Zola et l’impressionnisme

, par PLAISANT-SOLER Estelle, Lycée Saint-Exupéry, Mantes-la-Jolie

Texte 1. Emile Zola. Mon Salon (1868)
Les Actualistes

Je n’ai pas à plaider ici la cause des sujets modernes. Cette cause est gagnée depuis longtemps. Personne n’oserait soutenir, après les œuvres si remarquables de Manet et de Courbet, que le temps présent n’est pas digne du pinceau. Nous sommes, Dieu merci ! délivrés des Grecs et des Romains, nous avons même assez du Moyen Age que le romantisme n’est pas parvenu à ressusciter chez nous pendant plus d’un quart de siècle. Et nous nous trouvons en face de la seule réalité, nous encourageons malgré nous nos peintres à nous reproduire sur leurs toiles, tels que nous sommes, avec nos costumes et nos mœurs. [...]

Les peintres qui aiment leur temps du fond de leur esprit et de leur cœur d’artistes, entendent autrement les réalités. Ils tâchent avant tout de pénétrer le sens exact des choses ; ils ne se contentent pas de trompe-l’œil ridicules, ils interprètent leur époque en hommes qui la sentent vivre en eux, qui en sont possédés et qui sont heureux d’en être possédés. Leurs œuvres ne sont pas des gravures de mode banales et inintelligentes, des dessins d’actualité pareils à ceux que les journaux illustrés publient. Leurs œuvres sont vivantes, parce qu’ils les ont prises dans la vie et qu’ils les ont peintes avec tout l’amour qu’ils éprouvent pour les sujets modernes.

Parmi ces peintres, au premier rang, je citerai Claude Monet. Celui-là a sucé le lait de notre âge, celui-là a grandi et grandira encore dans l’adoration de ce qui l’entoure. Il aime les horizons de nos villes, les taches grises et blanches que font les maisons sur le ciel clair ; il aime, dans les rues, les gens qui courent, affairés, en paletots ; il aime les champs de course, les promenades aristocratiques où roule le tapage des voitures ; il aime nos femmes, leur ombrelle, leurs gants, leurs chiffons, jusqu’à leurs faux cheveux et leur poudre de riz, tout ce qui les rend filles de notre civilisation.

Dans les champs, Claude Monet préfèrera un parc anglais à un coin de forêt. Il se plaît à retrouver partout la trace de l’homme, il veut vivre toujours au milieu de nous. Comme un vrai Parisien, il emmène Paris à la campagne. Il ne peut peindre un paysage sans y mettre des messieurs et des dames en toilette. La nature paraît perdre de son intérêt pour lui, dès qu’elle ne porte pas l’empreinte de nos mœurs. [...]

J’ai vu de Claude Monet des toiles originales qui sont bien sa chair et son sang. L’année dernière, on lui a refusé un tableau de figures, des femmes en toilettes claires d’été, cueillant des fleurs dans les allées d’un jardin ; le soleil tombait droit sur les jupes d’une blancheur éclatante ; l’ombre tiède d’un arbre découpait sur les allées, sur les robes ensoleillées, une grande nappe grise. Rien de plus étrange comme effet. Il faut aimer singulièrement son temps pour oser un pareil tour de force, des étoffes coupées en deux par l’ombre et le soleil, des dames bien mises dans un parterre que le râteau d’un jardinier a soigneusement peigné.

Je l’ai déjà dit, Claude Monet aime d’un amour particulier la nature, que la main des hommes habille à la moderne. Il a peint une série de toiles prises dans des jardins. Je ne connais pas de tableaux qui aient un accent plus personnel, un aspect plus caractéristique. Sur le sable jaune des allées : les plates-bandes se détachent , piquées par le rouge vif des géraniums, par le blanc mat des chrysanthèmes. Les corbeilles se succèdent, toutes fleuries, entourées de promeneurs qui vont et viennent en déshabillé élégant. Je voudrais voir une de ces toiles au Salon ; mais il paraît que le jury est là pour leur en défendre soigneusement l’entrée. Qu’importe d’ailleurs ! elles resteront comme une des grandes curiosités de notre art, comme une des marques des tendances de l’époque.

Certes j’admirerais peu ces œuvres, si Claude Monet n’était un véritable peintre. J’ai simplement voulu constater la sympathie qui l’entraîne vers les sujets modernes. Mais si je l’approuve de chercher ses points de vue dans le milieu où il vit, je le félicite encore davantage de savoir peindre, d’avoir un œil juste et franc, d’appartenir à la grande école des naturalistes. Ce qui distingue son talent, c’est une facilité incroyable d’exécution, une intelligence souple, une compréhension vive et rapide de n’importe quel sujet. [...]

L’autre tableau dont je désire parler, est celui que Pierre-Auguste Renoir a intitulé Lise et qui représente une jeune femme en robe blanche, s’abritant sous une ombrelle. Celle Lise me paraît être la sœur de la Camille de Claude Monet. Elle se présente de face, débouchant d’une allée, balançant son corps souple, attiédi par l’après-midi brûlante. C’est une de nos femmes, une de nos maîtresses plutôt, peinte avec une grande vérité et une recherche heureuse du côté moderne.


