachilde selon lesquelles c’est un crime d’épouser un allemand.
La presse condamnera unanimement le comportement des surréalistes, mais il suffira d’une quinzaine de jours pour que le ton s’apaise.

Bilan des années 24-25

La Centrale est au total plus ou moins un échec. Breton est pris en étau entre sa volonté d’imposer sa discipline pour parvenir à ses fins, et le refus des autres de s’y plier, si bien que rien ne se réalise et tout est voué à l’échec.

Simone est excédée d’être prise pour la bonne à tout faire du Bureau.

L’idée d’une officine du Surréalisme est accueillie par l’extérieur avec ironie et force sarcasmes.

Le regain d’activité connu sous le règne d’Artaud et à son départ aura été de courte durée.

La Révolution surréaliste connaît le sort de la revue précédente Littérature : elle n’est pas à la hauteur des ambitions de Breton, hésitant entre la provocation pensée comme un idéal et une teneur en fait très - trop - sage.

Le quotidien du groupe surréaliste est fait de conformisme mal vécu, de morosité. Et le groupe, en recherche de vitalité, s’adonne parfois à des activités peu reluisantes : lettres d’insulte, canulars de mauvais goût, comme Péret qui téléphona un jour à la mère de Cocteau pour lui annoncer que son fils était mort dans un accident de voiture, jupes de jolies femmes soulevées, parties échevelées à Luna-Park ...

La révolution surréaliste 1925-1926

Révolution

Breton assigne au Surréalisme la mission de réaliser une véritable révolution esthétique et morale.

La place de l’automatisme

L’automatisme occupe dans la réflexion de Breton la première place. L’acte automatique lui semble en effet le seul acte qui permette d’atteindre à la sphère du pré-conscient.

Dans La Lettre aux voyantes, où il laisse transparaître sa fascination pour les médiums et les voyants, Breton réaffirme l’importance de l’automatisme. L’automatisme est pour lui le moyen d’explorer les richesses de l’inconscient.

L’article est publié dans le cinquième numéro de La Révolution surréaliste en octobre 1925.

Le numéro de La Révolution surréaliste de mars 1926 présente de longs textes automatiques écrits par Breton qui a renoué avec la poésie.

Breton et la peinture

Breton reprend aux yeux de tous les rênes du groupe surréaliste en faisant montre dans le quatrième numéro de Révolution surréaliste d’un enthousiasme renouvelé. Breton s’y montre plus mesuré, mais aussi déterminé à refuser tout compromis.

Il prend notamment position contre Naville et Morise qui affirment l’inexistence de tout art surréaliste.

Breton, au contraire, a toujours été convaincu de l’importance du visuel.

Dans le Manifeste, il insistait sur le caractère visuel de l’imagerie automatique.

Breton commence en juillet 1925 un essai intitulé « Le surréalisme et la peinture » dans lequel il cherche à établir le caractère surréaliste de certaines oeuvre d’art en analysant le travail de Ernst, Derain, Man Ray, Masson, De Chirico à ses débuts, Picasso.

Breton n’accorde à la technique aucun intérêt. Ce qui lui importe, c’est que la peinture soit l’expression d’une vision intérieure.

L’essai Le surréalisme et la peinture, augmenté d’analyses des oeuvres de de Miro, Tanguy et Arp, paraîtra en 1928.

Le débat ainsi lancé trouve son aboutissement dans l’exposition de peinture surréaliste qui ouvre ses portes pour quinze jours le 13 novembre 1925. Cette dernière est centrée sur les oeuvres de Man Ray, Arp, Klee, Masson, Ernst, Miro, De Chirico (la période métaphysique), Picasso.

Breton et la politique

A partir de juillet 1925, Breton entraîne également le groupe surréaliste dans des voies politiques. Le premier combat est la guerre du Rif.
Parallèlement, Breton cherche à renouer des liens avec des intellectuels de gauche ; il se rapproche ainsi du groupe Clarté.

Est diffusé au cours de l’été un tract collectif, rédigé de concert par Breton et Victor Crastre de Clarté, intitulé « La révolution d’abord et toujours ! » qui condamne l’intervention française au Maroc.

