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Présentation de l’atelier
« Clarice — Je ne sais où j’en suis » ; « Lucrèce ¬— Je ne sais plus moi-même à mon tour où j’en suis » (V, 6).
Si le plaisir du Menteur repose sur une intrigue aux péripéties facétieuses et aux rebondissements multiples qui font aller le spectateur de surprise en surprise, faciliter la compréhension de la pièce par les élèves peut néanmoins constituer une gageure pour le professeur de lettres, confronté à la perplexité de ses élèves devant un tel imbroglio.
Démêler le vrai du faux constitue donc un enjeu majeur de la pièce.
En effet,
- Les mensonges de Dorante scandent tout le déroulement de la pièce, depuis la deuxième scène jusqu’à son dénouement, et même au-delà, comme l’expose le début de La Suite du Menteur. Il est bien sûr possible d’en établir une typologie.
- Mais Dorante n’est pas le seul personnage à générer du faux : les deux personnages féminins fomentent un jeu de rôle qui entretient la confusion, et dont découle un quiproquo durable.
- La vérité est également compromise par l’erreur, celle que Dorante commet en interprétant mal les propos du cocher, identifiant mal l’identité de sa cible amoureuse.
- Les passions des personnages sont également susceptibles de les aveugler : on peut penser, par exemple, à la jalousie d’Alcippe qui, tout à son inquiétude, ne décèle pas le mensonge de l’invraisemblable collation sur l’eau.
- Le hasard lui-même contribue à complexifier l’intrigue, et le vrai semble parfois plus invraisemblable que le faux. Ainsi, Dorante se retrouve à vouloir éviter à tout prix un mariage avec celle qu’il souhaite précisément épouser.
Loin du confort de la posture intellectuelle qui consisterait à neutraliser la complexité de l’œuvre en lui assignant les caractéristiques du baroque ou de la « comédie d’intrigue », la démarche adoptée en atelier s’attache plutôt à en embrasser la difficulté et à forger des leviers efficaces pour relever le défi de la lecture du Menteur. Il s’est donc agi de proposer aux professeurs plusieurs activités, mobilisables à l’échelle de l’œuvre entière, de l’acte, de la scène ou même, de l’extrait, pour faire entrer les élèves dans un processus de compréhension, puis d’interprétation du texte.
Déroulé de l’atelier
1. Le brise-glace, une activité ludique
S’il est entendu que, dans la majorité des classes, la lecture du Menteur sera menée de manière progressive, au fil de la séquence d’étude, on pourra susciter la curiosité des jeunes lecteurs, et attirer leur attention sur la question de la tension entre le vrai et le faux, en proposant, à l’initiale de l’œuvre entière ou de chaque acte, un jeu de pari.
Des mensonges sont mêlés à des éléments authentiques. On demande alors aux élèves de miser : parmi les propositions, lesquelles relèvent du faux, et lesquelles du vrai ? À titre d’exemple, on peut penser aux affirmations suivantes : « une épée se brise en trois morceaux », « un personnage provoque son ami en duel pour avoir organisé une fête sur l’eau »….
Invités à se saisir de cette activité en atelier, les professeurs ont évoqué les pistes suivantes :
- Utiliser une application de quizz en ligne (type kahoot !), pour faire apparaitre les résultats de la classe en direct, et pouvoir les commenter (et les archiver) facilement ;
- Réutiliser les réponses et les justifications formulées en aval de la lecture : revenir dessus pour confronter le regard du lecteur candide et celui du lecteur averti ;
- Le cas échéant, entre classes ou entre demi-groupes de la même classe, faire produire les propositions aux élèves eux-mêmes, ce qui les conduit à s’interroger sur les ambiguïtés plaisantes de la pièce.
2. Pour démêler le vrai du faux, écrire la fable des personnages
L’activité, puisée dans l’ouvrage de Chantal Dubline et de Bernard Grosjean intitulé Coups de théâtre en classe entière au collège et au lycée [1], consiste en la rédaction d’une ou plusieurs « fables » des personnages de la pièce.
On définira la fable, comme le récit neutre des actions d’un personnage au cours de la pièce, en en rétablissant la chronologie, ce qui présente plusieurs intérêts :
- La discontinuité du texte théâtral est ainsi lissée ;
- La compréhension de l’intrigue est ainsi dépliée et se joue à hauteur d’un personnage, dont les prérogatives apparaissent alors plus clairement ;
- La comparaison des fables de personnages différents permet de confronter leurs enjeux propres, de faire émerger des motifs, des ressorts ou des analyses de caractère.
