La fonction sujet est une fonction bien connue des élèves et, parce qu’elle leur est familière, elle leur semble très simple. Pourtant, quand ils lisent, ils peinent souvent à identifier le sujet lorsqu’il est inversé, séparé du groupe verbal par des mots écrans ou lorsqu’il n’ouvre pas la phrase. Ils ne savent pas toujours, quand ils écrivent, accorder correctement le verbe avec le sujet lorsque ce dernier est inversé ou lorsqu’il est séparé du verbe par un rupteur [1].
Ce travail a été mené en classe de 2de ainsi qu’en 1ère STL. Les accords entre le sujet et le verbe sont au programme de la classe de seconde et il a paru utile de revoir cette question en début d’année en 1ère STL, en raison des difficultés identifiées.
L’objectif était de rendre les élèves à même de percevoir les caractéristiques du sujet, de reconnaître le sujet d’une phrase pour pouvoir accorder le verbe de la phrase, de comprendre correctement la phrase lorsque le sujet est par exemple inversé ou éloigné du verbe. Il s’agissait ainsi, dans l’esprit du professeur, parce que le repérage du thème d’une phrase (ce dont on parle) coïncide, dans de nombreux cas, avec l’identification du sujet grammatical, de les rendre capables d’identifier en lecture et d’isoler en écriture le thème de l’énoncé dans le GNS.
Présentation du dispositif pédagogique
1- Présentation des objectifs
L’expérimentation menée répond donc à l’objectif de renforcer les compétences linguistiques pour développer à terme en lecture les compétences de compréhension et en écriture les compétences langagières.
Les séances permettent aux élèves de :
- identifier le rôle du sujet comme constituant de la phrase et sa relation au verbe dont il commande l’accord ;
- prendre conscience que, si la place la plus usuelle du sujet est avant le verbe, en tête de la phrase, le sujet peut également être placé après le verbe dans un certain nombre de constructions ;
- s’approprier les manipulations pertinentes pour l’identification du sujet :
– le remplacement par pronominalisation ;
– l’encadrement en mettant en relief le sujet par le tour « c’est…qui » ;
– la transformation passive de la phrase dans laquelle le sujet de la phrase active devient complément d’agent de la phrase passive (quand le verbe est transitif direct) ; - se rendre compte que les sujets peuvent être de natures très diverses : nom, GN plus ou moins étendu, pronom, verbe à l’infinitif, proposition subordonnée complétive, proposition subordonnée relative.
2- Le laboratoire de langue, une situation de travail spécifique
Le professeur nomme ces séances « laboratoire de grammaire » pour inviter les élèves à se plonger dans une enquête grammaticale qui se veut dynamique et propre à susciter leur implication. Ils développent ainsi leurs compétences linguistiques tout en restant motivés.
En travaillant en petits groupes, ils profitent des échanges avec leurs camarades et se répartissent les phrases du corpus pour une analyse plus approfondie et moins chronophage.
Leur mission comporte deux volets :
- vérifier les affirmations du laboratoire,
- identifier le sujet de chaque phrase.
Pour cela, ils utilisent des manipulations syntaxiques et les outils numériques leur permettent :
- de rendre concrètes et effectives les manipulations et de les donner à voir tant aux élèves eux-mêmes qu’au professeur,
- de traduire la dynamique de la recherche par les essais successifs rendus ainsi visibles.
- de rendre compte de la démarche mise en œuvre et du questionnement,
- de garder trace du travail effectué,
- d’opérer un retour réflexif sur les manipulations faites.
3- Déroulement de l’expérimentation
SÉANCE 1 - Mise en place du laboratoire de langue
Voici l’énoncé de la consigne distribuée aux élèves.
Après avoir constitué de petits groupes, votre mission sera de vérifier si les affirmations recueillies par le laboratoire sont exactes ou erronées. Pour ce faire, vous étudierez soigneusement les phrases du corpus « À la recherche du sujet ». Pour cette recherche, vous aurez à cœur d’utiliser les manipulations syntaxiques présentées dans l’introduction et les cartes réalisées. Dans un second temps, vous pourrez identifier le sujet de chaque phrase.