Dans un article publié à la NRF, Drieu la Rochelle - dont l’intervention est essentiellement due à un sentiment de dépit face aux agissements d’Aragon à qui il voue une admiration pas seulement intellectuelle - a le mérite de souligne l’ambiguïté des nouveaux engagements surréalistes.

Ils n’ont d’audience et de légitimité que dans des milieux intellectuels où l’engagement reste tout idéologique. Mais ils sont loin de pouvoir donner à leur engagement une tournure plus concrète à laquelle ils aspirent cependant.

Pour ce faire, il leur faudrait s’allier à un parti politique, le Parti communiste par exemple, mais les surréalistes ne sont pas prêts à y sacrifier leur liberté.

Témoigne des intérêts politiques de Breton le compte-rendu qu’il fait paraître dans le cinquième numéro de La Révolution surréaliste sur l’opuscule de Trotsky consacré à Lénine. Breton semble avoir été sensible à la dimension héroïque que Trotsky prête à Lénine et à la Révolution russe.

Breton veut voir dans la révolution bolchévique un modèle, en occultant en fait une réalité qu’il ne peut ou ne veut voir. Il en retient la puissance du système qui a permis le plus grand bouleversement social de tous les temps.

C’est un bouleversement esthétique analogue qu’il entend provoquer avec le Surréalisme.

En septembre 1925, le groupe surréaliste se lance dans des activités politiques intenses : pétitions, déclarations renouvelées contre la Guerre du Rif, rencontres nombreuses avec Clarté...

A cette époque, les membres de Clarté ont le sentiment que le communisme est en Europe dans une impasse. La révolution bolchévique n’est pas encore pour demain. Ils modifient alors leurs objectifs et tendent à se lancer dans une critique systématique de la culture bourgeoise dominante. C’est dans ce contexte que Breton tente de se rapprocher du groupe, ce qui explique la facilité avec laquelle ils trouvent un terrain d’entente.
De fait, Clarté voit dans les surréalistes un sang neuf à une époque où le groupe est en perte de vitesse ; Breton quant à lui voit en Clarté une caution idéologique à un moment où il a peur que son mouvement ne devienne stérile comme Dada en son temps.

Sous l’influence de Clarté, l’auto-critique fait son entrée dans le groupe surréaliste ; certains membres sont exclus parce que jugés politiquement suspects. Le premier à être victime de ce mouvement d’auto-critique est Roger Vitrac.

Mais bientôt, Breton devra lutter avec autant d’énergie pour sauvegarder l’indépendance et l’identité du Surréalisme ; l’Humanité notamment laisse apparaître son scepticisme face à l’engagement des surréalistes et marque nettement son engagement en faveur des « vrais » prolétaires.

Des tensions apparaissent dès novembre avec certains membres de Clarté. Les surréalistes ont le sentiment de faire plus de compromis qu’ils ne reçoivent de compensations en retour ; les membres de Clarté ont du mal à reconnaître les surréalistes comme étant des leurs.

Au printemps 1926, le PC se montre plus nettement hostile vis-à-vis des jeunes surréalistes.
Naville publie en juin une brochure dans laquelle il reproche aux surréalistes leur inefficacité et l’ambiguïté de leur position : anarchisme de leurs attitudes et ralliement au marxisme mais sans aller jusqu’au bout de la démarche.

Ces critiques conduiront certains à entrer au Parti communiste.

Breton quant à lui répond par Légitime défense dans lequel il défendait l’idée que l’écriture et l’art « d’avant-garde » sont essentiels à la révolution, avant les changements économiques, car c’est le seul moyen d’élever la conscience spirituelle. Breton veut donner aux surréalistes la mission de génie du communisme.

Mais cet écrit fut vécu par le Parti communiste comme l’affirmation d’une rupture.

A l’automne 1926, alors que Breton est déçu par sa relation avec Nadja qui rapidement s’abîme dans des contingences qui le dégoûtent et l’ennuient, il renoue avec le Parti et s’attache à ce que le groupe montre patte blanche.

S’ensuit une période de purge sans concession dont les victimes seront Artaud le 23 novembre, puis Soupault le 27.

