Introduction de l’inspection
Pour commencer
1- Pourquoi La Rage de l’expression est-elle source de « dislisibilité » [1] ?
- Une rencontre déceptive
Pour commencer sa conférence Bénédicte Gorrillot explicite quels attendus La Rage de l’expression peut décevoir chez le lecteur, a fortiori parmi nos élèves dont les références s’arrêtent essentiellement à la poésie versifiée du XIXème siècle, à laquelle s’ajoutent éventuellement Les petits poèmes en prose de Baudelaire. Ces références ont contribué à forger, en guise de définition du poétique, l’a priori d’une forme courte, le plus souvent versifiée, support d’une expression personnelle, ancrée dans l’instant d’une expérience individuelle.
- La Rage de l’expression source de « dislisibilité » ?
Pour faire comprendre ce qui fait cette « dislisibilité », la conférencière renvoie à une définition de la poésie, livrée par Ponge dans « Le monde muet est notre seule patrie » [2], dans laquelle elle voit la définition même du recueil de La Rage de l’expression :[La véritable poésie] est ce qui ne se donne pas pour poésie. Elle est dans les brouillons acharnés de quelques maniaques de la nouvelle étreinte.
Ponge entreprend dans La Rage de l’expression un travail de défiguration, non seulement des attendus poétiques, soit la vision traditionnelle de la poésie, mais également des formes poétiques mêmes, installées dans Le Parti pris des choses, soit le poème en prose. Est alors convoqué pour illustration le texte liminaire « Les Berges de la Loire ».
2- Pourquoi le thème de l’atelier est-il une entrée pertinente pour lire La Rage de l’expression ?
- Que comprendre derrière le mot « atelier » ?
Pour répondre à cette question Bénédicte Gorrillot s’appuie sur un texte de Ponge nommé lui-même « L’atelier » [3], écrit en 1948, donc après la campagne essentielle d’écriture des textes de La Rage de l’expression, mais avant leur publication de 1952.
Elle en vient à l’idée que « la notion de l’atelier telle que Ponge la conçoit dans le texte de l’Atelier nous permet d’échapper à l’illusion heureuse de quelque chose d’assumé que pouvait nous donner le texte liminaire des Berges de la Loire ».
Elle en retient comme premier guide de lecture pour entrer dans les textes de La Rage : « repérer tout ce qui relève de l’auto-commentaire réflexif critique manifestant les doutes et les déchirements de la subjectivité » du poète.
- Petite chronologie pour situer La Rage de l’expression, dans son écriture, en regard des œuvres connexes, contemporaines, de Francis Ponge
- Exemplier reprenant un ensemble d’annotations ou citations regroupées par textes.
Partie 1 - Déconstruction du Parti pris des choses
Le poème à l’ère du soupçon.
1- La voie du Parti pris des choses : « Donner la parole au monde muet »
En rebondissant sur la question de la nature des « choses » auxquelles Ponge entend rendre la parole, dans et par sa poésie, Bénédicte Gorrillot inaugure cette partie en définissant l’idéal poétique de Ponge - accéder à la sensation pure, atteindre l’altérité radicale de la sensation.
Elle entend en effet comprendre, en confrontant Le Parti pris des choses et La Rage de l’expression pourquoi Ponge, brutalement, n’arrive plus à réaliser ce qu’il avait fait dans Le Parti pris des choses, « donner la parole au monde muet ».
2- « La désillusion phénoménologique »
La conférencière montre comment Ponge en arrive à cette découverte phénoménologique. « L’homme parle encore, se projette encore, cadre encore, interprète encore » ; il s’ensuit que « la contemplation de la chose en soi, accéder à la sensation de la chose pure, est une illusion », « la sensation qui donne accès à la chose en soi est impossible ».
Ce ne sont pas les choses qui parlent entre elles, mais les hommes entre eux qui parlent des choses et l’on ne peut aucunement sortir de l’homme [4].
L’eau m’échappe. L’eau échappe à toute définition [5].
