La structure du Conte du Graal et son statut de modèle littéraire au Moyen Age

, par PLAISANT-SOLER Estelle, Lycée Saint-Exupéry, Mantes-la-Jolie

Le Conte du Graal peut être qualifié de modèle littéraire du Moyen Age en ceci qu’il donne véritablement naissance au mythe du Graal, même si la question de ses sources est problématique : mythe promis à une immense fortune littéraire, tant par les Continuations auxquelles son inachèvement donne naissance, que par les romans en prose qui voient le jour autour du thème de la quête du Graal.

Mais à cette influence thématique s’ajoute également un rôle fondateur du point de vue de la technique romanesque. Bien sûr, la versification sera peu à peu abandonnée, au tournant du 13ème siècle, pour la prose. Mais la structure si particulière du Conte du Graal joue un rôle fondateur. Alors qu’on a longtemps négligé la « partie Gauvain » au point de nommer son œuvre Perceval, c’est cette technique particulière de la « conjointure » romanesque qui va devenir une des constantes et des caractéristiques essentielles des proses du Graal.

A) L’entrelacement structure l’œuvre dans son ensemble

La question de la structure du Conte du Graal pose problème, et ce pour plusieurs raisons

A la différence des romans antérieurs de Chrétien, qui se laissent facilement ramené à une schéma simple, le Conte du Graal frappe par son caractère composite, centré sur deux chevaliers, à tel point qu’on peut parler d’une « partie Perceval » et d’une « partie Gauvain ».

Cette difficulté est encore renforcée par l’inachèvement de l’œuvre, qui empêche de savoir si les aventures « ouvertes », c’est-à-dire celles qui n’ont pas trouvé leur aboutissement, devaient le rester ou non, par exemple.

Pourtant, dans le prologue d’Erec et Enide, Chrétien affirme bien que la principale qualité qu’il se reconnaît est celle de la « belle conjointure », c’est-à-dire d’une belle structure :

Erec et Enide, vers 13-14 : « Et il tire d’un conte d’aventure une fort belle composition »

On a parfois émis l’hypothèse pour expliquer ce caractère composite que la « partie Perceval » et la « partie Gauvain » étaient deux romans séparés que Chrétien avait entrepris en même temps, et qui avaient été rassemblés sans son accord par des clercs après sa mort. Cependant, plusieurs éléments interdisent d’adopter cette hypothèse :
 La question de la Lance qui saigne, qui apparaît dans les deux parties
 Les nombreux points communs et symétries entre le château du Graal et le château des Reines
 Les renvois que les aventures de Gauvain font implicitement aux aventures de Perceval.
 Enfin, le fait que Chrétien se soit déjà initié à ces entrelacements entre deux aventures au sein du Chevalier au Lion, au cours duquel il renvoie à trois reprises au Chevalier de la Charrette. Le Conte du Graal serait ainsi le signe d’une évolution dans l’art de Chrétien. Ce sont ces techniques particulières d’une « conjointure » nouvelle qu’il faut analyser.

Une articulation méticuleuse des deux intrigues

Le Conte du Graal, aussitôt après le prologue, commence par rapporter les aventures de Perceval jusqu’à la p. 124. Toutefois, la première articulation entre les aventures de Perceval et celles de Gauvain a été préparée par un faisceau d’éléments, ou d’épisodes antérieurs, qui font de la rencontre des deux héros une scène attendue, un aboutissement logique au plan narratif. Elle coïncide de plus avec l’arrivée de messagers (la Demoiselle Hideuse et Guingambrésil) qui lancent les chevaliers dans des quêtes nouvelles, et, en ce qui concerne Perceval et Gauvain, la réparation de fautes passées. La place même de ce « nœud » est stratégique : il s’agit, du moins dans l’état d’inachèvement du texte, du centre exact de l’œuvre. Or c’est un lieu extrêmement important dans bon nombre d’ouvrage médiévaux.