Parallèlement, est remise au goût du jour la question de l’adhésion au Parti communiste. Finalement, le 24 décembre, Breton, Aragon, Eluard et Pierre Unik décident d’adhérer. Avec Péret qui a déjà adhéré, ils forment désormais le groupe des cinq.

Cette décision n’empêche pas Breton de s’interroger sur les relations que le Surréalisme peut entretenir avec un Parti qui, sur certains points, est son antithèse. Le Surréalisme va-t-il se faire avaler par le Communisme ? Réussira-t-il à emporter le communisme sur d’autres voies ? Ne sera-ce qu’une rencontre éphémère, chacun poursuivant son chemin ?

Finalement, Breton demande à adhérer au Parti communiste le 14 janvier 1927. C’est pour lui le moyen indiscutable de prouver son attachememnt à la révolution et paradoxalement le moyen de gagner sa liberté en n’étant plus l’objet de soupçons.

Mais le Parti communiste compte à cette époque peu d’intellectuels dans ses rangs et nombreux sont ceux qui doutent de la sincérité de la démarche de Breton. Breton avant même d’avoir adhéré est convoqué à trois commissions de contrôle.

Finalement accepté, Breton va être rapidement déçu : on le limite dans des tâches que les communistes considèrent comme intellectuelles mais qu’il juge sulbalternes, comme la rédaction d’un rapport sur l’industrie minière dans l’Italie fasciste. Il aurait voulu travailler avec les grands théoriciens du Parti et n’a pas abandonné l’idée d’une révolution morale, une révolution de l’esprit.

Surréalisme et philosophie

Face aux membres de Clarté, Breton refuse d’abandonner le Surréalisme au profit d’un marxisme plus classique. Il revendique le caractère révolutionnaire de ses actes et de sa pensée.

Dans le Communisme, Breton est plus sensible au ton subversif qu’à ses objectifs.

Le Surréalisme souhaite essentiellement s’en prendre à la famille, la religion, le patriotisme, le conformisme qui font les valeurs de la société française.

Le Communisme est pour Breton un simple moyen de s’en prendre aux attitudes culturelles occidentales.

Les activités

Rue Blomet se réunissent les sympathisants du Surréalisme, une quarantaine en 1925. Parmi eux on compte Masson, Miro, Malkine, Tual, Leiris ; on voit aussi passer Artaud, Limbour, Desnos, Vitrac, Dubuffet. Breton n’entretient pas avec ce groupe des relations suivies, mais ce dernier fournira au Surréalisme quelques figures importantes comme Leiris ou Miro.
Parallèlement, rue du Château, se réunit une autre cellule surréaliste. Il s’agit là d’un trio : Prévert qui n’écrit pas encore, Tanguy qui vient de se mettre à la peinture et Marcel Duhamel. Breton est charmé par ce groupe iconoclaste et la rue du Château devient rapidement une succursale du mouvement.

Rue du Château est inventée une des activités les plus célèbres du Surréalisme : le cadavre exquis. L’activité tient son nom de la première phrase qui fut ainsi créée : « Le cadavre exquis / boira/ le vin / nouveau ».
La technique du cadavre exquis est appliquée au dessin : peintres et écrivains s’associent ainsi pour créer des oeuvres qui illustrent la formule « la poésie doit être faite pour tous ».

Les surréalistes, derrière Breton, se livrent à certaines exactions ou activités perturbatrices :
parce que Martin du Gard a émis quelques propos ironiques sur Aragon dans les Nouvelles littéraires, le groupe lance en mai 1926 une expédition punitive et jette le matériel de bureau par les fenêtres.

Le 18 mai, Aragon et Breton signent une protestation contre les décors élaborés par Ernst et Miro, lors de la présentation du ballet de Roméo et Juliette monté par Diaghilev. Ils lancent le tract dans la salle le soir de la première.

Parallèlement, Aragon et Eluard publient à cette époque deux des oeuvres les plus importantes du Surréalisme :
Le 20 juillet 1926 Gallimard publie Le Paysan de Paris, d’Aragon, récit lyrique que l’auteur qualifie lui-même de « mythologie moderne ».
Eluard, quant à lui, fait paraître chez Gallimard également, le 8 Septembre 1926, Capitale de la douleur.

