De l’écriture collaborative à l’écriture individuelle Travail d’écriture en classe de 4e

, par BERNOLLE Marie-Anne, Chargée de mission pour l’Inspection de Lettres

Comment faire réellement écrire les élèves ? Quel dispositif mettre en place en classe pour leur faire entendre qu’écrire est le fruit d’un travail et que la langue est un matériau qui se façonne ? Comment faire en sorte que les élèves comprennent vraiment en quoi consiste l’acte d’écrire, lequel n’a rien d’évident pour eux ?
« Rédigez, développez, racontez... »
Oui, mais comment ? Et au fond, pour quoi faire ?
Expérimentation en classe de 4e, collège Victor Hugo, Issy-les-Moulineaux
Christophe Le Pouhalec

Les extraits audios proposés en illustration de l’article sont issus d’un enregistrement réalisé par Yaël Boublil (DNE) :

  • séance en classe avec Monsieur Le Pouhalec et ses élèves de 4e
  • échanges qui ont suivi entre Monsieur Christophe Le Pouhalec, professeur de Lettres, et Monsieur Arnaud Aizier, IA-IPR de Lettres

Découvrir la vidéo intégrale de la séquence

Projet d’écriture

Contexte du travail d’écriture

Le travail d’écriture présenté a été réalisé dans une classe de 4e au collège Victor Hugo d’Issy-les-Moulineaux.
Dans le cadre d’une séquence consacrée à la lecture et l’étude des Misérables de Victor Hugo, le professeur propose à ses élèves de se glisser dans la peau de Jean Valjean, alors devenu Monsieur Madeleine, et d’adresser à Monseigneur Myriel une lettre pour lui témoigner sa reconnaissance. Il veut lui dire combien il a été imprégné par ses principes sociaux et lui expliquer comment, dans sa commune de Montreuil-sur-mer, il œuvre désormais en tant que maire au service de ses concitoyens, en mettant ainsi en actes les principes que l’évêque lui a en quelque sorte inculqués par l’exemple.
C’est l’occasion pour les élèves de convoquer et de réinvestir les connaissances acquises sur le roman, d’exprimer ce qu’ils ont compris et retenu de cette doctrine de charité et de principes sociaux qui traverse l’œuvre. Par ailleurs, la forme même de la lettre, qui est une adresse assez personnelle propre à faire jouer les émotions, est une manière d’aider les élèves à se mettre dans la peau de Jean Valjean et donc à comprendre le personnage de l’intérieur.

Le temps de préparation

À la séance précédente, la classe a défini des éléments du style propre à Victor Hugo et un plan pour le développement. Les élèves ont, lors de ce travail de réflexion mené collectivement en classe, donné l’idée de charité, prégnante dans l’épisode avec Fantine ; ils ont également mentionné l’entraide, du fait de la scène de la charrette sous laquelle Fauchelevent est coincé. Et pour finir, ils se sont arrêtés sur l’idée de dignité des travailleurs, parce que c’est important que Jean Valjean rende aux travailleurs une dignité, à Montreuil, en donnant aux ouvriers un travail décent dans des conditions décentes.

À la maison, les élèves ont été invités, en amont de la séance d’écriture en classe, à coucher sur le papier leurs premières idées, leurs premières phrases, sous forme de deux paragraphes où Jean Valjean explique les principes sociaux qui sont les siens depuis que Myriel lui a tendu la main.

Le travail était assorti des consignes suivantes :

La séance d’écriture

La séance est conçue en deux temps :

  • un temps collaboratif, animé par le professeur au tableau, qui permet de mettre en place un intention d’écriture ;
  • un temps, en autonomie, où chacun s’essaye à une écriture personnelle.

Un temps collaboratif

À la maison, les élèves ont préparé ce qu’ils avaient envie de dire : le professeur anime alors en classe la mise en commun. Il s’agit d’un temps dialogué pendant lequel les élèves font des propositions ; le texte prend forme au fur et à mesure des interventions. Un des grands intérêts de la séance est que le texte qui s’écrit progressivement au tableau est bien le produit de la collaboration des élèves.

Ce temps de collecte des éléments de rédaction fonctionne comme une sorte d’inventaire des différentes possibilités syntaxiques et lexicales qu’offre la grammaire d’une langue, la nôtre. Ce moment d’inventaire est souvent très important pour les élèves, car ils prennent conscience des multiples possibilités existantes, de toute cette grammaire intérieure dont nous disposons, mais que nous laissons le plus souvent en sommeil. Ils prennent conscience aussi, par cet exercice scolaire, de la tendance implicite du langage courant actuel, dans son usage le plus commun, qui réprouve toute construction, toute intention langagière un peu trop visible.
C’est à ce moment précis que commence pour l’élève le bain langagier.