Plusieurs éléments préparent la rencontre de Perceval et Gauvain. Ce dernier, en tant que chevalier de la Table Ronde attaché au roi Arthur, fait partie de la cour de ce dernier quand celle-ci se lance à la recherche de Perceval, dont tous ignorent d’ailleurs encore le nom. Cette quête de Perceval par Arthur fait pendant à la quête initial d’Arthur (« le roi qui fait les chevaliers ») par Perceval. De plus, Gauvain interroge Arthur sur l’identité du chevalier qui a vaincu l’Orgueilleux de la Lande :

p. 109 : Messire Gauvain s’est assis à la droite du roi et lui a dit : « Au nom de Dieu, sire, qui est donc ce jeune champion qui a vaincu en dur combat un chevalier aussi vaillant ? Dans toutes les îles de la mer non, je n’ai ni vu ni entendu nommer nul chevalier qui en prouesse et en chevalerie vaille l’Orgueilleux de la Lande ! »

D’ailleurs, le lecteur au fait de la fonction de Gauvain dans les romans de Chrétien (accoler le meilleur chevalier), il ne peut que s’attendre à cette rencontre. D’autant plus que l’échec de Keu lors de sa tentative pour amener le chevalier auprès de la cour du roi évoque très précisément celle qu’on trouve dans Erec et Enide (vers 3979 à 4155, p. 186 à 192). La rencontre entre Perceval et Gauvain est très vite marquée par l’amitié : signe de l’intégration de Perceval dans l’univers arthurien par la prouesse et la courtoisie (extase devant les trois gouttes de sang). Mais cette concorde est très vite troublée par l’arrivée successive de la Demoiselle Hideuse et de Guinganbrésil, qui adressent des reproches aux chevaliers et les lancent sur des quêtes séparées.

Chrétien indique que désormais, il va se consacrer exclusivement à Gauvain, et donc qu’il laisse de côté les aventures de Perceval :

p. 124 : « Et messire Gauvain s’en va. Maintenant je vous conterai ses aventures. »

L’alternance entre les aventures des deux personnages est longuement préparées (question de Gauvain à Arthur, retrouvailles entre Perceval et la cour arthurienne reliées par tout un réseau de rappels aux aventures qui précèdent, départ séparé des héros vers de nouvelles quêtes). Elle correspond à une intention claire de l’auteur.

Désormais, l’alternance des deux aventures et leur entrelacement, est prévisible pour le lecteur :

p. 153 : « A cet endroit, le conte se tait de messire Gauvain, et reparle de Perceval. »

L’ultime retour aux aventures de Gauvain se produit aussi brutalement que l’entrelacement précédent : Les aventures de Gauvain reprennent à peu près là où on les avait laissées, mais il y a un certain flou.

« Ici le conte ne parle plus de Perceval, mais maintenant rapporte l’histoire de Gauvain. »
En fait, cette traduction est incomplète : « Le conte s’arrête ici de parler plus longuement de Perceval, et vous m’aurez beaucoup entendu parler de monseigneur Gauvain, avant que le conte revienne à lui. »

Ces éléments montrent que l’entrelacement est vraiment réfléchi et intentionnel chez Chrétien même lorsque la technique est plus relâchée, puisqu’il annonce un retour durable aux aventures de Gauvain, et il laisse entendre qu’il reviendra à Perceval plus tard. Au bout du compte, l’œuvre accorde presque autant d’espace à Gauvain qu’à Perceval. L’importance et le caractère concerté de cette « conjointure » a d’ailleurs été analysé par Jacques Ribard dans « L’écriture romanesque du Conte du Graal » et Michelle Szkilnik dans Perceval ou le Roman du Graal de Chrétien de Troyes, chap. II : « Conjointure et disjointure ». Cette structure double n’est d’ailleurs pas si étonnante au regard des personnages : le roman s’avère double, à l’image de Perceval (Gallois et chevalier, puis Perceval le Gallois et Perceval le Chétif) et à l’image de Gauvain, porteur de deux écus. De plus, l’unité du roman est renforcée par d’autres techniques narratives.

Une technique renforcée par un jeu d’échos et de correspondances

Plusieurs motifs unissent, par un jeu d’échos, la « partie Gauvain » à la « partie Perceval ». L’épisode de Tintagel, malgré sa futilité apparente, renoue ainsi avec plusieurs épisodes propres aux aventures de Perceval : la Pucelle aux Petites Manches, par sa clairvoyance vis à vis des mérites du chevalier méconnu, rappelle la Demoiselle qui n’avait pas ri depuis six ans, toutes deux giflées pour leurs prédictions, Garin peut évoquer Gorneman et l’exploit libérateur de Gauvain celui de Perceval à Beaurepaire. Ce jeu de correspondances et d’échos donne en fait son unité à l’ensemble du Conte du Graal : le château des Reines rappelle celui du Roi Pêcheur, notamment par la merveille et l’importance de la couleur vermeil, la Lance qui saigne est présente dans les deux parties.