Ce qui a nourri Nadja

Lise Meyer

Lise Meyer, née Anne-Marie Hirz, rattachée à la famille Dreyfus, et épouse de Pierre Meyer, héritier d’une grande famille, rend visite au Bureau le 15 décembre 1924.

Breton, qui est de permanence ce jour-là avec Aragon, est impressionné.

Aragon invite Lise Meyer à laisser un des ses longs gants bleu ciel en guise de carte de visite, moment immortalisé dans Nadja. Amusée, elle offrit de donner un gant en bronze qui était en sa possession et elle devint ainsi la « dame au gant ». Lorsque Breton regroupera des photographies pour Nadja, il demandera la permission à Lise de photographier ce gant de bronze.

En fait, Lise Meyer va jouer de la passion qu’elle sent en Breton. Celui-ci lui dédie un des rares poèmes de la période et lui adresse une correspondance assez dense, teintée de tristesse et de mélancolie. Mais elle est plus intéressée par l’idée de conquête que par l’homme lui-même et par un quelconque sentiment amoureux réel.

Conformément au contrat moral qui les lie - Breton ne veut pas sombrer dans le jeu sordide de l’adultère et Simone ne veut pas tomber dans le piège d’un amour embourgeoisé - , Simone est mise au courant par Breton et devient la confidente de ce qui ne sera jamais une liaison. Elle suit du reste cette relation de loin puisqu’elle a laissé à Breton sa liberté de mouvement en s’installant quelques mois à Genève.

Lise reste dans l’esprit de Breton la « reine de Saba ». Elle le fascine au point qu’elle est un obstacle dans la relation de Breton avec Nadja. Il reste comme hanté par elle, si bien que Simone, blessée, en juillet 1926 prend ses distances et part seule en vacances.

Angelina Sacco

Fasciné par la voyance, moyen parmi d’autres d’explorer l’inconscient, Breton commence à consulter une voyante aux alentours de juillet 1925.

Cette voyante est Angelina Sacco. Elle reçoit alors la visite de Breton mais aussi d’un grand nombre de ses proches.

Errance dans Paris

Déambuler dans Paris est pour Breton un choix de vie. Il part en quelque sorte en quête du sens de la vie, au coeur des lieux fréquentés comme la gare du Nord ou face aux lieux clinquants comme le Théâtre moderne ou le théâtre des Deux-Masques.

Depuis qu’il est parti de chez Doucet, Breton n’a pas d’emploi. Il s’y refuse et voit en la matière Rimbaud comme un maître à penser.

Simone et Breton doivent par suite se résoudre à une grande frugalité. Ils vivent de quelques droits d’auteur mais encore maigres, de la vente de quelques tableaux, manuscrits et éditions originales.

Nadja

La rencontre

La rencontre a lieu le lundi 4 Octobre 1926. Breton se trouve en fin d’après-midi rue Lafayette ; il s’arrête à la librairie de l’Humanité pour acheter le dernier ouvrage de Trotsky puis repart vers l’Opéra.

Le regard de Breton est attiré par une jeune femme pauvrement vêtue, au sourire indéfinissable, l’air hautain. L’intrigue particulièrement son regard, plein de détresse et d’orgueil.

Rapidement, la conversation s’engage à une terrasse de café. Elle est originaire du nord de la France ; elle dit s’appeler « Nadja », c’est en russe le début du mot « espérance ».

La recontre se fait aussi sous le signe de la littérature : Nadja demande qu’il lui apporte quelques uns de ses livres ; il apportera Les pas perdus et le Manifeste.

Elle semble être l’incarnation d’un idéal que Breton poursuit sans le savoir encore. Elle affiche pour tout une nonchalance calculée : pour ses vêtements, le choix de ses amis, les conventions sociales ... Elle se définit elle-même comme « l’âme errante », ce qui ne peut que plaire à Breton.

L’identité de Nadja

Nadja a été l’objet de nombreuses polémiques depuis qu’elle a été le personnage éponyme de l’oeuvre de Breton. Qui est Nadja ? Et même est-elle autre chose qu’une construction de l’esprit ?

