Sarraute Pour un oui ou pour un non

Atelier pédagogique

« Comment enrichir la compréhension de la pièce par les élèves sans masquer son étrangeté et sans étouffer la pièce ? »

Cet atelier a été proposé dans le cadre de la journée Nathalie Sarraute organisée par l’inspection de Lettres de l’académie de Versailles.

Animatrices de l’atelier : Céline Calmet et Julie Fernandez
Rapporteuses : Maud Carlier-Sirat et Claire Colin

Lire Théâtre 1ère EAF Conférences & Journées d’étude

lundi 14 avril 2025 , par GT Fo de Fo Lycée

Présentation générale de l’atelier

Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute apparaît à bien des points de vue comme une pièce déconcertante : c’est une pièce courte, à l’intrigue et aux personnages minimalistes, et elle est apparemment privée de théâtralité. Elle peut susciter, à la première lecture, la perplexité chez les élèves, ou la crainte de ne pas avoir assez de matière à partir du texte proposé par l’autrice. L’une des premières réactions des élèves à la découverte de la pièce est de déclarer : « Il ne se passe rien ».

Interrogés quant à leur choix de faire étudier la pièce de Nathalie Sarraute, les différentes réponses données par les collègues témoignent de leur volonté de travailler sur une œuvre qui interpelle par sa singularité :

  • La pièce déroute les lecteurs et marque par son étrangeté et par sa démarche expérimentale, ce qui permettrait d’offrir aux élèves une expérience différente d’une pièce relevant du patrimoine classique.
  • Pour un oui ou pour un « non » frappe également par l’enjeu humain autour duquel elle se construit : Sarraute arrive à mettre des mots sur une situation déjà vécue par tout le monde, un malentendu au sein d’une relation amoureuse ou amicale.
  • L’œuvre peut permettre de créer des liens avec le programme d’HLP et introduit déjà à la Philosophie en offrant l’occasion de travailler, au-delà du texte littéraire, sur des concepts.

Face à ce texte déroutant, le risque est alors d’avoir massivement recours aux textes théoriques sur le Nouveau Roman ou sur les tropismes, en particulier ceux écrits par Nathalie Sarraute.

La problématique choisie pour l’atelier est la suivante : comment enrichir la compréhension de la pièce par les élèves sans masquer son étrangeté et sans étouffer la pièce ?

Les activités proposées au cours de l’atelier ont eu pour but de conduire les professeurs à se saisir pleinement de ce qui donne à la pièce son aspect déroutant pour en tirer des pistes pédagogiques et permettre aux élèves d’appréhender la démarche de Nathalie Sarraute, de mieux maîtriser la pièce et de se l’approprier.

Pour découvrir l’atelier de façon synthétique cliquer sur l’image pour ouvrir la présentation pdf.



Étape 1 - Comment faire découvrir la pièce aux élèves ?

Quelques pistes

Le format court de Pour un oui ou pour un non offre plusieurs possibilités, évoquées par les enseignants pendant l’atelier :

  • Écouter la pièce du début à la fin, diffusée sur Radio Roquette et proposé sur le site Arte Audioblog ; la durée ne dépasse pas celle d’une heure de cours. Toutefois, dans ces enregistrements, le passage où interviennent H3 et F1, les voisins, est gommé.
  • Visionner une mise en scène de la pièce. Mais cette option oriente d’emblée l’interprétation de l’œuvre, et serait peut-être davantage à envisager dans un second temps.
  • Lire la pièce ensemble en classe, ou passer par une mise en voix prise en charge par les élèves.

Proposition pédagogique des formatrices

Faire découvrir la pièce aux élèves et faire réfléchir les élèves au rythme et à la structure de la pièce.

Après avoir fait écouter la pièce en entier à la classe, les formatrices proposent de répartir les élèves par groupes, et de les inviter à feuilleter librement le texte de la pièce. On demande à chaque groupe de proposer un découpage de la pièce sous la forme d’un schéma ou d’une représentation visuelle, et de rédiger un texte qui justifie les choix effectués.
L’activité permet aux élèves de mieux maîtriser l’intrigue et de mieux saisir les particularités de la pièce. Cela est utile en vue de la dissertation bien sûr, mais aussi de la présentation de l’œuvre comme choix possible pour l’entretien ou pour situer simplement les passages des explications de texte à l’oral.