Deux trajets en symétrie inverse qui laissent entendre une structure en chiasme

Ces motifs en correspondance permettent de déceler un travail de construction qui repose sur une structure en chiasme, en symétrie inverse, un effet de miroir. Ainsi Escavalon a été brillamment analysé par Antoinette Saly omme un Beaurepaire à l’envers dans « Beaurepaire et Escavalon ». Ses conclusions sont d’ailleurs approfondies dans un autre article : « La récurrence des motifs en symétrie inverse et la structure du Perceval » auquel nous renvoyons et dont nous nous contentons ici de proposer les conclusions. La cousine de Perceval et l’amie de Gréorréas, deux figures de « pietà » clairement rapprochées par des échos intratextuels, permettent également de dessiner un effort de conjointure particulier :

 Partie Perceval : Beaurepaire - Château du Graal - Pietà - l’Orgueilleux de la Lande - cour d’Arthur (partie à la recherche de Perceval)

 Partie Gauvain : Escavalon - Ermitage - Pietà - Orgueilleuse - château des Reines - Cour d’Arthur (appelée par Gauvain)

Les ressemblances, on le voit, sont frappantes, et permettent de relire les personnages de l’Orgueilleux de la ande et de l’Orgueilleuse de Logres. La fonction de pivot de l’épisode de l’ermitage, alors que le narrateur annonçait un retour de Perceval :

p. 159 : « Ici le conte ne parle plus de Perceval, mais maintenant rapporte l’histoire de Gauvain. »
Traduction incomplète de : « Le conte s’arrête ici de parler plus longuement de Perceval, et vous m’aurez beaucoup entendu parler de monseigneur Gauvain, avant que le conte revienne à lui. »

permet alors de comprendre que la structure attendue de ce roman inachevé était :
Perceval - Gauvain - ermitage / Perceval - Gauvain - Perceval

B) L’entrelacement, une pratique narrative inaugurée par Chrétien et appelée à un grand essor dans le roman en prose

Cette technique narrative de l’entrelacement, inaugurée par Chrétien dans le Conte du Graal après avoir été amorcée dans le Chevalier au Lion se retrouve dans le roman arthurien en prose du 13ème siècle. On retrouve d’ailleurs dans la Quête du Graal des formules qui évoquent très précisément celles du Conte, comme l’a montré Emmanuèle Baumgartner dans De l’histoire de Troie au livre du Graal : « Les techniques narratives dans le roman en prose » :

 Dans le Conte du Graal :

p. 124 : « Et messire Gauvain s’en va. Maintenant je vous conterai ses aventures. »

p. 153 : « A cet endroit, le conte se tait de messire Gauvain, et reparle de Perceval. »

p. 159 : « Ici le conte ne parle plus de Perceval, mais maintenant rapporte l’histoire de Gauvain. »
En fait, cette traduction est incomplète : « Le conte s’arrête ici de parler plus longuement de Perceval, et vous m’aurez beaucoup entendu parler de monseigneur Gauvain, avant que le conte revienne à lui. »

 Dans la Quête du Graal :

La Quête du Graal, p. 73 : « Mais ici le conte se tait d’eux et parle de Galaad, parce que c’est lui qui avait fait le commencement de la Quête. »

La Quête du Graal, p.75 : « Le conte dit que, lorsque Galaad se fut séparé de ses compagnons, il chevaucha trois ou quatre jours sans rencontrer aventure. »

La Quête du Graal, p.88 : « Mais ici le conte laisse Galaad, et rapporte l’aventure de Mélyant. »

La Quête du Graal, p.97 : « Mais ici le conte cesse de parler de Galaad, et revient à monseigneur Gauvain. »

La Quête du Graal, p.100 : « Mais ici le conte cesse de parler d’eux, et revient à Galaad. »

La Quête du Graal, p.115 : « Mais ici le conte cesse de parler de lui et retourne à Perceval. »

La Quête du Graal, p.154 : « Mais ici le conte cesse de parler de Perceval, et revient à Lancelot, qui était resté chez le prud’homme dont il avait si bien appris le sens des trois paroles entendues dans la chapelle. »

La Quête du Graal, p.183 : « Mais ici le conte cesse de parler de lui et retourne à messire Gauvain. »

