En étude de la langue au lycée, les programmes de Français insistent sur l’articulation des compétences linguistiques et langagières, en mettant l’accent sur le recours aux manipulations grammaticales pour s’approprier le fonctionnement syntaxique de la langue [1]. Cependant, les épreuves orales du baccalauréat révèlent souvent des lacunes chez les élèves, qui peinent à expliciter leur raisonnement grammatical et à utiliser les manipulations de manière pertinente. Face à ce constat, la narration de recherche, telle qu’elle est mobilisée dans les disciplines scientifiques, paraît constituer une approche pédagogique intéressante. Elle encourage les élèves à formuler et à expliciter leur raisonnement, admettant ainsi les éventuelles erreurs comme des étapes de la réflexion. Cette démarche peut donc être mobilisée pour entraîner les élèves à l’épreuve orale du baccalauréat, pendant laquelle est évaluée leur capacité à proposer une réflexion grammaticale.
En classe de 2de, ce dispositif a été mis au service d’une réflexion sur la construction de la proposition subordonnée relative. Des difficultés émergent en effet dans les productions orales et écrites des élèves, notamment quant au choix d’un pronom relatif approprié. À l’usage, les confusions sont fréquentes, en particulier entre que et dont.
Partant de ce constat, le professeur s’est fixé pour objectifs de permettre aux élèves de développer leur conscience linguistique, en visant notamment :
- une meilleure compréhension de la construction de ce type de subordonnée et de son articulation à la proposition principale ;
- un réinvestissement en expression orale et écrite, visant un choix plus réfléchi du pronom relatif et tenant compte du fonctionnement de la phrase complexe.
Pour ce faire, afin de permettre aux élèves de mieux comprendre la syntaxe de la proposition subordonnée relative, il fait sienne l’approche de Suzanne Chartrand [2] en proposant aux élèves de décomposer la phrase complexe en deux phrases simples.
Cette approche permet aux élèves de comprendre que le choix du relatif dépend de sa fonction au sein de la subordonnée. En 2de, analyser la fonction du pronom relatif s’avère encore complexe pour beaucoup d’élèves ; le détour par les phrases simples simplifie cette étape de la démarche.
Compte-rendu de l’expérimentation
Le travail intervient dans le courant du 3e trimestre. Des rappels sur les fonctions au sein de la phrase simple et sur la notion de proposition dans la phrase complexe ont été effectués plus tôt dans l’année.
Le professeur souhaite désormais se concentrer sur la construction et le fonctionnement de la phrase complexe ; pour ce faire, il invite d’abord les élèves à s’intéresser au fonctionnement propre au pronom relatif.
Dans une séance précédente proposant aux élèves de construire, à partir de deux phrases simples, une phrase complexe contenant une relative, il a pu constater qu’une partie d’entre eux se sont trouvés en difficulté : certains se sont contentés d’ajouter un pronom relatif à l’une des phrases simples ; d’autres ont reformulé ces dernières en modifiant profondément leurs structures.
Pour améliorer leur compréhension de la construction de ce type de phrase, le professeur décide donc de s’inspirer de la démarche de S. Chartrand en proposant aux élèves une phrase complexe, et en leur demandant de la décomposer en deux phrases simples pour analyser la fonction du groupe nominal qui sera ensuite remplacé par le relatif. Par ailleurs, il les invite, ce faisant, à produire un diaporama commenté donnant à voir leurs manipulations et à entendre le raisonnement associé.
DIAPORAMA N°1 : ANALYSER LE CHOIX DU PRONOM RELATIF
Défini en classe avec les élèves à partir d’exemples, le raisonnement attendu est le suivant :
- Phrase complexe : L’homme que tu vois est mon ami.
- Décomposition en deux phrases simples :
- A. L’homme est mon ami.
- B. Tu vois l’homme.
La phrase A correspond à la principale, la B à l’énoncé de la proposition subordonnée relative. Dans cette phrase, le pronom que est remplacé par l’homme ; il occupe dans la proposition la fonction de COD. La réflexion menée en classe a permis d’identifier la valeur référentielle du que, qui reprend l’homme, et sa fonction de COD du verbe voir.