Texte 2. Emile Zola. Une exposition : les peintres impressionnistes (1877)

Je crois qu’il faut entendre par des peintres impressionnistes des peintres qui peignent la réalité et qui se piquent de donner l’impression même de la nature, qu’ils n’étudient pas dans ses détails, ni dans son ensemble. Il est certain qu’à vingt pas on ne distingue nettement ni les yeux ni le nez d’un personnage. Pour le rendre tel qu’on le voit, il ne faut pas le peindre avec les rides de la peau, mais dans la vie de son attitude, avec l’air vibrant qui l’entoure. De là une peinture d’impression, et non une peinture de détails. Mais heureusement, en dehors de ces théories, il y a autre chose dans le groupe ; je veux dire qu’il y a de véritables peintres, des artistes doués du plus grand mérite.

Ce qu’ils ont de commun entre eux, je l’ai dit, c’est une parenté de vision. Ils voient tous la nature claire et gaie, sans le jus du bitume et de terre de Sienne des peintres romantiques. Ils peignent le plein air, révolution dont les conséquences seront immenses. Ils ont des colorations blondes, une harmonie de tons extraordinaires, une originalité d’aspect très grand. D’ailleurs, ils ont chacun un tempérament très différent et très accentué.


Texte 3. Emile Zola. Le naturalisme au Salon (1880)

Les véritables révolutionnaires de la forme apparaissent avec M. Edouard Manet, avec les impressionnistes, MM. Claude Monet, Renoir, Pissaro, Guillaumin, d’autres encore. Ceux-ci se proposent de sortir de l’atelier où les peintres se sont claquemurés depuis tant de siècles, et d’aller peindre en plein air, simple fait dont les conséquences sont considérables. En plein air, la lumière n’est plus unique, et ce sont dès lors des effets multiples qui diversifient et transforment radicalement les aspects des choses et des êtres. Cette étude de la lumière, dans ses mille décompositions et recompositions, est ce qu’on a appelé plus ou moins proprement l’impressionnisme, parce qu’un tableau devient dès lors l’impression d’un moment éprouvée devant la nature. Les plaisantins de la presse sont partis de là pour caricaturer le peintre impressionniste saisissant au vol des impressions, en quatre coups de pinceau informes ; et il faut avouer que certains artistes ont justifié malheureusement ces attaques, en se contentant d’ébauches trop rudimentaires. Selon moi, on doit bien saisir la nature dans l’impression d’une minute ; seulement, il faut fixer à jamais cette minute sur la toile, par une facture largement étudiée. En définitive, en dehors du travail, il n’y a pas de solidité possible. D’ailleurs, remarquez que l’évolution est la même en peinture que dans les lettres, comme je l’indiquais tout à l’heure. Depuis le commencement du siècle, les peintres vont à la nature, et par des étapes très sensibles. Aujourd’hui nos jeunes artistes ont fait un nouveau pas vers le vrai, en voulant que les sujets baignassent dans la lumière réelle du soleil, et non dans le jour faux de l’atelier ; c’est comme le chimiste, comme le physicien qui retourne aux sources, en se plaçant dans les conditions mêmes des phénomènes. Du moment qu’on veut faire de la vie, il faut bien prendre la vie avec son mécanisme complet. De là, en peinture, la nécessité du plein air, de la lumière étudiée dans ses causes et dans ses effets. Cela paraît simple à énoncer, mais les difficultés commencent avec l’exécution. Les peintres ont longtemps juré qu’il était impossible de peindre en plein air, ou simplement avec un rayon de soleil dans l’atelier, à cause des reflets et des continuels changements de jour. Beaucoup même continuent à hausser les épaules devant les tentatives des impressionnistes. Il faut être du métier effectivement pour comprendre tout ce que l’on doit vaincre, si l’on veut accepter la nature avec sa lumière diffuse et ses variations continuelles de colorations. A coup sûr, il est plus commode de maîtriser la lumière, d’en disposer à l’aide d’abat-jour et de rideaux, de façon à en tirer des effets fixes ; seulement, on reste alors dans la pure convention, dans une nature apprêtée, dans un poncif d’école. Et quelle stupéfaction pour le public, lorsqu’on le place en face de certaines toiles peintes en plein air, à des heures particulières ; il reste béant devant des herbes bleues, des terrains violets, des arbres rouges, des eaux roulant toutes les bariolures du prisme. Cependant, l’artiste a été consciencieux : il a peut-être, par réaction, exagéré un peu les tons nouveaux que son œil a constatés ; mais l’observation au fond est d’une absolue vérité, la nature n’a jamais eu la notation simplifiée et purement conventionnelle que les traditions d’école lui donnent. De là, les rires de la foule en face des tableaux impressionnistes, malgré la bonne foi et l’effort très naïf des jeunes peintres. On les traite de farceurs, de charlatans se moquant du public et battant la grosse caisse autour de leurs œuvres, lorsqu’ils sont au contraire des observateurs sévères et convaincus. Ce qu’on paraît ignorer, c’est que la plupart de ces lutteurs sont des hommes pauvres qui meurent à la peine, de misère et de lassitude. Singuliers farceurs que ces martyrs de leurs croyances !

Voilà donc ce qu’apportent les peintres impressionnistes : une recherche plus exacte des causes et des effets de la lumière, influant aussi bien sur le dessin que sur la couleur.

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