L’entrelacement justifie d’ailleurs chaque changement de chapitre de l’édition. Cette technique de l’entrelacement est d’ailleurs une des caractéristiques essentielles et une des constantes du roman arthurien en prose. Le récit de la Quête, à la manière du Conte du Graal, malgré son inachèvement, relate successivement les aventures de divers chevaliers, jusqu’à ce que ces errances convergent et se retrouvent. Ces péripéties, parfois concomitantes, permettent de donner une épaisseur au temps romanesque tout en faisant de la quête une véritable quête collective. A la différence de ses premiers romans, Chrétien parvient dans le Conte à donner naissance à une véritable épopée. La place centrale des retrouvailles à la cour d’Arthur, dans le texte tel qu’il nous est parvenu, est essentielle : désormais les chevaliers de la Table Ronde ne sont plus de simples figurants comme dans Erec ou Cligès mais participent véritablement à une quête collective. L’importance donnée à Gauvain, personnage clé du roman arthurien va dans ce sens. Il n’est plus le simple faire-valoir et la référence permettant de mesurer la prouesse et la courtoisie des chevaliers éponymes : à l’image des autres membres de la cour arthurienne, il participe à l’épopée. Du point de vue de la technique romanesque, le Conte du Graal est donc véritablement un modèle littéraire.

C) Aventures ouvertes / aventures closes : un appel aux continuations

Aventures ouvertes et aventures closes du Conte du Graal

La pratique de l’entrelacement dans le Conte du Graal semble cependant problématique, peut-être en raison de l’inachèvement de l’œuvre : les aventures de Perceval en effet, semblent closes, à la différences des aventures de Gauvain.

La « partie Perceval », construire comme un roman d’éducation, est marquée par la clôture. Cette structure repose étroitement sur la technique de l’entrelacement, adoptée cette fois à l’intérieur de chacune des parties. Les étapes franchies par le personnage sont en quelque sorte programmées dès le début de l’ouvrage, dans les conseils que la mère prodigue à son fils qui va la quitter pour se rendre à la cour du roi Arthur. De là découle, au plan de la conjointure, une sorte de prévisibilité des aventures rencontrées par le personnage. Les conseils de la mère tiennent en effet en trois points, qui seront les trois étapes de son éducation : p. 43 - 44 :
 Un enseignement de nature courtoise, qui annonce les aventures de la Demoiselle de la Tente, de la Pucelle qui n’avait pas ri et de Blanchefleur
 Un enseignement de nature sociale sur les relations à entretenir avec les autres chevaliers, qui annonce Gornemant et l’apprentissage chevaleresque
 Un enseignement de nature religieuse, qui annonce la confusion entre la tente de la Demoiselle et l’église, puis l’oubli de Dieu réparé à l’ermitage.

Bref, le parcours suivi par Perceval, s’il est jonché de comportements naïfs dans un premier temps, obéit à une progression très nette et se déroule de telle sorte que la plupart des aventures trouvent un dénouement au sein du récit, même si le rachat de telle ou telle erreur peut être différé, séparé de son point de départ par la mise en route ou la conclusion de plusieurs péripéties. Il en va ainsi de l’épisode de la Demoiselle de la Tente qui trouve sa conclusion lors du combat contre l’Orgueilleux de la Lande, ou de la Pucelle qui n’avait pas ri, qui est vengée lors de l’extase devant les trois gouttes de sang. En ce qui concerne cette dernière, le conte est d’ailleurs très clair, car il ne cesse de répéter la clôture à venir :

p. 108 : « Dieu l’aide comme il lui demande, jamais ne viendra en cette cour avant qu’il ne vous ait vengée du soufflet que vous avez reçu. » Quand le fou entend ces paroles, de joie il bondit »

Et cette clôture une fois faite, est encore soulignée par les personnages :

p. 117 : « Elle a donc été bien vengée, la pucelle qu’avait giflée le sénéchal »

Autant les aventures de Perceval paraissent programmées par le discours initial de sa mère, autant celles de Gauvain échappent à toute logique prévisible. Bon nombre d’épisodes le concernant n’ont pas d’issues, non seulement parce que le roman est inachevé, mais aussi parce que certaines amorces de péripéties ou d’histoires tournent court. Avant son arrivée au château d’Escavalon, par exemple, Gauvain se lance dans une chasse : il suit la piste d’une biche qui finalement lui échappe (son cheval perd un fer). L’épisode est déceptif, mais c’est peut-être là tout son sens. La chasse, dans les récits relevant de la matière de Bretagne, est souvent l’étape préalable qui guide le héros vers une aventure merveilleuse (cf. Guigemar chez Marie de France). On peut dès lors en déduire que l’inachèvement des péripéties de la « partie Gauvain » est voulue. Raison pour laquelle Paule Le Rider a pu déceler dans les aventures de Gauvain deux étapes : d’abord un voyage, avec un but précis, Escavalon, puis une errance, comme l’a montré Paule Le Rider dans Le Chevalier dans le Conte du Graal de Chrétien de Troyes, chap. VIII : « Comment aborder l’histoire de Gauvain » . Mais cette ouverture, si elle est signifiante, est également un appel aux continuations.

