Comment utiliser les appuis ?

, par MOREL d’ARLEUX Alix, Collège Albert Thierry, Limay

Nous le voyons, pour donner envie d’écrire à nos élèves, nous pouvons nous fonder sur des appuis nombreux. L’imagination et la créativité du professeur trouvent un vrai plaisir à ce jeu de recherche et de poursuite des chemins qui mènent à l’écriture. Mais une fois que ces supports ont été trouvés, il nous faut les offrir à nos élèves. Nous aimerions tous connaître la formule magique des sujets qui « marchent », ces sujets qui éveillent chez nos élèves l’envie d’écrire, qui leur procurent un réel plaisir, qui nous permettent de les lire avec plaisir et de les évaluer simplement.

I . La formulation des sujets

1. La terminologie

Nous cherchons à formuler nos sujets de façon précise, à dire aux élèves ce que nous attendons d’eux. Nous mentionnons donc souvent les points de grammaire sur lesquels il leur faudra être vigilants. En outre, le désir de trouver un barème précis (donc juste) peut nous porter à considérer de très près le respect d’un certain nombre de contraintes d’ordre grammatical ou linguistique.

La formulation de contraintes précises peut constituer une aide pour des élèves en difficulté. Mais la complexité de la consigne peut aussi rendre son accès difficile et oblige à veiller au choix des mots, à leur explicitation. Nous pouvons aussi formuler les sujets de façon « double » (implicite et explicite). En outre « trop de consignes tuent la consigne ». Un trop grand nombre de contraintes ou de critères d’évaluation rend le sujet difficile à mettre en œuvre. Certaines grilles d’évaluation demandent de respecter tant de contraintes que le flux de l’écriture ne peut jaillir.

Exemple : une rédaction à propos du texte « Le notaire du Havre »

Imaginez qu’à la suite de cette dispute Monsieur Pasquier et Monsieur Ruaux soient convoqués devant la gendarmerie pour s’expliquer. Racontez cette entrevue en variant les types de discours ( narratif, argumentatif, descriptif) et les manières de rapporter les paroles des personnages ( discours direct et discours indirect).
  Votre texte sera un récit qui constitue la suite de cette dispute.
  Il inclura des passages de description. Les propos rapportés par les personnages seront au discours direct et au discours indirect.
  Chacun des personnages aura une prise de position argumentée.
  Il sera tenu compte, dans l’évaluation, de la présentation, de la correction de la langue et de l’orthographe.

BAREME

Narration

Récit au passé ( passé simple, indications temporelles

3

Description

Imparfait, vocabulaire descriptif

3

Argumentation

Idées, articulateurs argumentatifs

3

Discours direct

Disposition, ponctuation, vivacité (interjections, phrases non verbales, palettes des temps du présent d'énonciation au plus-que-parfait explicatif), incises au passé simple, indications de comportement

2

Discours indirect

Variété des verbes introducteurs, subordination des temps.

2

Présentation

Soin, écriture, alinéa...

1

Orthographe

lexicale, grammaticale

2

Langue

Subordination, conjugaison

1

Ponctuation

Externe ( découpage des phrases), interne ( virgules : ni trop, ni trop peu)

1

Richesse

Importance d'un développement soigné ; originalité des idées, style, rythme piquant.. .

2

Il s’agit ici d’un sujet « type brevet » qui porte sur un texte qui a été étudié au préalable. Les consignes en sont assez précises. Le tableau peut aider l’élève parce qu’il lui indique précisément ce sur quoi il va être évalué et parce qu’il peut rendre explicites certains points évoqués dans l’énoncé du sujet. Mais les critères d’évaluation sont très nombreux. La seule lecture du tableau ainsi que sa compréhension peuvent déconcerter l’élève, empiéter sur son temps de travail, a fortiori quand celui-ci est déjà en difficulté devant l’écriture. Comment pourra-t-il rester attentif à tant de consignes ?

Un sujet-guide devrait permettre à l’élève de comprendre rapidement ce qu’il doit faire.

