Réécritures du Conte du Graal : le texte de Chrétien et ses continuations médiévales

, par PLAISANT-SOLER Estelle, Lycée Saint-Exupéry, Mantes-la-Jolie

LA LITTÉRATURE MÉDIÉVALE DU GRAAL

Tableau synoptique des continuations et des réécritures médiévales du Conte du Graal

I. Chrétien et ses sources

Œuvre Date Description
Historia Regum Britanniae
Geoffroy de Monmouth
1135 Cette œuvre marque l'introduction de la « matière de Bretagne » dans la littérature européenne. Il n'est pas encore question du Graal, mais les fondements de la légende arthurienne prennent forme. Les légendes celtiques, le merveilleux et l'idéal chevaleresque permettent de donner à Arthur une grandeur comparable à celle de Charlemagne et donne à la dynastie des Plantagenêt une ascendance glorieuse.
Roman de Brut
Wace
1155 Wace traduit et adapte librement en anglo-normand l'œuvre de Geoffroy de Monmouth. Il invente notamment la Table Ronde.
Le Conte du Graal
Chrétien de Troyes
1180 Dans ses cinq romans de chevalerie, Chrétien de Troyes développe la légende arthurienne et la « matière de Bretagne ». Il donne notamment une unité au cadre arthurien en fixant un ensemble de personnages clés dans lesquels puiseront ses continuateurs.

II. La littérature médiévale du Graal après Chrétien

Œuvre Description Nature du Graal et de son héros
Première Continuation de Perceval ou Continuation Gauvain
Œuvre du pseudo-Wauchier de Denain
Composée durant les toutes dernières années du 12ème siècle pour la version courte, les versions longues datant du début du 13ème siècle

Folio p. 222 à 235 pour le premier épisode, à savoir le combat contre Guiromelan laissé en suspens par Chrétien de Troyes.

Texte et traduction intégrale :
Première Continuation de Perceval, Ed. William Roach, traduction et présentation par Colette-Anne Van Coolput-Storms, Le Livre de Poche, coll. « Lettres Gothiques », n°4538, 1993.

Cette Première Continuation suit les aventures de Gauvain en oubliant à peu près totalement (du moins pour la plus ancienne version) le personnage de Perceval. C'est au tour de Gauvain de se rendre, et d'échouer, au Château du Roi Pêcheur. Cependant, les modifications du texte de Chrétien sont nombreuses. On ne peut plus à proprement parler de cortège, le Roi Pêcheur n'est plus mehaigné, et le Graal se déplace tout seul. Il se rapproche d'ailleurs dans cette version des chaudrons d'abondance du folklore celtique. Si la Lance qui saigne est christianisée par son assimilation à la lance de Longin, il n'en va pas de même pour tous les motifs de cette scène qui reste très largement mystérieuse, voire angoissante.

Parzifal
Wolfram von Eschenbach
Peu après 1203 - 1204
Un roman du Graal allemand qui s'inspire assez précisément du Conte du Graal de Chrétien de Troyes La nature du Graal y est très intéressante. Cette œuvre en effet s'inspire également de sources indo-européennes.
Deuxième Continuation ou Continuation Perceval
Œuvre de, ou rédigée sous l'autorité de Wauchier de Denain
Composée vers 1205 - 1210
Folio p. 236 à 243 et 247 à 265 à peu près. Cette continuation se clôt après la tentative de Perceval de ressouder l'épée brisée. Tentative presque réussie, mais pas tout à fait puisqu'il reste une petite fêlure sur la lame. Or Perceval a posé les questions du Graal et de la Lance et rien ne s'est produit : la prouesse attendue de la part du héros du Graal est donc renouvelée. Cette œuvre par contre, se recentre sur Perceval et se rapproche, en ce qui concerne le Graal, du texte de Chrétien : il y a à nouveau une procession, le Roi Pêcheur ne se déplace plus. La voie est ouverte vers une christianisation du Graal, et ce par divers épisodes, comme l'enfant dans l'arbre. Christianisation que l'œuvre de Robert de Boron fixera
Le Roman de l'Histoire du Graal
Robert de Boron
Composée vers 1200, mais il est probable qu'il ait eu connaissance des deux premières continuations
L'œuvre de Robert de Boron est conçue comme un roman en vers en trois parties : l'Histoire du Graal, le Merlin et le Perceval. Mais si nous avons conservé le Roman de l'histoire du Graal, il ne reste du Merlin en vers qu'un fragment et son Perceval en vers est perdu.

Le Roman de l'histoire du Graal, traduction par Alexandre Micha, Champion, 1995.

Cette œuvre marque une étape décisive dans l'évolution médiévale du mythe du Graal. Son œuvre, qui s'appuie sur Chrétien de Troyes et Wace (pour le personnage de Merlin notamment) se veut une christianisation : Merlin devient un « sergent » de Dieu et le Graal est relié aux Evangiles Apocryphes grâce auxquelles il devient une relique : le plat de la dernière Cène et le récipient dans lequel Joseph d'Arimathie a recueilli le sang du Christ

Mises en proses des romans en vers de Robert de Boron : Merlin et Perceval, dont il nous reste deux manucrits : le Didot-Perceval et le Perceval de Modène.
Composées vers 1200 - 1210

Les deux dernières parties de l'œuvre de Robert de Boron nous restent à travers des mises en prose. De son Perceval notamment, nous n'avons que deux manuscrits en prose que l'on appelle le Didot-Perceval et le Perceval de Modène.