Le devenir des amorces laissées en suspens par l’inachèvement du Conte du Graal dans les différentes Continuations

Pour développer son récit, le continuateur dispose de plusieurs ressources, et notamment les péripéties restées ouvertes dans le texte initial, inachevé, et qu’il convient de prolonger et de clore. De ce point de vue également, le Conte du Graal a acquis un statut de modèle littéraire du Moyen Age : les aventures de Gauvain étaient marquées par l’ouverture, et l’épisode du cortège du Graal restait encore largement énigmatique. La dernière scène du Conte du Graal, par la clarté de ses amorces, est presque un appel à la continuation, que la Première Continuation accomplira. L’auteur en effet reprend fidèlement les événements que Chrétien avait ébauchés :
 Gauvain avait prédit la liesse de la cour d’Arthur
 Le messager rapporte fidèlement les mots prononcés par Gauvain.

Cependant, la question de l’Autre Monde semble s’estomper, et Gauvain est désormais libre de reprendre la route.

Cette question des amorces et de leur appel aux continuations a été analysé par Annie Combes et Annie Bertin dans Ecritures du Graal. D’autres amorces étaient clairement définies dans le Conte du Graal, et notamment grâce aux propos de la Demoiselle Hideuse qui offre aux chevaliers de la Table Ronde plusieurs aventures : le Château Orgueilleux, lieu de joutes et de prouesses vers lequel s’élance Giflet. Gauvain, lui, choisit Monteclaire, où la délivrance d’une demoiselle doit permettre de gagner l’épée aux Estranges Ranges, avant de devoir abandonner ce projet pour suivre Guingambrésil. Enfin, indépendamment des suggestions fournies par la Demoiselle, Kahedin annonce son départ pour le Mont Douloureux, tandis que Perceval promet de tout tenter pour réparer son erreur au château du Roi Pêcheur. Les auteurs des différentes continuations vont prendre plus ou moins appui sur ces suggestions de leur modèle littéraire.

Ainsi, la Première Continuation oublie Montesclaire, la quête de la Lance et ne donne suite qu’aux aventures de Giflet au Château Orgueilleux où, vaincu, il est retenu en prison. Par contre, il préfère imaginer un rebondissement à l’épisode de Tintagel : Mélian de Liz est en fait mort de ses blessures, et Gauvain est poursuivi par son lignage, alors même que la Pucelle de Liz s’offre à lui et donne naissance à son fils.

La Seconde Continuation par contre, multiplie les références à son modèle, en choisissant à nouveau Perceval comme personnage principal, Perceval oublié de la Première Continuation, en le ramenant à Beaurepaire, et en reprenant l’amorce énoncée par Kahedin dans le Conte du Graal : la question du Mont Douloureux.

La Troisième Continuation, qui prolonge la seconde, également inachevée, reprend et développe le thème de la blessure du Roi Pêcheur et du coup félon et précise les modalités de la guérison du roi. On retrouve aussi la lutte contre le lignage d’Escavalon avec le combat entre Perceval et Aridès d’Escavalon.

Enfin, Gerbert de Montreuil, dans la Quatrième Continuation, permet quant à lui les retrouvailles entre Perceval et Gorneman et donne une conclusion à l’amour de Blanchefleur et Perceval en racontant leurs noces. Il reprend aussi, même si cet épisode est seulement présenté sous forme de résumé par l’édition Folio, l’amorce du château de Montesclaire, et reprend le récit du combat contre le Chevalier Vermeil en confrontant Perceval aux quatre fils de celui qu’il a abattu lors de son premier combat.

De par sa structure, le Conte du Graal est un des grands modèles littéraires du Moyen Age. Par son inachèvement et l’ouverture de certaines de ses péripéties, il donne naissance à un vaste ensemble textuel de continuations, tandis que sa technique nouvelle de l’entrelacement est promise à un brillant avenir dans les romans en prose arthurien du 13ème siècle.

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