2. Le jeu inscrit dans le sujet

Les élèves ont parfois du mal à construire un monde imaginaire, un monde qui ne soit pas celui des feuilletons télévisés. J’ai voulu un jour faire écrire à mes élèves un récit policier. Pour cela, je leur ai donné le sujet suivant : « Adrien, quinze ans, vit à Paris avec son père, Rodolphe, qui est chauffeur de taxi. Un jour, en nettoyant la voiture de son père, il découvre un bébé sur la banquette arrière. Que s’est-il passé ? ». Le résultat a été plutôt décevant. Ce texte était le résumé du début d’une nouvelle policière. La présence d’un bébé a donné à la plupart des élèves l’idée d’une histoire de viol, non mentionné pourtant de façon explicite. Réfugiés derrière une idée unique (qui venait d’où ?), les élèves n’ont pas pu exploiter les potentialités de développement qu’offrait ce sujet.
L’analyse de cet échec m’a permis de découvrir la nécessité du temps à prendre pour explorer l’imaginaire possible à partir d’un sujet.

Des pistes possibles : travailler avec eux par oral en se servant du modèle du jeu « Cluedo ». Je reproduis ici un tableau qui peut être constitué par le professeur et par ses élèves. Les idées proposées ici ne sont évidemment pas les seules pistes possibles.

Victime

L'enfant ( abandonné)

Sa mère ou son père ( kidnappé ou tué).

Rodolphe (chantage exercé sur lui)

Adrien ( chantage exercé sur lui)

...

Coupable

Rodolphe

L'un des parents de l'enfant

La baby sitter

Un inconnu.

L'ex mari ou l'ex femme de l'un des deux parents.

...

Arme du crime

Arme blanche

Somnifères ( pour un enlèvement)

Arme à feu

Matraque

...

Mobile du crime

Jalousie, histoire sentimentale.

Vol et trafic d'enfant.

Enlèvement contre rançon

...

Ainsi les élèves peuvent-ils comprendre qu’un incipit permet d’obtenir une quantité d’histoires toutes différentes les unes des autres. Ce temps de jeu, qui se fait très souvent à l’oral, est important. Il permet à l’élève de trouver ce qu’il appelle « l’inspiration ». Il ne reprendra pas nécessairement les idées exposées par ses camarades et par son professeur mais ce temps de réflexion lui permet d’entrer dans son propre monde imaginaire.

La part de jeu nécessaire pour mettre en œuvre un sujet associe au travail une dimension de plaisir. Celle-ci nous semble essentielle car elle peut donner à l’élève l’envie de travailler pour lui-même et pas seulement pour avoir une bonne note.

3. Le réinvestissement des connaissances

Une proposition d’écriture nécessite souvent de mobiliser un certain nombre de connaissances historiques, littéraires ou culturelles. Les sujets de rédactions sont l’occasion pour nos élèves d’utiliser, de faire vivre des connaissances qu’ils ont acquises mais qu’ils ont rangées dans un coin parce qu’ils ne voient pas en quoi elles peuvent leur être utiles. C’est le cas en particulier des connaissances historiques. Ils sont souvent heureux de découvrir à quel point les connaissances qu’ils ont acquises leur permettent d’enrichir leurs récits. Des élèves peu travailleurs m’ont ainsi rendu de très belles rédactions dans lesquelles je leur demandais de raconter l’histoire d’un héros d’un roman qu’ils venaient de lire et qui partait à la conquête du Graal, dans cette période du Moyen Age qu’ils étaient en train d’étudier dans le cadre du cours d’histoire.

Nos élèves sont souvent curieux. Ils aiment faire des recherches, découvrir par eux-mêmes des informations sur ce qu’ils ne connaissent pas : à l’occasion d’un travail d’écriture pour lequel ils avaient à imaginer qu’ils écrivaient à un ami pour lui expliquer quel serait leur trajet lors d’une visite de New York, ils ont exploité l’étude du plan de cette ville, dans le cadre d’une séquence sur le texte explicatif. Mes élèves sont fascinés par cette ville qui évoque pour eux bien des légendes. Ils sont allés faire des recherches sur Central Park, Brooklyn et sur différents quartiers de New York. Les travaux qu’ils m’ont rendus étaient très documentés. Le travail fait en classe leur avait donné envie d’en savoir plus.

Il n’existe pas de proposition d’écriture qui ne nécessite pas de pré-requis historiques, littéraires ou culturels ; le professeur peut aider les élèves à les mobiliser.