Il semblerait que Nadja ait été Léona Camille Ghislaine D. née aux environs de Lille le 23 mai 1902, dans un milieu ouvrier. Elle doit certainement son pseudonyme non tant au russe qu’elle ignore mais à une danseuse dont c’était le nom de scène.

Elle a eu une petite fille qu’elle a laissée à la garde de ses parents.

Elle vit à Paris d’emplois éphémères, de rapides apparitions sur les scènes de théâtre. Et elle complète ses revenus en accordant ses faveurs à des amis et en acceptant les cadeaux d’admirateurs.

Nadja est insaisissable, ce qui fait son mystère. Ainsi, le lendemain de la première rencontre, c’est une femme élégante qui se présente à Breton.

Breton, entre fascination et agacement

A partir de cette rencontre, Breton organise toutes ses activités, y compris sa vie avec Simone et ses relations avec les amis du groupe, autour de Nadja. Leur relation devient du reste rapidement plus physique.

Breton est d’autant plus attiré par Nadja que leurs rencontres semblent comme inévitables, s’il en croit les effets du hasard qui le font la rencontrer les jours dits avant le moment du rendez-vous.

Breton ne tarde pas à découvrir des aspects plus sordides de la vie de Nadja. A leur quatrième rencontre, le 7 octobre, elle avoue ses difficultés financières, ses démêlées avec la police pour une affaire de drogue, le moyen auquel elle recourt pour subvenir à ses besoins.

Cela ne l’éloigne pourtant pas de Nadja ; il compte même parmi les gentils donnateurs.

Néanmois, les témoins de cette relation entre Breton et Nadja notent l’agacement rapidement né et croissant de Breton face à une Nadja diserte, devisant souvent sous la forme de monologues décousus.

Nadja l’ennuie et perd vite son charme, d’autant qu’elle ne lui accorde pas tout l’intérêt qu’il pense mériter. Si elle s’attache à lui,c’est plus sentimentalement, ce qui contribue à éloigner Breton d’elle.

Paradoxalement, ils deviennent amants le 12 Octobre 1926. Breton, pour échapper peut-être à la conversation échevelée de Nadja l’emmène à Saint-Germain-en-Laye. Arrivés à une heure du matin, ils prennent une chambre à l’hôtel du Prince de Galles.
L ’intimité de la relation physique les sépare plus qu’elle ne les unit. Elle ramène Nadja à des contingences matérielles qu’il voudrait ne pas voir en elle.

Plus il s’éloigne, plus Nadja s’attache. Et constater qu’elle est tombée amoureuse de lui le contriste ; il en fait part dans une lettre adressée à Simone.
Sa dévotion le flatte, même s’il affiche une certaine froideur, mais il est resté attaché à Lise dont il n’arrive pas à se libérer mentalement. L’exaltation de Nadja et son amour pathétique lui portent sur les nerfs.

La complexité de la relation de Breton avec Nadja est confirmée par l’agitation de Breton à l’automne 1926. Il se laisse aller à quelques chahuts désordonnées, dont le chahut lors des « danses surréalistes » présentées par la danseuse Valeska Gert - spectacle organisé par Noll - à la Comédie des Champs-Elysées le 7 novembre 1926.

Breton, pour compenser le goût amer que lui laisse la relation avec Nadja, se lance avec une passion renouvelée dans des relations plus suivies avec le Parti communiste. Breton reprend à son actif la tradition des purges : le premier à en faire les frais, le 23 novembre, est Antonin Artaud. Ce sera ensuite, le 27 novembre 1926, le tour de Soupault.

Les dessins de Nadja

C’est le 12 Octobre 1926 que Nadja remet à Breton son premier dessin, un autoportrait étrange et allégorique.

Quand Breton commence à s’éloigner d’elle, Nadja pour sa part s’attache et commence à lui envoyer des lettres décorées le plus souvent de dessins. On compte parmi ces derniers le portrait de Breton en lion dont la queue emprisonne Nadja en sirène, la « fleur des amants »...