Ce qui est évalué dans l’exercice est la façon dont l’élève explicite la composition de la phrase complexe et le choix du pronom relatif, en passant par cette décomposition en deux phrases simples. Il s’agit à la fois de reproduire un raisonnement, en en mobilisant les étapes de manière pertinente, et de formuler ce raisonnement à l’oral, en le présentant le plus clairement possible à l’aide du support que constitue le diaporama.
Ce raisonnement est nouveau pour les élèves, qui visiblement n’avaient auparavant jamais réfléchi aux raisons qui présidaient au choix de tel ou tel pronom relatif. Afin que chacun puisse s’approprier la démarche et se concentrer sur cet objectif d’apprentissage, le professeur décide de ne proposer, pour cette première séance, que des phrases faisant intervenir qui, que ou dont, pour éviter la surcharge cognitive induite par des constructions syntaxiques trop variées [3].
Du point de vue de la démarche d’ensemble, ce diaporama commenté est en apparence réussi : les élèves suivent majoritairement les grandes étapes qui leur ont été indiquées. Pratiquement tous les élèves mettent la démarche en lien avec son objectif : la délimitation des propositions et l’analyse du fonctionnement du lien de subordination.
Les deux exemples suivants permettent de se faire une idée de la précision avec laquelle le professeur peut identifier les réussites, ou difficultés :
Dans ce diaporama, l’élève était confrontée à un exemple relativement simple, mobilisant le pronom que. Méticuleuse, elle justifie la délimitation de la relative, l’identification du groupe le dragon qui équivaut à que, ainsi que l’analyse de sa fonction : chaque étape du raisonnement est maîtrisée, même si la formulation demeure malaisée.
Dans celui-ci, l’oral permet de percevoir les hésitations plus fréquentes de l’élève. Celle-ci se trompe sur ce que complète dont (elle pense qu’il complète des passages secrets, et non Les murs), ainsi que sur sa fonction, qui n’est pas COI mais complément du nom. L’élève n’a pas réalisé de manipulation syntaxique pour vérifier la fonction du groupe du château, mais s’est posé la question « de quoi ? », sans vérifier quel est le groupe complété ni quelle est sa classe grammaticale. Le rapprochement avec des passages secrets se fait peut-être par le sens (les passages secrets font partie du château), mais est aussi rendu possible par le fait que passages secrets, groupe nominal, peut linguistiquement être complété par un complément du nom.
- 45 parviennent sans encombre à repérer la relative dans la phrase complexe, mais seuls 3 d’entre eux expliquent comment ils s’y prennent ;
- 44 décomposent correctement la phrase complexe en deux phrases simples, et identifient correctement celle qui correspond à la relative, mais seuls 5 d’entre eux justifient ce choix ;
- en revanche, seulement 29 d’entre eux parviennent à déterminer quel groupe de mots, dans cette phrase simple, correspond au relatif de la phrase complexe, et à analyser correctement sa fonction. Seuls 10 travaux explicitent vraiment clairement leur raisonnement à cette étape.
Une erreur récurrente apparaît dans l’analyse de la fonction du groupe de mots de la phrase simple équivalent au pronom relatif dans la phrase complexe : on retombe alors sur les habituelles confusions entre sujet et COD, COD et COI, qui conduisent ensuite à des explications du choix du pronom erronées.
Ces résultats font ressortir le réel apport de la démarche en termes de diagnostic : ici, savoir que c’est sur l’identification du groupe de mots correspondant au relatif et sur l’analyse de sa fonction qu’il faut travailler, permet au professeur de gagner un temps précieux en ciblant plus efficacement la remédiation.
DIAPORAMA N°2 : FORMER UNE PROPOSITION SUBORDONNÉE RELATIVE
Le professeur propose dans un second temps aux élèves de revenir à la démarche inverse, soit de former une phrase complexe contenant une relative à partir de deux phrases simples, puis de justifier l’emploi du pronom relatif qu’ils ont choisi.