La formatrice Agnès Jauffrès a rédigé intégralement les parts de Dorante et de Géronte dans la fable du Menteur. Proposées aux professeurs, elles peuvent à la fois servir d’exemple et de base de travail pour ces derniers.
Les modalités de mise en place de l’activité ont fait l’objet de propositions diverses de la part des formateurs comme des professeurs présents :
- Travail en groupe, avec répartition des personnages, commencé en classe et poursuivi en autonomie grâce à l’utilisation d’outils collaboratifs. Plusieurs groupes pourraient travailler sur le même personnage, pour mutualiser ensuite.
Point d’étapes régulier en classe, au fil des actes, ce qui permet de mettre en lumière les difficultés résistantes et d’échanger de manière fructueuse. - Mise à disposition d’éléments d’étayage, pour aider les élèves à cheminer dans l’œuvre et permettre la différenciation : tableau synoptique de la présence des personnages sur scène pour faciliter le repérage / parties de fables lacunaires rédigées par le professeur et à compléter pour les élèves les plus en difficulté.
Au terme de cette première étape, comment réexploiter ces fables ? Comment les utiliser en classe pour cerner les motifs majeurs de la pièce, notamment dans l’optique de la dissertation ou de l’entretien ? Plusieurs pistes ont été dégagées :
- Réfléchir aux confrontations possibles. Les professeurs ont apparié les fables à travers des prismes multiples, témoignant ainsi de la richesse des enjeux de la pièce et du parcours associé. On a pu penser aux duos suivants : le duo père-fils, les duos amoureux (Dorante et Clarice, puis Dorante et Lucrèce, sans omettre Alcippe et Clarice), le duo féminin, les duos de valets, les duos valet-maitre, le duo de pères. À titre d’exemple, à partir des fables croisées de Dorante et de Géronte, on fera apparaître la manière dont Corneille réinvestit le ridicule du « vieux barbon » archétypal de la comédie pour en faire un personnage « hors d’haleine », peinant à suivre le rythme de son fils.
- Transformer ce matériau en outil de réflexion sur la pièce à travers des travaux d’appropriation. Les professeurs présents ont évoqué la rédaction de journaux intimes de personnages (en l’occurrence de Dorante et Clarice), la production de frises, de florilèges de citations, de classement subjectif des mensonges des uns ou des autres (le plus crédible / le plus farfelu / le plus drôle / le plus immoral…). On peut aussi songer à la rédaction de scènes ou de dialogues imaginaires, entre les deux valets par exemple.
Ont été aussi proposées des « battle » de fables lors de lectures à voix haute, se démentant les unes les autres par la formule introductive « Non ! Voici ce qui se passa… ». Des activités synthétiques d’enquête ou de procès sont également possibles. - Certains professeurs ont enfin souligné l’intérêt d’un tel travail d’une part dans la préparation des lectures linéaires, qu’il permet alors de contextualiser efficacement, et d’autre part dans la perspective souvent oubliée des révisions de l’épreuve, lorsqu’en fin d’année, les élèves doivent réactiver une lecture menée plusieurs mois auparavant.
Ainsi, tout en assurant de manière très concrète la lecture de l’œuvre intégrale, l’écriture de la fable du Menteur fournit une matière féconde, modelable à l’infini, selon le profil de la classe, les besoins et la créativité du professeur.
3. Interpréter un passage difficile de l’œuvre grâce à la scénographie
Si le travail sur la fable permet aux élèves d’exercer un regard panoptique sur l’œuvre et d’en éclairer progressivement les zones d’ombres générées par la complexité de l’intrigue, il reste à trouver des moyens de prendre en charge, à l’échelle plus réduite de la scène, voire de l’extrait choisi pour une lecture linéaire, les obstacles majeurs que constituent conjointement la langue classique et l’univers de référence galant qui caractérisent la pièce de Corneille.
Pour cela, les formateurs ont soumis aux professeurs une mise en œuvre pédagogique testée sur des élèves de premières. Il s’agit, à partir d’une scène identifiée comme particulièrement difficile d’accès (I, 2), de conduire les élèves à confronter la résistance du texte à la nécessité de le transposer, de l’incarner dans l’espace de la scène.
La consigne était la suivante (Voir le document complet) :
- Après avoir collectivement identifié les difficultés de la scène, il s’agissait d’abord de proposer de clarifier les intentions des personnages à travers l’insertion de didascalies de geste, de déplacement ou de ton.