Vous rendrez le cheminement complet de votre enquête, étape par étape, sans renoncer aux difficultés qui seront peut-être les vôtres, car vous avez droit à l’erreur.
- Le corpus linguistique et la question du choix
Les élèves expriment au lycée une certaine lassitude face à certaines notions grammaticales qu’ils estiment maîtriser en profondeur. C’est le cas du sujet qu’ils associent souvent à l’école primaire, à leurs premiers cours d’étude de la langue.
Il semble donc nécessaire de proposer un corpus linguistique résistant permettant de traiter le point de grammaire par l’observation, la comparaison, la manipulation et couvrant l’ensemble des cas qui peuvent faire obstacle à la compréhension en situation de lecture.
On choisit dès lors un corpus qui, sans prétendre à l’exhaustivité, offre suffisamment de complexité et de diversité pour aboutir à une véritable enquête et susciter l’intérêt des élèves pour la notion de sujet, avec des exemples constituant des surprises ou des défis. Les phrases sont choisies pour présenter des degrés de difficulté variés, tant par la classe grammaticale du sujet (groupe nominal, nom propre, pronom personnel, pronom interrogatif, infinitif, subordonnée) que par sa place dans la phrase (début de phrase, après un complément, sujet inversé).
– Tous les matins, Alice travaille au lycée.
– Les renards ont bien dormi.
– Le lit de ma grand-mère est très ancien.
– Pierre poursuit Michel.
– Nous, on aime bien le fromage.
– Louise et moi avons compris la leçon.
– Regarde Marie !
– Il regardait son chien, l’admirait, l’aimait beaucoup et le trouvait beau.
– Ce livre, l’enfant l’a acheté il y a dix ans.
– Promettre est toujours facile, tenir l’est moins.
– As-tu rencontré Pierre ce matin ?
– Qui a pris le livre qui était sur la table ?
– Il pleut beaucoup.
– La neige est balayée par le vent.
– Dans le ciel passent des vols de cigognes.
– Que veut cet homme ?
– Que vous réussissiez bien cet exercice me remplirait de joie.
– Sans doute a-t-il déjà fini.
- Les affirmations à vérifier
Le second corpus est constitué d’affirmations concernant les procédures de reconnaissance des sujets. Sont-elles toujours vraies ? Sont-elles pertinentes ? Les élèves sont invités à étayer leur jugement à l’aide d’exemples tirés du corpus ; ils peuvent alors confirmer ou infirmer leur hypothèse et effectuer des va-et-vient entre le corpus et les affirmations.
– « Le sujet, c’est celui qui fait l’action. »
– « Le sujet, c’est le groupe nominal qui se trouve avant le verbe. »
– « Le sujet ne peut être effacé. »
– « Le sujet, c’est ce dont on parle, c’est le thème de la phrase. »
– « Le sujet, c’est ce qui répond à la question qui est-ce qui ? »
– « Le sujet est un être animé. »
– « Le groupe nominal sujet pourrait être encadré par c’est ... qui. »
– « Le sujet, c’est le groupe qui fait varier le verbe. »
– « Le sujet, c’est le premier groupe nominal de la phrase. »
– « Le groupe sujet peut être le plus souvent remplacé par il, elle, ils, elles. »
– « La virgule sépare le verbe de son sujet. »
L’intérêt de ces affirmations reste avant tout de faire réfléchir les élèves. Il s’agit pour ces derniers de comparer les phrases, d’identifier la manipulation utilisée (par exemple, la pronominalisation) pour détecter le sujet et de comprendre les caractéristiques de cette fonction syntaxique.
SÉANCE 2 - Début de l’exploration en groupes
Une deuxième séance de travail permet aux élèves, répartis en groupes, de chercher les sujets. Les élèves étant placés en îlot, le professeur peut circuler aisément entre les groupes et les élèves, quant à eux, peuvent facilement travailler de concert.
Le professeur rappelle l’objectif (identifier les sujets / manipuler pour vérifier l’hypothèse, s’aider des affirmations pour voir celles qui fonctionnent ou ne fonctionnement pas).