II . Les attendus du sujet

Il n’est pas rare d’entendre un élève dire « Madame, je ne vois pas ce que vous attendez de moi, je ne le comprends pas ». Lorsque nous formulons un sujet, nous visons la mise en œuvre d’un certain nombre de savoirs culturels, linguistiques et grammaticaux. Mais souvent de manière implicite.
Les grilles d’évaluation permettent de formuler ces attendus du sujet, de les rendre explicites. L’expérience montre que les élèves ne sont réellement attentifs à ce qui est attendu d’eux que si le professeur commente à haute voix la grille écrite. Il essentiel que le professeur dise à ses élèves ce sur quoi ils doivent être attentifs (qui constitue aussi ce sur quoi lui-même sera attentif lorsqu’il les évaluera). L’élève peut mieux orienter son action et se sentir ainsi en confiance.

Un sujet d’écriture n’est pas uniquement la somme d’un certain nombre d’attendus. Chaque sujet induit des libertés. Inquiets de bien faire, nos élèves nous posent souvent des questions sur ces attendus implicites. Leurs questions commencent alors par « est-ce qu’on peut aussi ... ? ». Il s’agit de les aider à découvrir cet espace de liberté. C’est en le découvrant, en l’exploitant que les élèves parviendront souvent à prendre plaisir au travail d’écriture, à trouver leur voix, à explorer des voies nouvelles en se servant de leur imagination. Ne négligeons pas d’accompagner les élèves dans ce travail d’explorateur qui permet à leurs textes de trouver un ton, une originalité. Le but du cours de français n’est certes pas de former des écrivains. Mais c’est lorsque l’élève a su trouver sa voix, dire vraiment ce qu’il avait à dire, même avec maladresse, qu’il pourra par la suite s’exprimer plus clairement. A nous de trouver un moyen de valoriser ces découvertes.

III. Les médiations et les chemins détournés : l’écriture d’un dialogue

L’écriture d’un dialogue, à laquelle il nous est demandé d’initier les élèves du Cycle Central, est un exercice difficile car il demande de « parler pour deux », ce qui n’est pas naturel. En outre, le dialogue écrit est souvent fort différent de celui de la conversation courante. Lorsque nous parlons, nous ne prenons pas toujours garde aux mots dont nous nous servons, nous passons d’une idée à l’autre, nous ne finissons pas nos phrases. Le dialogue que nos élèves écriront doit, lui, montrer une pensée en marche, être exprimé dans un langage courant, voire soutenu. Comment leur permettre de réussir cet exercice ?

Au mois de mars, au cours d’un stage intitulé « Théâtre et développement de l’expression au collège », Alain Rémi, comédien et dramaturge, nous a fait écrire un dialogue de théâtre en passant par ce que j’ai appelé des « chemins de traverse ».
  Première étape : choisir dans ma mémoire un lieu. Ne pas dire de quelle pièce il s’agit mais la décrire avec un maximum de détails en faisant l’inventaire des choses concrètes qui s’y trouvent.
  Deuxième étape : dans cette pièce, choisir un objet qui a un intérêt, une histoire. Le décrire de façon très précise et raconter la petite histoire.
  Troisième étape : à cet objet (ou à un objet de la pièce), est lié un moment de choc affectif ou l’absence de choc affectif. Expliquer comment je vis ce choc physiquement, ce que cela fait.
  Quatrième étape : souligner quelques mots ou une phrase du texte que je viens d’écrire. Je me trouve dans le lieu évoqué à la première étape. Quelqu’un arrive. Un dialogue s’instaure entre cette personne et moi (dix répliques chacun). La personne qui vient est attachée à la description du lieu. Je dis ce que je veux mais ma cinquième réplique comportera la phrase ou les quelques mots soulignés.
  Cinquième étape : nous venons d’écrire deux scènes d’une petite pièce de théâtre. La première scène est le dialogue entre les deux personnages. La seconde scène est le texte écrit à la troisième étape qui est un monologue attribué à l’un des deux personnages. Reste à écrire la troisième scène : après le moment de crise de l’un des deux personnages, l’autre revient. Ecrire leur dialogue en montrant ce qui a changé.

Les résultats de ce travail ont été étonnants. A chaque étape, chacun lisait son texte aux autres. Nous avons découvert en nous des capacités et des talents que nous ne soupçonnions pas. Et nous avons réussi à dire vraiment quelque chose dans un dialogue, ce qui nous semblait auparavant très difficile. Il nous semble que ce type de travail peut être proposé en classe.

« Si vous n’arrivez pas à écrire, écrivez », dit Wittengstein.

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