3- Du Parti pris des choses à la Rage de l’expression : l’expérience d’un échec épistémologique
Bénédicte Gorrillot conteste l’idée d’une rupture radicale entre Le Parti pris des choses et La Rage de l’expression pour soutenir bien plutôt l’idée d’une continuité de l’un à l’autre, matérialisée dans la prise de conscience progressive de l’impossibilité à saisir le monde, et donc à le connaître. La marque de La Rage de l’expression, en regard du Parti pris des choses, c’est la lucidité qui se dit.
4- La Rage de l’expression ou la mise en scène d’une crise douloureuse de l’expression
L’œuvre traduit le repli contraint du poète, des sensations vers les perceptions, de la chose en soi vers l’objet [6].
Je peux soit décider de me taire, mais cela ne me convient pas, on ne se résout pas à l’abrutissement [...]
Il s’agit d’entériner qu’il est impossible de rien dire du côté muet des choses.
Partie 2- Pourquoi publier, malgré tout, le fatras de La Rage ?
Assumer les bonheurs relatifs d’expression
1- La voie d’un dépassement ?
Face à la « non signification du monde », face à l’impossibilité de rendre compte de la spécificité de l’expérience vécue, Ponge fait sienne la nécessité énoncée par Camus d’« entretenir la volonté de l’absurde », soit la conscience de la vérité de la situation d’impuissance dans laquelle on est.
Mais en prenant conscience de ce que je suis, je reprends la maîtrise de mon destin. J’ai au moins conscience que je n’y arrive pas.
Cette conscience lucide constitue la valeur de l’homme.
Pour Ponge, le révélateur a été la lecture du Mythe de Sisyphe de Camus. Il opère alors une bascule, qui consiste à renoncer à l’absolu, se contenter du relatif.
Je peux soit décider de me taire, [...] soit décider de publier des descriptions ou relations d’échecs de description.
Le poète entend se satisfaire d’un bonheur relatif d’expression, dans une parole qui atteint non pas LA vérité de la chose, mais UNE vérité.
2- Pourquoi publier malgré tout les échecs de description de La Rage de l’expression ?
Bénédicte Gorrillot pose donc comme hypothèse que Ponge a trouvé la raison de publier les échecs de description dans la volonté de manifester la conscience lucide des limites épistémologiques qui sont justement au fondement de la grandeur de l’homme.
Avant d’expliciter la manière dont s’est construit le récit de la Rage de l’expression, elle montre comment Ponge dresse Aristote contre Platon [7], pour retenir que ce qui fait la grandeur du poète, c’est d’ajouter l’humain au divin. Puis en prenant appui sur une lettre de Ponge à Camus [8], elle dessine la structure de l’œuvre
Temps d’échange
La question du lyrisme
Comment aborder les textes de La Rage de l’expression par la lecture linéaire ?
Du chef d’œuvre au « moviment »
Quels textes pour un groupement ?
Ressources
Quelques poètes
Voici quelques poètes complémentaires, proposés par Bénédicte Gorrillot, qui sont largement inspirés par Ponge et dont certains textes peuvent être rapprochés avec profit des textes de Ponge.
- Blaine, Julien : Une lézarde [9]
- Jaccottet, Philippe : Paysages avec figures absentes (1970)
- Méens, Dominique : Ornithologie d’un promeneur (1995)
- Michaux, Henri [10]
- Quintane, Nathalie : Grand ensemble (2008) ou Tomates (2015) ou Chaussure (1997)
- Tardieu, Jean : L’Atelier
Références
- Bénédicte GORRILLOT (dir.) Francis Ponge, ateliers contemporains. Classiques Garnier, 2019.
Actes du colloque de Cerisy, 2015.
- « Le lyrisme paradoxal de Francis Ponge »
Intervention de Bénédicte Gorrillot au séminaire « La Fabrique pongienne », organisé par l’équipe Marge de l’Université Lyon 3, le Centre d’étude de la langue et des littératures (CNRS et Sorbonne Université),
en partenariat avec la Société des auteurs de Francis Ponge, 21 décembre 2021.