On leur explique qu’ils doivent noter toutes leurs étapes, erreurs, recherches et amendements. Un élève de chaque groupe est nommé secrétaire, ce qui facilite ensuite la réalisation de la capsule. On les laisse libres de choisir l’outil numérique le plus à même de rendre visible leur démarche et le plus pertinent à leurs yeux.
SÉANCE 3 - Élaboration du canevas grammatical par chaque groupe et réalisation de la capsule
Lors de la troisième séance, les analyses ont été rédigées.
Les élèves :
– partent des hypothèses,
– matérialisent les manipulations syntaxiques envisagées,
– argumentent, concluent et indiquent si les hypothèses étaient justes ou non.
Les élèves rédigent ainsi le cheminement de l’analyse qui constituera la matrice de la capsule. La capsule est réalisée par chaque groupe hors la classe, à la maison, au CDI ou en permanence.
SÉANCE 4 - Retour en classe entière pour la formalisation
Une fois les capsules remises et la correction effectuée de manière collégiale, il a été rapide de mener ensemble la formalisation des règles sous forme d’une « carte résumé » réalisée par chaque élève dans son classeur. La leçon s’est construite en trouvant les dénominateurs communs à partir des affirmations vraies (rôle du sujet, place du sujet, nature du sujet et les manipulations syntaxiques les plus intéressantes) ; quant aux phrases du corpus, les élèves ont bien compris qu’elles constituaient les exemples permettant d’illustrer les caractéristiques principales du sujet.
Analyse des difficultés rencontrées
1er type d’écueil - Adopter la bonne posture
La première difficulté pour les élèves est d’identifier la langue comme objet de travail. Le fait que certains élèves aient indiqué pour la phrase « La neige est balayée par le vent » : « cela tombe bien, c’est bientôt l’hiver » montre la difficulté pour eux d’adopter une perspective linguistique.
Faire de la grammaire, étudier comment fonctionnent différents éléments de la phrase, nécessite un changement de posture : passer d’une perspective pragmatique, dialogique, à une perspective linguistique, monologique, qui nécessite de travailler sur la phrase comme objet étudiable en soi.
Sortir du contextuel que peut évoquer la phrase n’est pas toujours simple pour les élèves ; en différer le sens pour aboutir à une formalisation des principes du fonctionnement propre de la langue demande un entraînement très régulier.
2ème type d’écueil - Tomber dans le piège de la précipitation
Des « routines » sont très ancrées, comme le fait de poser la question « qui ? » pour trouver un sujet ou la question « quoi ? » pour trouver un COD. Les élèves ont du mal à s’en défaire et tombent dans des pièges qu’ils peuvent éviter en prenant le temps de l’analyse.
Une manipulation a été systématiquement choisie, celle de l’effacement (le sujet étant un constituant obligatoire de la phrase). Le caractère obligatoire de la fonction sujet a conduit les élèves à considérer que, si l’effacement d’un groupe rendait la phrase agrammaticale, ce groupe était forcément le sujet.
Par ailleurs, ils ont bien senti la nécessité de repérer, avant toute chose, tous les verbes conjugués pour identifier les propositions. Néanmoins, repérer les verbes conjugués de la phrase pour identifier le ou les sujet(s) n’était pas une évidence pour tous les élèves, même si certains l’ont fait spontanément. Ainsi, le groupe d’Héloïse a découpé la phrase « Promettre est toujours facile // tenir l’est moins » en fonction des verbes conjugués, ce qui a permis d’identifier les deux propositions et de comprendre qu’il y avait ainsi deux sujets dans cette phrase.
De même, la présence du COD sous la forme d’un nom propre a aussi perturbé l’un des groupes, qui, parce qu’on avait affaire à un nom propre, voulait y voir un sujet.
Enfin, dans certains cas, la manipulation était inutile : comme certains pronoms personnels sont toujours sujets et uniquement sujets (je / tu / il / ils / on), il suffit, pour les identifier, de les connaitre. C’est le cas de la phrase « As-tu rencontré Pierre ce matin ? »
Il a donc été pertinent de mener avec les élèves une réflexion sur la manière d’identifier un sujet, car tous n’avaient pas les mêmes acquis en la matière. Le professeur n’est de ce fait pas exclu de la démarche ; il intervient comme personne ressource pour donner des précisions, accompagner, aider éventuellement à sortir de l’erreur en relançant la réflexion du groupe.