La figure de Nadja

Breton semble avoir cherché à fuir tout ce qui pouvait conférer à Nadja une réalité contingente. Il est charnellement attiré par Nadja et tout à la fois s’en défend. Il voudrait voir en Nadja un esprit éthéré et il est contraint de se battre avec la situation économiquement désastreuse de Nadja.

Breton veut garder de Nadja l’image d’un esprit libre, l’incarnation du génie surréaliste, à l’instar de Vaché.
Nadja, dans l’esprit de Breton, est d’abord une idée, un concept philosophique. Breton voit en Nadja l’aboutissement des idées surréalistes : elle est la réalisation de la liberté à laquelle ils aspirent.

Nadja fut pour Breton comme une porte vers un monde de coïncidences magiques qui le fascine et qu’il veut explorer.

Sortie de scène

Les relations entre Breton et Nadja ont presque cessé en décembre 1926. Breton s’est laissé absorbé par ses relations difficultueuses avec le Parti et a peut-être aussi fui ainsi la fragilité de Nadja qui le déstabilisait et l’ennuyait tout en le fascinant.

Elle s’installe non loin de la rue Fontaine et elle envoie en janvier et février des courriers tristes et teintés de désespoir à Breton.

Elle décide enfin de sortir de la vie de Breton en lui demandant de lui rendre son carnet de notes qu’elle lui avait confié. C’est chose fait à la mi-février. Nadja le remercie ainsi :
« Merci, André, j’ai tout reçu [...]. Je ne veux pas te faire perdre le temps nécessaire à des choses supérieures - tout ce que tu feras sera bien fait - Que rien ne t’arrête - Il y a assez de gens qui ont mission d’éteindre le Feu - Chaque jour la pensée se renouvelle - Il est sage de ne pas s’appesantir sur l’impossible... » (p.322).

L’excentricité de Nadja se transforme rapidement en folie. Victime de crises d’hallucination, elle est amenée à l’infirmerie du dépôt de la police le 21 mars et transférée à l’hôpital le 24.

Le destin de Nadja

Jamais Breton ne viendra lui rendre visite à l’hôpital psychiatrique et il fait une attaque en règle contre la médecine psychiatrique dans Nadja.

Peut-être faut-il y voir un sentiment de culpabilité ; il est probable que face aux symptômes d’une démence naissante Breton a préféré ne regarder que la dimension poétique.

Nadja fit un séjour de quatorze mois en hôpital psychiatrique, puis fut transportée dans un hôpital de Lille en 1928.
Elle meurt d’un cancer en 1941.

De Nadja à Nadja

Le projet d’écriture

Dans l’esprit de Breton, et au grand dam de Nadja, cette dernière devient un symbole. Etudier ce symbole, en faire le portrait, est pour Breton le moyen d’explorer les mystères du hasard.

Nadja entretient avec ce projet une relation ambiguë. Elle est flattée d’être le sujet d’une oeuvre de Breton, mais elle se serait vue l’héroïne d’un roman. Elle est déçue de constater qu’elle n’est qu’une abstraction.
D’autant qu’au quotidien, elle a le sentiment d’être devenue la proie d’un fauve.

Breton laisse cet aspect de côté dans Nadja et s’attache plutôt à faire apparaître la dimension enchanteresse et mystique du personnage.
Nadja se transforme en une sorte de pythie, expression en soi du Surréalisme, dans toute sa puissance.

La rédaction de Nadja

Abattu par son échec avec Lise, déçu par Nadja, abandonné par Simone qui a pris momentanément ses distances, Breton s’installe au manoir d’Ango à Varengeville-en-Mer, en Normandie, début août 1927.
Il y est seul, mais y reçoit les visites de Lise, d’Aragon, de Prévert, de Duhamel.

Cette semi-retraîte va lui permettre de rédiger le livre qui le hante depuis huit mois : le récit de sa rencontre avec Nadja.

Les premiers quinze jours voient Breton se battre avec le préambule. Il voudrait adopter « le ton dépassionné et objectif d’une étude clinique de Freud » (p. 319).
Finalement, Breton tisse entre eux les événements les plus marquants de sa vie. Cela constitue le préambule, un tiers du livre une fois terminé. « Le préambule de Nadja [est] l’une des illustrations les plus subtiles et essentielles jamais écrites des coïncidences et du »merveilleux« tels que les surréalistes les conçoivent » (p.320).