EXEMPLES DE RÉALISATIONS PAR DES ÉLÈVES DE 1ère

Schéma 1






Ce schéma témoigne d’une bonne compréhension de la pièce ; les thèmes et les étapes importantes ont été repérées. La structure circulaire semble particulièrement pertinente. Elle montre que les jeux de répétitions et de réversibilité ont bien été saisis.

Schéma 2






La pièce est représentée sous la forme de plusieurs post-it de couleurs, chaque couleur renvoyant à un événement-type dans la structure de la pièce :

  • rose : une colère ;
  • vert : un souvenir ;
  • orange : une évocation de l’amitié.

Outre le fait que ce travail témoigne d’une analyse fine de l’intrigue, il montre aussi que les élèves ont pris conscience des différentes atmosphères au fur et à mesure de la pièce. Cela permet d’ouvrir à une réflexion sur les possibilités de mises en scène.

Schéma 3




Cette production traduit une volonté de reproduire un schéma plus classique avec les sept étapes clés. Elle témoigne d’une compréhension fine de la pièce et d’un repérage pertinent des moments clés de l’intrigue.

Les formatrices indiquent que, suite à ce travail en groupes, les élèves sont amenés à comparer les propositions des différents groupes et à confronter leurs idées. Les élèves sont aussi invités à choisir les extraits de la pièce retenus pour les explications linéaires. Les propositions sont débattues et le choix se fait de manière collective en fonction des moments identifiés comme marquants ou centraux dans la pièce.

Étape 2 - Comment utiliser l’apport théorique ?

Si le recours aux textes théoriques en premier lieu, avant de faire découvrir l’œuvre par les élèves, risque d’étouffer l’étrangeté de la pièce, il semble par contre pertinent de faire appel à ces supports pour la suite du travail avec les élèves. Les supports théoriques peuvent permettre d’affiner la compréhension des enjeux et des caractéristiques de l’œuvre.

Corpus

Pendant l’atelier, plusieurs documents sont proposés :

René Magritte, La décalcomanie, 1966
Centre Pompidou



Pistes d’exploitation d’un corpus théorique

Lors de l’atelier, les formatrices demandent aux enseignants quel usage ils pourraient faire de cet apport théorique.
Les propositions sont nombreuses :

  • Creuser l’interprétation de la pièce et ouvrir à des réflexions sur l’individu : l’interview de Nathalie Sarraute précise que Pour un oui ou pour un non ne montre pas deux personnes qui s’entredéchirent et se haïssent mais deux personnages, voire deux psychés, aux tendances opposées, dont chacun de nous, avec ses tensions et ses contradictions intérieures, fait parfois l’expérience, ce qui permet de réfléchir à la notion d’altérité, à la communication entre les êtres humains, ou d’introduire à la psychanalyse.
  • S’interroger sur le lien entre la pièce et le tableau surréaliste de Magritte. Le tableau fait écho à plusieurs enjeux de la pièce : les nuages peuvent représenter l’inconscient, les non-dits ; l’idée du dédoublement est présente ; les personnages représentés n’ont pas d’individualité, comme H1 et H2 dans la pièce ; le rideau renvoie à la théâtralité... Il est également possible de faire des liens entre ce document et les autres, car le dédoublement montré dans le tableau de Magritte rejoint ce qu’avance Nathalie Sarraute sur la pièce.
  • Questionner la théâtralité de la pièce en faisant lire des extraits du « Gant retourné » pour enrichir la réflexion première.
  • Proposer aux élèves d’associer à chacun des documents proposés une citation tirée de la pièce.
    Plusieurs collègues soulignent la difficulté d’utiliser L’Ère du soupçon comme support théorique, en raison de la complexité du texte.