3ème type d’écueil - Identifier les constituants de la phrase
- Dans certaines phrases comportant plusieurs verbes conjugués et plusieurs sujets, les élèves ne repèrent souvent qu’un seul verbe conjugué. C’est le cas quand la phrase contient une proposition subordonnée relative : « Qui a pris le livre qui était sur la table ? ». Une fois que les élèves ont identifié le verbe « était » et son sujet « qui », ils oublient le début de la phrase. Sans doute la présence de ces deux « qui » les a-t-elle perturbés.
- Le découpage de la phrase en groupes syntaxiques, le repérage des propositions et l’identification de tout le GNS ont pu constituer des difficultés chez certains. Ils ont pu avoir tendance à ne retenir comme sujet que le nom noyau et son déterminant. Ils ont ainsi souvent considéré que « Des vols » pouvait être le sujet et non « Des vols de cigognes ».
Les élèves ont également eu plus de mal à identifier comme sujet un groupe nominal avec expansion du nom (complément du nom par exemple : « Le lit de ma grand-mère est très ancien »). Le GNS est identifié comme étant « Le lit ». C’est l’encadrement par « C’est…qui » qui a permis aux élèves de repérer tout le groupe sujet.
- La position en début de phrase d’un groupe syntaxique occupant une autre fonction les a souvent induits en erreur : « Ce livre, l’enfant l’a acheté il y a deux ans. ». Les élèves ont ainsi considéré « ce livre » comme pouvant être le sujet.
- Le fait d’avoir deux pronoms personnels, et l’un en tête de phrase, a rendu l’identification particulièrement complexe pour la phrase « Nous, on aime bien le fromage. ». Cette structure, appartenant à la langue parlée, est très courante, mais ce cas est, linguistiquement, particulièrement difficile. Aussi pourrait-on imaginer un corpus progressif où les phrases seraient classées par ordre de complexité afin d’échelonner les difficultés pour permettre à ceux qui sont plus à l’aise en grammaire d’aller plus loin.
4ème type d’écueil - Recourir aux manipulations de façon raisonnée, utile et pertinente
Tous les élèves n’ont pas la même familiarité avec les manipulations syntaxiques : certains manipulaient déjà au collège, d’autres peu, voire pas du tout, comme ils l’ont indiqué dans le questionnaire de fin d’expérimentation.
Ce manque d’habitude s’est traduit de différentes façons.
- Certains ont eu du mal au début à saisir la logique sous-jacente des manipulations syntaxiques, comment elles contribuent à l’analyse grammaticale. C’est la pratique régulière qui permet de développer leurs compétences et leur autonomie en la matière.
- D’autres ont pu faire preuve d’une certaine maladresse dans l’application des manipulations syntaxiques, ce qui a pu conduire à des erreurs ou à des résultats peu clairs, tout un groupe syntaxique n’étant pas repéré, par exemple.
- D’autres encore ont éprouvé des difficultés à sélectionner la manipulation appropriée pour traiter une phrase donnée, ce qui a rendu leur analyse moins ou non efficace. Il est parfois difficile pour les élèves de discerner quelles manipulations sont cruciales pour la compréhension de la structure de la phrase et lesquelles sont moins importantes.
- Enfin, certains ont rencontré des difficultés à combiner plusieurs manipulations syntaxiques pour tirer des conclusions pertinentes alors que d’autres y parviennent aisément.
Quelles manipulations utiles et pertinentes pour identifier le sujet ?
Le travail sur les affirmations a permis aux élèves de vérifier qu’ils avaient bien trouvé le bon sujet ou d’effectuer des ajustements. Certaines d’entre elles, en effet, questionnaient ce qui est, pour beaucoup d’élèves, des évidences, comme par exemple l’affirmation « Le sujet fait l’action » ou le fait de considérer le premier mot d’une phrase comme étant forcément le sujet.