- A. La forêt abrite un arbre ancien.
- B. Cet arbre possède des pouvoirs merveilleux.
La nouvelle consigne fait réapparaître pour les élèves les difficultés précédemment évoquées. Certains forment la phrase : La forêt abrite un arbre qui est ancien, et laissent de côté la phrase B. D’autres échouent dans la construction d’une phrase complexe syntaxiquement correcte, et proposent simplement : La forêt qui abrite un arbre ancien, laissant toujours de côté la phrase B.
Il faut donc plusieurs entraînements et reprises pour que tous s’approprient le fonctionnement sémantique et syntaxique de la proposition subordonnée relative. Au terme de la séance, les élèves ont le choix d’élaborer ou non un dernier diaporama commenté, qui compte comme devoir bonus.
Voici un exemple de production d’élève, avec le pronom dont :
L’élève utilise ici correctement le pronom relatif dont, et l’analyse bien comme complément du nom sabots. Après la reprise qui a été faite en classe du premier diaporama, il a le réflexe d’envisager cette fonction, mais s’appuie encore sur le sens (la relation d’appartenance) plutôt que sur la syntaxe pour faire la différence avec le COI.
- 23 proposent une phrase complexe correctement formée ou presque (2 proposent des phrases grammaticalement incorrectes, 1 une phrase complexe qui ne correspond pas totalement aux phrases simples) ;
- 19 délimitent correctement la relative et identifient correctement le pronom relatif dans la phrase complexe ;
- 17 justifient le choix du pronom relatif de la façon attendue, c’est-à-dire en identifiant correctement le groupe de mots auquel il se substitue et sa fonction.
L’étape d’explicitation du choix du pronom s’avère donc de nouveau la plus difficile pour les élèves.
Bilan de l’expérimentation
Pour les élèves, la réalisation de ces diaporamas commentés, si elle s’est parfois avérée complexe sur un plan technologique, a présenté des avantages évidents sur le plan des apprentissages :
- La compréhension plus fine, et plus consciente, des mécanismes linguistiques en jeu dans la construction des relatives ;
- L’entrée dans une forme de réflexivité sur la langue ;
- L’entraînement à la formulation orale d’un raisonnement linguistique.
Pour le professeur, si la mise en œuvre et l’évaluation de ce dispositif a demandé du temps [4], l’analyse des résultats s’est avérée extrêmement utile en termes de diagnostic : dans de nombreux cas, elle a permis d’identifier avec précision sur quelles étapes du raisonnement les élèves butaient, et pour quelles raisons. Les documents suivants en présentent des bilans détaillés :
De façon générale, on repère :
- sans surprise, une bonne maîtrise de l’emploi de qui et de que ;
- de façon plus inattendue, une assez bonne maîtrise de l’emploi de dont lorsqu’il a la fonction de COI ;
- une mauvaise maîtrise de l’emploi de dont faisant fonction de CDN.
Au moment d’aborder la relative en 2de, il apparaît donc pertinent de passer rapidement sur l’usage de qui et de que, pour insister plutôt sur les pronoms aux constructions plus complexes : dont COI et surtout CDN, ainsi que tous les pronoms se substituant à des groupes prépositionnels : à qui, auquel, pour qui, pour lequel… La construction de la relative introduite par dont CDN demande clairement à être détaillée, analysée et pratiquée de façon explicite avec les élèves.
Dans tous les cas, le passage par la narration de recherche permet un diagnostic relativement précis de ce qui pose problème aux élèves dans l’élaboration de leurs raisonnements grammaticaux, qu’il s’agisse d’acquis à consolider, de l’identification des éléments sur lesquels doivent porter les manipulations, ou des manipulations elles-mêmes. Mobilisé en évaluation diagnostique plutôt que sommative, ce dispositif semble donc pouvoir permettre au professeur de gagner en temps et en efficacité en ajustant la remédiation aux difficultés réelles des élèves.