- Puis, chaque groupe devait proposer, par un dessin ou une description, un espace scénique (mobilier, décor, sonorisation, éclairage) et expliciter ces partis-pris.
- Enfin, il était demandé aux élèves de formuler une question soulevant l’enjeu principal de la scène selon eux.
L’observation comparée d’une sélection de quatre travaux (Consulter le document) permet de saisir rapidement les enjeux perçus par les élèves. S’y manifestent de façon tangible les interprétations qu’ils tirent de la lecture d’un extrait d’une grande complexité, tant linguistique que dramaturgique et psychologique.
Parce qu’elles semblent s’opposer sur plusieurs aspects, toutes ces interprétations sont ainsi bien représentatives des ambiguïtés soulevées par la scène. Une confrontation argumentée des lectures permettrait de faire émerger l’ambivalence de la posture des protagonistes, le caractère abstrait et opaque du langage galant, qui apparaît comme un premier masque posé sur les sentiments et les intentions des êtres.
Un prolongement pouvait s’opérer ensuite, en utilisant les captations disponibles notamment sur la plateforme Cyrano.education. Bien que la piste n’ait pu être creusée de façon approfondie au cours des ateliers, les formateurs attirent l’attention des collègues sur la mise en scène de Nicolas Briançon, dont la particularité est entre autres d’avoir procédé à plusieurs coupes dans le texte de Corneille (Cf. document précisant le détail des coupes), démarche qu’il serait pertinent d’interroger avec les élèves.
Conclusion de l’atelier
Parce qu’il serait tentant et confortable d’utiliser des stratégies d’évitement ou de contournement pour se soustraire à la grande complexité de la pièce, toutes les activités proposées au cours de l’atelier « Démêler le vrai du faux » ont pour vocation principale d’amener les élèves à affronter, épouser, reconstruire et interpréter l’ambiguïté des situations habilement forgées par le dramaturge.
Les bénéfices en sont multiples : il s’agit, pour le professeur, de conduire pour sa classe une lecture étayée, panoramique autant que précise, garantissant la maitrise de l’œuvre intégrale, tant sur le plan de la compréhension littérale qu’à un niveau plus expert des acquisitions de compétences de lecture, telle qu’elles sont évaluées lors de la dissertation notamment. Pour l’élève, celui-ci adopte une posture active : loin de se laisser dépasser par le rythme effréné de l’intrigue, il s’implique dans sa propre compréhension par des réajustements et des confrontations constantes entre pairs, qui lui permettent d’atteindre le point de vue de surplomb dont on sait qu’il est nécessaire à la bonne intelligence du comique. De fait, il est ainsi autorisé à jouir pleinement de l’œuvre.
Bilan de la journée Corneille
Pourquoi proposer l’œuvre aux élèves ?
– Moyen d’aborder le XVIIe siècle
– Réflexion sur le genre théâtral et la comédie (la tragédie est davantage choisie en 2nde)
– Confronter les élèves à un type de comédie qu’ils ne connaissent pas bien
– Affiner les frontières entre comédie et morale, comédie et fiction : les élèves s’impliquent
dans les débats sur la morale et l’absence de punition de Dorante
– Pièce joyeuse : Dorante arrange le monde à sa façon
– Réception à travailler : la pièce a plu au point de faire une suite
– Bagage littéraire intéressant pour aborder un texte de commentaire versifié XVIIe siècle
– Historicisation de la galanterie qui permet d’interroger ce qu’est la galanterie aujourd’hui
– Ressort comique filmique, proche des élèves
Quels aspects de la conférence ont retenu votre attention ?
– Jennifer TAMAS, la galanterie et son historicisation
– Aborder la question philosophique du mensonge : a-t-on le droit de mentir ? Y a-t-il des bons
et des mauvais mensonges ? Moyen d’entrer dans la dissertation de manière plus stimulante.
– Le spectateur est-il là pour juger ou pour admirer ? Le spectateur est ébloui par l’art du
mensonge de Dorante.
– Réflexion autour du visible et de l’invisible.
Quelles exploitations pédagogiques la journée vous permet-elle d’envisager ?
– Atelier très riche qui donne de nombreuses perspectives de travail : faire écrire la fable
dans un ordre chronologique, en variant les points de vue, faire écrire des didascalies
– Travail sur la compréhension à l’appui de l’analyse et de l’interprétation, étape
fondamentale au lycée également