Construire des sujets de dissertation

La réflexion sur les apports théoriques conduit ensuite à imaginer des sujets de dissertation possibles, et les enseignants formulent les propositions suivantes pendant l’atelier :

  • Une dispute a-t-elle besoin d’être spectaculaire au théâtre / d’être théâtrale ?
  • En quoi Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute offre-t-elle une forme originale de conflit ?
  • Ionesco : « Sans conflit, il n’y a pas de théâtre », « Il faut aller au théâtre comme on va à un match de football, de boxe, de tennis »
  • Le titre de la pièce de Shakespeare Beaucoup de bruit pour rien pourrait-il s’appliquer à cette œuvre ?
  • Le dialogue permet-il de résoudre les conflits au théâtre ?
  • « Chaque parole, si passagère soit-elle, [Nathalie Sarraute] en fait un drame. » (Michel Cournot, 1986)
  • « Il est vrai que ces pièces ne contiennent aucune action extérieure. Il est vrai que le langage y joue le rôle de détonateur. » (Nathalie Sarraute, Le Gant retourné)
  • « Nous sommes dans deux camps adverses. Deux soldats de deux camps ennemis qui s’affrontent » ; « Entre nous, il n’y a pas de conciliation possible, pas de rémission. C’est un combat sans merci. » (Nathalie Sarraute, Pour un oui ou pour un non, réplique de H2, p. 37 édition scolaire).

Étape 3 - Comment aborder la question du langage et de la théâtralité ?

L’une des caractéristiques les plus évidentes de Pour un oui ou pour un non est que le texte semble troué de points de suspension, qui sautent aux yeux avant même de prendre connaissance du contenu des répliques, et cela participe de la perplexité face à l’œuvre.
Partir de ces points de suspension pour proposer une activité aux élèves conduit ces derniers à prendre conscience de ce que signifie dans la pièce la notion de « non-dit » et à amener éventuellement à la notion de tropisme. Cela permet ainsi de développer la compréhension de l’implicite et la capacité à inférer des informations nouvelles.

Proposition pédagogique des formatrices : faire écrire les élèves dans les “trous” de l’œuvre

Les élèves sont invités à réaliser une version « augmentée » de répliques entre H1 et H2, par exemple celles au début de la pièce, en comblant les points de suspension par les mots de leur choix, qui leur sembleraient correspondre aux non-dits : ils ajoutent ainsi des prénoms, des hypothèses sur l’origine de la dispute... Ils enregistrent ensuite deux versions du texte sur lequel ils ont travaillé : une première correspondant au texte original, une deuxième « augmentée » avec leurs ajouts. Ils peuvent s’enregistrer sur leurs téléphones, dans le cadre d’une séance en classe dédiée à cette activité.

EXEMPLE DE RÉALISATION

Mise en voix
Version augmentée




Cette activité permet aux élèves de mieux s’approprier le texte mais aussi, comme ils se sont mieux appropriés le texte, de proposer une lecture plus expressive de l’extrait.
Il n’’est pas nécessairement prévu une écoute collective par les élèves des différentes scènes augmentées, mais on mène avec la classe une réflexion collective sur ce qu’apporte cette activité ; c’est une manière de faire prendre conscience des possibles du texte.

Interroger les limites de la théâtralité et de la non-théâtralité

Suite à la présentation de cette piste pédagogique, la réflexion porte sur les activités à envisager pour interroger les limites de la théâtralité et de la non-théâtralité.

Plusieurs pistes ont été avancées :

  • Élaborer un carnet de metteur en scène ou des schémas de mise en scène
  • Écrire des didascalies à ajouter dans le texte, afin de faire distinguer mise en voix et mise en mouvement.
  • Écrire ou jouer une scène à partir d’une phrase du quotidien, prononcée avec différentes intonations et dans des contextes variés : « c’est bon », « ça va », « ça y est », « c’est bien », « c’est pas mal »
  • Mettre en voix un passage du texte et comparer les mises en voix de plusieurs groupes d’élèves, ce qui permettrait d’entrer dans l’interprétation d’un passage.



À CONSULTER


[1Pour consultation immédiate du passage, sur éduscol

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