Exemple : comment exprimer l’idée que Myriel a tendu la main à Valjean ?
 Vous m’avez tendu la main quand tout le monde me jetait dehors
 Vous m’avez rendu à la lumière
 Vous avez fait briller sur ma vie une première lueur d’espoir
 Vous m’avez réchauffé le cœur
 Vous m’avez ouvert votre foyer en toute simplicité.

Il s’agit alors de coudre les différents éléments entre eux pour bâtir une phrase rhétoriquement efficace :

Vous m’avez tendu la main quand tout le monde me jetait dehors et votre foyer, que vous m’avez ouvert en toute simplicité, est tout de suite devenu le mien.

C’est ainsi que le texte prend forme par le travail de couture syntaxique qui va permettre de rabouter et d’harmoniser ces matériaux divers. C’est le moment de la combinaison syntaxique, du bricolage [1] syntaxique, sorte d’activité artisanale, un travail de patience, un jeu de patience extrêmement formateur. « Un travail de dentellière » disait Julien Gracq…
Les élèves se font un jeu de ce casse-tête, et c’est alors qu’ils comprennent vraiment en quoi consiste la tâche d’écrire.

Le tableau est, dans ce travail de co-élaboration, un support indispensable. Il est divisé en deux :

  • à gauche, la note d’intention et le commentaire des choix ;
  • à droite, les éléments de rédaction.

Chacun travaille à sa guise. Les uns prennent tout en notes consciencieusement, au fur et à mesure que le texte collectif s’écrit au tableau ; les autres ne piochent que quelques idées, selon l’intérêt qu’ils y voient et l’inspiration que cela leur procure.
Ce premier temps est un temps de gymnastique, une sorte de temps de mise en condition pour les élèves, d’échauffement, où la classe fait ses gammes, un temps où se met en place une intention d’écriture. Ce qui a été écrit collectivement constitue un matériau dans lequel chacun va pouvoir venir puiser au moment de prendre sa plume personnelle.

Un temps individuel

Les élèves poursuivent l’écriture du texte en partant de ce qui a été produit collectivement, mais cette fois de façon individuelle. L’élément conducteur, dans l’esprit du professeur, est que les élèves s’approprient l’idée que l’écriture est d’abord une sorte de bricolage, d’assemblage, pour aboutir à un tout fini, fait d’apports divers, une façon de patchwork.

La fabrique d’écriture

Tisser le texte

Se met ainsi en place, par le travail collaboratif, une intention d’écriture. Cette intention, au fond, est une intention rhétorique, une recherche d’efficacité rhétorique, afin de susciter l’intérêt du lecteur, en l’occurrence le correcteur, qui est lui-même à la recherche des traces d’une telle intention, d’une telle conscience des ressources déployées et des moyens mis en œuvre volontairement au fil du texte écrit.
Une certaine conscience rhétorique me semble en effet nécessaire pour que l’élève mette en place une attitude distanciée vis-à-vis de ce qu’il écrit.
Il faut pour cela qu’il ait conscience de l’efficacité d’une épithète judicieuse, d’une expression qui vient en son lieu, d’une métaphore bien sentie, d’une organisation claire et intelligente de l’argumentation. Tout ceci codifié et éprouvé depuis longtemps.

La partie gauche du tableau, consacrée à la note d’intention et aux commentaires, est, pour le professeur, une façon de matérialiser au tableau que, lorsqu’on écrit, on est habité par une intention ; c’est une manière d’éveiller - par la répétition de ce type de travail - d’éveiller la conscience rhétorique de l’élève. Écrire suppose un projet, qui est en soi complexe. La note d’intention constitue ainsi le cadre au sein duquel l’écriture va pouvoir s’épanouir.