Parmi les affirmations se trouvent deux manipulations « décisives » pour reprendre l’expression de Suzanne Chartrand. Le professeur n’est pas absent lors du travail en groupe ; il guide les élèves et leur propose de considérer avec attention ces manipulations, utiles pour résoudre la difficulté d’identification de certains sujets et vers lesquelles, paradoxalement, les élèves ne se tournent pas spontanément, telles la pronominalisation ou l’ajout du présentatif « c’est…qui ».
In fine, pour valider le sujet, le groupe classe, à la suite de ses explorations, a été amené à retenir quatre manipulations.
1- L’encadrement par c’est ... qui ...
Pour l’énoncé « Dans le ciel passent des vols de cigognes. », le recours à l’encadrement a montré aux élèves que c’est tout le GN « Des vols de cigognes » qui constitue le sujet, car, ainsi que le rappelle Suzanne Chartrand, « toute unité qui peut être encadrée par le marqueur d’emphase c’est... qui a la fonction de sujet, parce que le qui de c’est... qui est un pronom relatif toujours sujet s’il n’est pas précédé d’une préposition : cette manipulation est donc décisive ».
Dans le cas de la phrase « il pleut beaucoup », les élèves ont mal utilisé le tour « c’est…que » puisque le syntagme n’encadre pas le pronom personnel, il le précède, donnant un tour familier et oral « c’est qu’il pleut beaucoup ! ». Ils ne voient donc pas qu’ils aboutissent à un résultat différent et que la manipulation n’a aucune valeur opératoire.
2- L’extraction du sujet
Poser la question Qui est-ce qui... ? ou Qu’est-ce qui...? devant le verbe de la phrase, manipulation que les linguistes appellent « extraction du sujet », est aussi une bonne façon d’identifier le sujet ; cela revient à faire subir à la phrase une transformation interrogative.
Mais les élèves ont eu du mal à comprendre la différence entre qui est-ce qui et qu’est-ce qui. Certains utilisent « qui est-ce qui » pour un élément inanimé, sans sentir que cela ne convient pas.
Dans ce second exemple, les élèves utilisent « qui est-ce qui » pour renvoyer aux infinitifs « promettre » et « tenir », sans se rendre compte que cela ne fonctionne pas.
Peu d’élèves ont compris que l’affirmation « Le sujet, c’est ce qui répond à la question « qui est-ce qui ? » » ne convenait pas pour tous les sujets envisagés. Suzanne Chartrand explique que ce point est très délicat, « les élèves et étudiants posent souvent mal la question (Qu’est-ce qui... ? ou C’est qui... ? ou encore C’est qui qui... ?) ; aussi n’obtiennent-ils pas toujours le résultat attendu. »
3- La pronominalisation
Grâce aux affirmations et en particulier à l’affirmation « Le groupe sujet peut être le plus souvent remplacé par « il », « elle », « ils », « elles ». », les élèves ont mieux compris l’intérêt de la pronominalisation. Si ce qui est susceptible d’être un sujet est un GN, on peut le remplacer par l’un des pronoms personnels sujets de la 3e personne (« il » / « elle » / « ils » / « elles »), selon le genre et le nombre du noyau du GN remplacé.
Concernant la phrase « Que veut cet homme ? », en tâtonnant, les élèves parviennent à remplacer « cet homme » par « il » et à identifier le sujet inversé : « Que veut-il », le « petit mot « que » » en tête de phrase les ayant perturbés.
Dans la phrase « La neige est balayée par le vent », les élèves ont perçu que le GN « la neige » peut être remplacé par le pronom personnel féminin singulier « elle ». Comme le pronom « elle » ne remplit que la fonction de sujet, cette manipulation syntaxique prouve que ce GN a la fonction de sujet.
Ce second groupe se livre, sur la même phrase, à une exploration plus complète et une démonstration plus détaillée.
Autre énoncé : « Tous les matins, Alice travaille au lycée » .
La plupart du temps, les élèves ont réussi à pronominaliser, mais ils ont parfois eu du mal à comprendre à quoi renvoyait le « il » dans la tournure pronominale : « Il pleut beaucoup ».