Ce préambule prépare la venue de Nadja : il tend à mettre en place sa thèse selon laquelle les coïncidences fortuites ont une valeur déterminante.

Dans la deuxième partie, Breton fait le récit minutieux des dix jours passés avec Nadja et de la fin de leur relation. Son ambition est de créer une atmosphère, plutôt que de raconter.

Breton rédige la dernière partie de Nadja fin 1927 après un mois de novembre agité par la rencontre de Suzanne Muzard et leur escapade amoureuse dans le midi, au nez et la barbe de Berl. Au lendemain de Noël, Berl rend la pareille à Breton en partant pour la Tunisie avec Suzanne.

La dernière partie est ainsi consacrée à l’irruption de Suzanne dans sa vie, signe du hasard merveilleux.

La question du genre

Breton adopte par certains aspects une démarche romanesque ; il poursuit des fins narratives au bénéfice desquelles il arrange la réalité.

Mais Breton retranscrit aussi avec une grande rigueur la révélation que fut pour lui Nadja. Il explore son propre esprit pour examiner les effets que Nadja a eu sur lui et le sens que peut avoir cette apparition.
Certains commentateurs poussent ainsi à voir dans Nadja tout à la fois un manifeste lyrique du Surréalisme et une manière de confession.

L’oeuvre reste empreinte de la subjectivité de Breton. Il s’est fait fort de gommer toutes les données objectives afférant au personnage social de Nadja. A aucun moment il ne dévoile sa véritable identité ni n’insère - il le fera dans l’édition de 63 sous la forme du quadruple bandeau de ses yeux - des photographies d’elle.

Il contribue à faire de Nadja une pure émanation.

Il transforme jusqu’à la folie de Nadja qui se métamorphose sous sa plume en une illumination révélatrice de l’être derrière la raison et la logique.

Valeur des photographies

Les photographies introduites dans l’oeuvre sont, dans l’édition originale, au nombre de quarante-quatre.

Elles ont pour fonction d’authentifier l’écrit et d’en effacer toute logique narrative.

Elles fixent visuellement les personnes, lieux et objets et illustrent ainsi les moments clefs du texte.

Elles invitent à porter sur certains détails de la réalité le regard que Breton a porté sur eux.

Histoire de la publication

Fin août 1927, Breton rentre à Paris avec son manuscrit et en fait lecture à ses amis qui l’accueillent avec enthousiasme.

Encouragé, il en publie la première partie dans Commerce et un autre extrait sera publié dans La Révolution surréaliste, en mars 1928.

Breton rassemble également en septembre 1927 des photographies pour compléter le texte ; pour les portraits, il fait appel à Man Ray, pour les vues de Paris à Boiffard.

A la mi-novembre, Breton rencontre Emmanuel Berl pour discuter du projet éditorial. Il envisage de publier certains ouvrages surréalistes, dont Nadja et Le Traité du style. Ce premier projet avorte, Breton et Suzanne Muzard, la maîtresse de Berl, s’étant épris l’un de l’autre. Suzanne est la première des « amours prédestinées » de Breton.

Nadja occupe ainsi la place d’une parenthèse ; elle est en soi expérience surréaliste.

Notes

[1p.12, cité de Marguerite Bonnet André Breton, Naissance de l’aventure surréaliste, Paris, José Corti, 1975, p.22

[2p.15, cité de André Breton Le Manifeste du Surréalisme, Paris, Gallimard, Collection de la Pleäde, 1988, T.1

[3p.22, cité de Marguerite Bonnet André Breton, naissance de l’aventure surréaliste, Paris, José Corti, 1975, p.64

[4p.23, cité de Marguerite Bonnet André Breton, naissance de l’aventure surréaliste, Paris, José Corti, 1975, p.52

[5entretiens, p.44-45

[6Nosferatu

[7cit. p.193

[8RS, n°1, 1er décembre 1924, p.1-2.

Partager

Imprimer cette page (impression du contenu de la page)