Merlin : Traduction par Alexandre Micha, GF - Flammarion n°829, 1994.
Perceval : Traduction par Emmanuèle Baumgartner sous le titre « Merlin et Arthur : le Graal et le Royaume », dans La Légende arthurienne, le Graal et la Table Ronde, Robert Laffont, coll. Bouquins, 1989.

 

Le Graal est christianisé, conformément à l'Histoire du Saint Graal en vers de Robert de Boron. Le héros est Perceval, conformément au Conte du Graal de Chrétien, auquel il est d'ailleurs fait plusieurs fois référence, de façon explicite ou implicite, lorsque certaines aventures évoquent précisément celles du Perceval de Chrétien. On retrouve également un certain nombre de motifs issus des deux premières Continuations.
Le motif de la question à poser demeure, de même que l'échec de Perceval lors de sa première visite au Château du Roi Pêcheur. Le personnage de Gauvain par contre, disparaît totalement, et certaines de ses aventures sont désormais attribuées à Perceval, comme le tournoi contre Mélian de Lis.
Ces mises en prose sont importantes dans le devenir de la littérature arthurienne et du Graal. La prose en effet servait auparavant pour la traduction et le commentaire des textes sacrés. Désormais, le Graal est valorisé et en quelque sorte authentifié. Le lien entre le Graal et la prose est si étroit que, hormis les deux dernières Continuations du Conte du Graal, toujours en vers, les autres œuvres traitant du Graal sont désormais en prose.

 
Perlesvaus, Li Haut Livre du Graal
Inconnue

On ignore l'auteur et la date de cette œuvre. Il est certain qu'elle a été écrite après le Conte du Graal et le Perceval de Robert de Boron auxquelles elle emprunte des éléments, mais on ne sait pas si elle se situe avant ou après le cycle du Lancelot-Graal.

Traduction Christiane Marchello-Nizia, dans La Légende arthurienne, le Graal et la Table Ronde, Robert Laffont, coll. Bouquins, 1989.

 

Un roman qui fait suite au Conte du Graal. En effet, il s'ouvre alors que Perceval (qui se nomme dans l'œuvre Perlesvaus, puis Par-lui-fait, puis Perceval) vient d'échouer au château du Roi Pêcheur. Nous suivons d'abord l'itinéraire de Gauvain, à la recherche du « bon chevalier » Perlesvaus, puis nous retrouvons ce dernier. La structure est donc inverse par rapport à celle de Chrétien. Un points intéressant : la violence du récit. A la différence de la Quête du Graal, l'œuvre de renie pas la chevalerie terrestre, mais est au contraire, un appel à la croisade, dans son opposition systématique entre l'Ancienne Loi, la Nouvelle, et la religion des sarrazins.

Le cycle du Lancelot-Graal, avec notamment la Quête du Saint Graal
La composition de ce cycle se situe entre 1215 et 1235.
Par contre, le Lancelot en prose et la Quête du Saint Graal qui lui est de peu postérieure, datent des environs de 1220.

Le cycle du Lancelot-Graal est un grand ensemble élaboré en cinq parties, dont l'ordre de composition est le suivant : Lancelot, la Quête du Saint Graal, la Mort le roi Artu, auxquelles viennent s'ajouter une Histoire du Saint Graal et une Histoire de Merlin qui ne sont pas celles de Robert de Boron.

La Quête du Graal, traduction Albert Béguin et Yves Bonnefoy, Editions du Seuil, coll. Points Sagesse, 1965.
La Quête du Saint Graal, traduction Emmanuèle Baumgartner, Champion, 1999.

 

La Quête du Saint Graal se consacre exclusivement à l'objet mythique. Son apparition lors de la Pentecôte dès les premières pages du roman lance l'ensemble des chevaliers de la Table Ronde sur sa quête. On y retrouve Gauvain, mais ce dernier, symbole même d'une chevalerie trop terrienne, échoue. Lancelot, marqué par le péché et la faute que représente son amour pour Guenièvre ne peut que très rapidement apercevoir le Graal, après sa conversion, tandis que Perceval, Bohort et Galaad seuls parviennent au Graal dont Galaad découvre les ultimes secrets.
Tout en conservant le héros initial de la quête, Perceval, c'est désormais Galaad, fils de Lancelot et de la fille du Roi Pêcheur, chevalier vraiment pur à la « semblance » du Christ qui devient le héros du Graal.

Troisième Continuation
Œuvre de Manessier.
Composée vers 1225 - 1230
Folio p. 266 à 291, 327 à 336, 355 à 357.
Cette continuation s'enchaîne à la Deuxième Continuation, restée inachevée.
Puisque les questions posées par Perceval juste avant la fin (qui n'en est pas une) de la Seconde Continuation, cette œuvre déplace la prouesse attendue : il s'agit désormais de venger le coup félon en tuant son auteur : Partinax. Avec cette modificiation essentielle, la Troisième Continuation achève l'histoire de Perceval, qui succède au Roi Pêcheur au Château du Graal.
Continuation du Conte du Graal
Œuvre de Gerbert de Montreuil.
Composée vers 1226 - 1230
Folio p. 244 à 246, 292 à 326, 337 à 354.
Cette continuation, contemporaine de l'œuvre de Manessier, mais rédigée de façon indépendante, s'enchaîne également à la Deuxième Continuation.
L'œuvre de Gerbert de Montreuil, bien qu'elle soit inachevée, à la différence de la Troisième Continuation, oriente, comme l'œuvre de Manessier, le motif du Graal dans un sens nettement religieux. La christianisation du mythe est désormais acquise, et ce depuis l'œuvre de Robert de Boron.

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