À reprendre la transcription du propos de l’élève,
– « si on retire le « il » ça donne pleut beaucoup ». « Mais est-ce qu’il y a un nuage qui pleut beaucoup ? je ne pense pas qu’il y a quelqu’un avec un nuage mouillé qui fait pleuvoir ». -
ce dernier semble avoir réfléchi à ce que désignait ce « il », senti la nécessité de ce pronom personnel qui ne renvoie pas à quelqu’un ou à quelque chose, mais qui a simplement la fonction de sujet, sans réussir néanmoins à convoquer la notion adéquate de tournure impersonnelle.
4- La substitution
Enfin, une autre manipulation essentielle que les élèves ont grand mal à envisager est la substitution, laquelle gagnerait à être davantage montrée aux élèves pour les aider à comprendre les équivalences syntaxiques.
Quand le sujet est une phrase subordonnée « Que vous réussissiez bien cet exercice me remplirait de joie. » ou un GV à l’infinitif « Promettre est toujours facile, tenir l’est moins », de rares élèves, de façon intuitive, ont pensé à remplacer cet élément par le pronom démonstratif ça « ça me remplirait de joie » ou par la tournure impersonnelle « Promettre est toujours facile » // « il est toujours facile de promettre ». On pourrait les y entraîner en leur montrant des équivalences syntaxiques simples telles que le remplacement par un substantif : « Que vous réussissiez bien cet exercice » équivaut à Votre réussite, et « promettre » à « une promesse ».
Focus sur une capsule vidéo
Dans ce dernier temps, nous nous proposons d’analyser la capsule d’un binôme portant sur une phrase en particulier. Nous réfléchirons, ce faisant, à l’intérêt de mettre les élèves en situation de produire, en binôme, une narration de recherche sous la forme d’un dialogue.
En quoi le travail en binôme et la situation d’interaction, de fait, facilitent-ils la mise en place d’une posture d’enquêteur poussant à la justification de l’hypothèse ou de l’affirmation ? Chacun jouant le contradicteur de l’autre, l’élève agit pour son camarade comme révélateur des éventuelles erreurs commises et des intuitions heureuses.
Deux documents à disposition :
- la transcription du dialogue
- la vidéo élaborée par le binôme
– On voit qu’Oussama utilise, comme première manipulation, l’effacement pour isoler le sujet du verbe conjugué « ai ramassée » et sentir instinctivement le lien qui unit les deux groupes.
– Il fait une remarque de bon sens : il reconnaît en « j’ » la forme élidée de « je », qu’il identifie spontanément comme étant un sujet.
– Ismaël n’est pas d’accord avec Oussama. Un débat a lieu. Le sujet du verbe être est-il « la feuille » ou « la feuille que j’ai ramassée » ?
– Ismaël met en évidence une autre stratégie de recherche pour identifier le sujet, puisqu’il encadre une partie de la phrase avec « c’est...qui », et perçoit qu’Oussama n’a pas encadré tout le groupe syntaxique, en l’occurrence le GN et son expansion (la subordonnée relative). Il ne se contente pas d’une seule manipulation puisqu’il la double d’une pronominalisation, ce qui lui permet de vérifier que tout le groupe occupe la fonction sujet.
– Ils peuvent ensuite conclure après s’être mis d’accord.
Ce travail en groupe a bien des avantages. Le dialogue entre Oussama et Ismaël est à la fois une collaboration et un échange. En confrontant leurs analyses, ils explorent différentes perspectives, font un pas de côté. Cette interaction entre pairs favorise le développement de compétences métacognitives, puisque les élèves évaluent et ajustent leurs propres méthodes de recherche du sujet en fonction de la discussion avec le camarade.
La narration de recherche par les élèves se fait grâce aux diapositives commentées. En expliquant leur processus de réflexion étape par étape, les élèves donnent à voir comment ils parviennent à leur conclusion négociée. Ils sont encouragés à questionner et à justifier leurs démarches, ce qui contribue à une meilleure compréhension du phénomène linguistique.
Les manipulations constituent des outils utiles à Oussama et Ismaël pour valider ou invalider une analyse et affiner leur conscience syntaxique. Sur leur diaporama, le focus sur une seule phrase leur permet de présenter un raisonnement grammatical précis, de façon dialoguée, mais aussi négociée (les élèves présentent leurs intuitions et leurs hypothèses). Une procédure rigoureuse est mise en place à partir d’un problème à résoudre : cerner la difficulté, poser des hypothèses, solliciter des manipulations syntaxiques pour présenter une justification, la mettre en débat, conclure.