La manière dont la séance se déroule manifeste comment le texte se construit au fil des interventions des élèves, de façon souple. Ce dernier naît d’un véritable travail de tissage auquel concourt l’ensemble de la classe.
La séance débute en effet par l’énoncé de deux propositions initiales, qui, mises bout à bout, permettent de poser le thème (cf. vidéo : Un temps collaboratif). La deuxième proposition finit sur l’évocation de l’histoire de Fantine : « ... celle qui m’a le plus interpellé est celle de Fantine. »

Dans l’extrait ci-dessus, une élève exprime alors sa volonté, selon ses propres termes, de rebondir. Elle s’articule ainsi à la phrase notée pour proposer une expansion inspirée de ce qu’elle avait elle-même écrit. Une autre, dans la même logique, alors même que le professeur lui demande « quel début elle a écrit », fait spontanément le tri et vient compléter l’évocation de Fantine en continuant à expliquer sa situation et son histoire.
Puis, le professeur accueille au vol deux propositions, celle de Fantine « contrainte de vendre dents et cheveux », et cette autre énonçant l’idée que c’était « pour payer une dette qui ne cessait d’augmenter » ; mais, sans que rien y paraisse, il réagence et note au tableau une proposition aboutie, née de la double proposition des élèves : « Pour payer une dette qui ne cessait d’augmenter, il lui a fallu vendre dents et cheveux. »
Et quand vient la fin de la séance, le travail d’écriture se prolonge comme naturellement dans le travail d’écriture individuel, à la maison, pour mettre en forme le paragraphe consacré à la « charité à Montreuil ».

Temps à la maison et temps en classe, écriture individuelle et écriture collective, projet d’écriture sous forme de fragments et écrits plus aboutis, mis en forme, sont comme tissés les uns avec les autres pour permettre in fine, dans le cadre d’une séance de rédaction sur table à venir, l’émergence d’un écrit personnel :
« Monsieur, après on s’inspirera de ça pour la rédaction ? » - « Oui, tout à fait. C’est prévu jeudi prochain, d’ailleurs » sont les mots sur lesquels, pour ainsi dire, se clôt la séance.

Travailler sur la langue

Cette séance de fabrique de l’écriture invite les élèves à penser et les idées et la langue pour les dire, comme un matériau qui se travaille, s’assemble, se sculpte et se retravaille, pour finalement prendre forme. Ce travail d’écriture, ainsi guidé, est un temps où les élèves sont amenés à se mettre à l’écoute de la langue.

Le jeu consiste à recueillir un matériau diversifié, non académique, ou du moins qui se rapproche de ce qu’on appelait autrefois les lieux communs, dans un exercice de l’écriture où les élèves se sentent, dans un cadre donné, libres d’inventer, de tenter. Donner le sentiment d’une écoute possible, quoi qu’on ait à proposer, et intégrer des éléments qui jouent avec les limites de l’acceptabilité, d’un point de vue lexical ou syntaxique, garantissent la possibilité de faire émerger un matériau qui va permettre, justement, de travailler sur la langue et de la penser. Le jeu avec les limites de la langue ouvre la porte à d’autres possibles ; c’est l’occasion de travailler la syntaxe, de réfléchir au choix des mots, avec les élèves et en partant de leurs propositions. Se fait ainsi un vrai travail sur la langue, in situ, en écrivant.

La posture enseignante

Le professeur adopte, et plus encore dans le second temps d’écriture individuelle, une posture facilitatrice. Dans la vidéo ci-dessous, on l’entend passer de table en table, questionner un élève, encourager un deuxième élève, répondre au questionnement d’un troisième.

Il fait montre d’une bienveillance pédagogique de chaque instant pour accompagner chacun dans son travail d’écriture, et la classe en son entier dans son travail de réflexion et d’écriture collective.

D’un point de vue didactique, l’intérêt de la séance réside avant tout dans le travail de véritable chef d’orchestre que le professeur réussit à mener. Tout à la fois, il sollicite les propositions des élèves, relance quand cela est nécessaire. Il accueille tout ce qui lui est proposé, écarte parfois, pour appeler à une autre proposition qui viendrait modifier la première suggestion. Il rebondit sur les propositions des élèves en notant au tableau et en commentant dans la colonne de gauche de façon à étayer le travail d’écriture à venir par des suggestions et des conseils.

Extrait - PNF 2021-2022 - Pratiques d’écriture du collège au lycée
DNE, bureau TN3 - CC-BY-NC-SA

Les élèves participent à cette écriture symphonique, en rebondissant les uns sur les idées des autres, en finissant une phrase commencée par un autre, et, par l’idée qui surgit, ils ouvrent ainsi, au texte qui s’écrit, une nouvelle voie, pour le plaisir d’une écriture qui se façonne chemin faisant et s’élabore comme en liberté.

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Notes

[1au sens noble où Lévi-Strauss emploie ce terme dans La pensée sauvage

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