Un enjeu primordial pour la maîtrise de la langue
Jacqueline Picoche affirme que, pour les élèves allophones, « la première urgence est de leur donner, par un vocabulaire maîtrisé, le moyen de « penser français » autant que de « parler français », et, si possible, un bon français ». Il ne s’agit pas de leur enseigner le lexique, l’ensemble des mots de la langue, mais le vocabulaire, le fond lexical indispensable en réception comme en production. Connaître un mot, c’est être capable de l’identifier à l’oral, en situation d’écoute, de le lire silencieusement et à haute voix, de l’utiliser en contexte à l’écrit et à l’oral, de le définir, l’orthographier et analyser sa nature et sa fonction grammaticale. Or, les élèves allophones rencontrent des obstacles importants à la maîtrise du vocabulaire à tous les niveaux scolaires, qui entraînent des difficultés d’autant plus grandes en compréhension et en expression : l’incompréhension de mots employés peut mener à un découragement et être un frein à leurs apprentissages.
Développer le vocabulaire des élèves allophones en classe de français, c’est :
- appréhender les spécificités de la langue française par rapport à leur langue maternelle ;
- les accompagner dans l’acquisition du vocabulaire scolaire relatif à la matière ;
- apprendre d’autres mots pour désigner les mêmes choses et savoir nuancer.
Enrichir le vocabulaire pour aider les élèves allophones à mieux comprendre et à mieux s’exprimer
Pour travailler le vocabulaire en réception (orale et écrite)
- Favoriser le décodage et l’encodage en prenant en compte l’interlangue de l’élève allophone : il est important de présenter un nouveau mot avec la correspondance phonème/graphème, sons/lettres, en raison – notamment – des lettres muettes présentes en français. Le mot, noté au tableau, est répété à haute voix afin qu’une représentation phonologique soit manifeste.
- Construire une fiche avec l’élève (toujours à portée de main et /ou accrochée aux murs de la salle) présentant le lexique relatif aux connaissances linguistiques (adjectif, subordination), mais aussi des termes pour l’analyse littéraire (métaphore, description...). L’apprenant allophone enrichit sa fiche au cours de l’année, au fur et à mesure des notions grammaticales abordées.
- Étudier dans un premier temps les mots en contexte et en réseaux – les listes de mots séparés de leur contexte étant difficilement mémorisables. Pour intégrer un mot à son lexique, l’élève doit le catégoriser en l’encodant dans un système de classification de connaissances.
- Travailler les échelles de précision pour mettre en relief les degrés d’intensité (ex : peur/terreur/ frayeur/anxiété).
- Sélectionner des mots, des phrases ainsi que des expressions du langage courant qui n’ont pas encore été appris. Les mots rencontrés dans les textes sont à travailler en fonction de leur fréquence, sans négliger aucune classe grammaticale. Afin de faciliter la découverte d’un texte, proposer la définition de ces mots accompagnée d’une image, en amont de la lecture. (Le logiciel Lisi du CE2 à la 5e permet de vérifier la difficulté du lexique.)
- Travailler sur des réseaux de mots reliés entre eux par des relations de sens (synonymes, antonymes, champs lexicaux), de hiérarchie (hyperonymes), de forme (dérivation), d’histoire (étymologie et emprunts divers). Élaborer progressivement des constellations de mots à partir de termes connus et enrichies autour d’un thème : voir la fiche Eduscol Le vocabulaire et son enseignement. Des outils pour structurer l’apprentissage du vocabulaire
- Reprendre en fin de séance les mots étudiés, en demandant aux élèves allophones de créer leur propre définition.
Pour travailler le vocabulaire en production (orale et écrite)
- Repérer et analyser les occurrences d’un champ lexical étudié dans de nouveaux textes ou documents sonores.
- Faire réinvestir le vocabulaire dans des productions écrites et orales, à partir de thèmes étudiés en cours.
- Faire réinvestir le vocabulaire étudié dans un autre contexte, au cours d’une autre activité.
Points de vigilance
- Les étayages proposés, suivant les compétences des élèves allophones et leur progression, sont à alléger en cours d’année.
- Le professeur veille à l’intérêt et à la juste quantité des mots retenus.
- Si un élève apprend un mot avec une prononciation erronée, il lui sera plus difficile de le comprendre à l’oral et de se faire comprendre en expression.
- En français, le passage du phonème au graphème représente une difficulté pour les élèves dont la langue maternelle n’utilise pas les mêmes principes alphabétiques.
- La mémorisation de mots de toutes les classes grammaticales (au-delà des substantifs) est essentielle.
- Pour s’assurer du niveau d’acquisition du lexique, on peut utiliser le schéma LEPEMR « lu ou entendu / prononcé / écrit / mémorisé / réutilisé ».
Pour aller plus loin...
- BINON Jean et VERLINDE Serge, « Les collocations : clef de voûte de l’enseignement et de l’apprentissage du vocabulaire d’une langue étrangère ou seconde », La Lettre de l’AIRDF, n°33, 2003/2, pp. 31-36. DOI : https://doi.org/10.3406/airdf.2003.1577 https://www.persee.fr/doc/airdf_1776-7784_2003_num_33_2_1577
- PICOCHE Jacqueline, « La reformulation, base de l’enseignement du vocabulaire », Recherches Linguistiques (Université Paul Verlaine de Metz), Usages et analyses de la reformulation, dir. Mohamed Kara, n°29, 2007, pp. 293-308.
- TREMBLAY Ophélie et ANCTIL Dominic, « Introduction. Recherches actuelles en didactique du lexique : avancées, réflexions, méthodes », Lidil [En ligne], 62, 2020 : http://journals.openedition.org/lidil/8322 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lidil.832207