Le travail en binôme a eu des effets positifs dans tous les groupes, car il a permis de nourrir l’enquête, d’aider les élèves à adopter un raisonnement grammatical, de remédier à des difficultés. Beaucoup d’élèves sont parvenus à adopter un raisonnement grammatical, présentant des hypothèses, des vérifications (infirmations, confirmations) et des conclusions.
En travaillant en équipe, les élèves les plus faibles ont mieux compris les phrases plus difficiles (avec un sujet inversé par exemple) parce que les manipulations présentées par un camarade ont rétabli l’ordre canonique avec un découpage des groupes et un déplacement de certains d’entre eux. Les capsules qu’ils ont réalisées en groupe rendent bien visibles les manipulations choisies.
Quelques élèves, malgré la répartition des phrases, ont voulu traiter davantage de phrases, au risque de se disperser, d’étiqueter, de manquer de rigueur et de commettre des erreurs qui auraient pu être évitées s’ils avaient accepté de ne traiter que les phrases attribuées.
Conclusion sur l’expérience
Entendre les élèves se gourmander parce que chacun défend son idée grammaticale est particulièrement réjouissant pour le professeur et stimulant pour l’élève qui se sent autorisé à exprimer ses intuitions.
Ce travail d’enquête, qui s’avère motivant, permet aux élèves de s’engager dans des tâches cognitives complexes et signifiantes. Le recours aux manipulations, rendues visibles grâce à la capsule vidéo, joue un rôle formateur dans leur compréhension du fonctionnement de la syntaxe, sous le guidage du professeur.
Au terme de cette expérimentation, la représentation qu’ont désormais les élèves du sujet a évolué. Ils ont ainsi compris que sa place n’est pas toujours en tête de la phrase et découvert les nombreuses classes grammaticales qu’il pouvait épouser. De nouvelles prises s’offrent à eux pour l’identifier. Ils ont par exemple recours à « l’encadrement » pour identifier tout un groupe nominal et non seulement un nom noyau. « L’effacement » leur permet de percevoir le lien qui unit le groupe sujet et le groupe verbal associé. Le recours à « la substitution » leur a offert la possibilité de sentir les équivalences syntaxiques. En revanche, ils savent désormais que la manipulation syntaxique est inutile quand le sujet est un pronom personnel qui occupe toujours la fonction sujet.
Afin que les élèves prennent du recul sur l’expérimentation, il leur a été demandé d’analyser le travail mené en expliquant ce qui leur a semblé clair, intéressant et ce qui restait plus difficile.
Pour ce qui est du dispositif mis en place, il en ressort que les élèves ont aimé le travail en équipe contribuant à transformer la leçon de grammaire en espace d’expérimentation où le dialogue a toute sa place. Ils ont été particulièrement sensibles aux productions demandées qui leur ont semblé parlantes, tant la carte mentale pour synthétiser les procédures de reconnaissance du sujet que les capsules vidéos permettant de donner à voir les manipulations et de rendre compte du raisonnement suivi.
Quant aux compétences linguistiques proprement dites, ils disent avoir compris que le sujet n’était pas forcément celui qu’ils pensaient au départ. Ils semblent avoir mieux perçu grâce à cette expérimentation, que la grammaire impliquait d’envisager les relations entre les groupes de mots. Le laboratoire de langue, selon eux, leur a également permis de découvrir la variété et l’utilité des manipulations syntaxiques.
Leurs réponses montrent que, pour la plupart, ils sentent qu’il est encore difficile pour eux de chercher et d’utiliser la manipulation adéquate, de ne pas oublier d’y avoir recours et de repérer le sujet quand il y en a plusieurs dans une phrase.
Ce petit travail d’analyse constitue un pas vers la métacognition. Mais, s’il constitue un indicateur précieux, il doit néanmoins être appréhendé avec prudence, car les élèves ne sont pas toujours les mieux placés pour identifier leurs difficultés réelles.