Fluence, fluidité, compréhension - Penser l’apprentissage continué de la lecture 1- Comprendre les enjeux didactiques

, par Inspection pédagogique régionale de Lettres

Deux articles connexes font la synthèse des formations de bassin qui se sont déroulées en novembre 2021 dans l’académie de Versailles autour de la question de la fluence et de la compréhension de l’écrit :
 1 Comprendre les enjeux didactiques
 2 Modalités d’organisation et propositions de pratiques

Inscrivez-vous également au parcours m@gistère support au Plan Lecture « Apprentissage continué de la lecture au collège » accessible en auto-inscription.
Vous y retrouverez les enregistrements des six webinaires :

  • cycle 1 - 2020-2021 « Lire et comprendre : redonner du sens à l’écrit »
  • cycle 2 - 2021-2022 « Le verbe au cœur de la compréhension »

Les enjeux d’un enseignement renforcé de la compréhension résident dans notre capacité à réaliser un diagnostic fin des acquis et des difficultés des élèves de façon à pouvoir les accompagner au plus près de leurs besoins et les aider à développer leurs compétences en lecture.
A fortiori dans le contexte particulier de la crise sanitaire que nous vivons depuis deux ans, il paraît important de renforcer l’accompagnement en exploitant les différentes modalités d’organisation possibles.
Cet article revient sur les notions clefs pour un enseignement continué de la lecture. Il sera suivi d’un second article consacré aux modalités d’organisation et aux activités qu’il est possible de mettre en œuvre de façon à favoriser le renforcement des compétences en lecture chez tous les élèves.

Qu’est-ce que comprendre un texte écrit ?

Pour bien analyser les difficultés éventuelles que peuvent rencontrer certains élèves dans le processus de lecture-compréhension, il est utile de se remémorer ce que suppose comprendre un texte écrit, en s’appuyant sur le schéma élaboré par Patrick Joole.

Comprendre un texte écrit, c’est à la fois :

  • appréhender et reconnaître des signes (décodage et mise en lien d’indices) ;
  • identifier et interpréter les substituts, les connecteurs et les marques morphosyntaxiques ;
  • intégrer des informations au fur et à mesure qu’elles sont perçues ;
  • mémoriser ce qui a été traité et élaborer une représentation mentale des informations déjà disponibles ;
  • traiter des informations nouvelles en les interprétant localement et en les reliant à la représentation antérieure ;
  • revenir en arrière pour relier les parties du texte ;
  • recourir à sa culture ou son expérience de la vie réelle.


Réaliser un diagnostic fin des acquis / difficultés des élèves en lecture-compréhension

Quelles difficultés ? Pourquoi ?

On peut retenir quatre raisons principales pour lesquelles certains élèves ne parviennent pas à réguler leur lecture :

  • la surcharge liée au poids du décodage ;
  • l’absence de toute stratégie ;
  • une stratégie de lecture liée uniquement au décodage et à la lecture linéaire, au détriment de toute autre stratégie ;
  • le sentiment acquis d’impuissance et la certitude de l’échec.

On schématisera ainsi les éventuelles difficultés rencontrées par les élèves :

Deux niveaux d’analyse

Niveau 1 - L’oralisation de l’écrit

La lecture à voix haute (ou oralisation de l’écrit) est l’un des moyens efficaces pour évaluer les difficultés des élèves à lire et à comprendre.
Certains signes permettent de reconnaître qu’un élève ne sait pas lire :

  • il décode mal certains mots ;
  • il n’automatise pas le décodage ;
  • il ne repère pas l’ossature d’une phrase (groupes et constituants) ;
  • il ne repère pas, au moment où il lit, la construction syntaxique plus fine.

Nous renvoyons pour exemple aux cas d’étude proposés par Charly Prabel-Guignard dans son article « La lecture orale en classe de 6e ».

Les analyses de Maryse Bianco ont permis d’isoler les différents paramètres qui contribuent à une lecture fluide en contexte.

C’est à partir de ces analyses notamment qu’a été élaboré le test de fluence à l’entrée en 6e. Il permet de repérer d’entrée de jeu les élèves qui auraient des difficultés majeures de décodage et de vitesse.

Mais Maryse Bianco elle-même, à l’unisson d’autres chercheurs, affirme qu’on ne peut se limiter au travail de décodage et de la vitesse pour faire un bon lecteur : ce serait oublier des habiletés essentielles à l’acte de comprendre.


Niveau 2 - De la fluence à la fluidité

Passer de la fluence à la fluidité - condition sine qua non pour devenir un lecteur confirmé - est un processus multi-dimensionnel :

  • le décodage
    Identification des mots - Correspondance graphème / phonème
    On mesure donc la capacité à lire tous les mots du texte sans difficulté ni hésitation.
  • la vitesse
    Rapidité permettant la recomposition des mots et des groupes de mots
    On mesure le nombre de mots lus par minute.
  • le phrasé
    Découpage en unités signifiantes - Prise en compte de la syntaxe et de la ponctuation
    On identifie la pertinence de l’intonation et du placement des pauses et respiration, notamment dans le respect de la syntaxe.
  • l’expressivité
    Variation du rythme, de l’intensité en fonction d’un univers de sens.
    On apprécie les variations de mélodie, d’intensité et de volume de la voix en cohérence avec l’interprétation du texte.

Ces deux critères entrent en ligne de compte dans ce qu’on appellera la prosodie. [1]

Focus sur la prosodie en lecture
  • Qu’est-ce que c’est ?
  • Pourquoi s’intéresser au lien entre prosodie et compréhension ?
    Il y a une différence, entre adultes et jeunes lecteurs, en matière de prosodie : alors que chez l’adulte, la prosodie mentale suffit à désambiguïser certaines phrases, chez les jeunes lecteurs, la prosodie orale est souvent nécessaire pour comprendre ce qui est entendu et donc lu.
    La prosodie est intimement liée à la compréhension. Le phrasé nécessite de comprendre la syntaxe et les pauses mal placées entravent la compréhension. L’expressivité, quant à elle, nécessite une compréhension fine du texte, à la fois littérale et inférentielle (intentions d’un personnage / de l’auteur).
    La recherche établit un lien entre la fluence, à l’inclusion de la prosodie, et la compréhension, à tous les niveaux scolaires, dans de nombreuses langues différentes. Et le lien s’intensifie au fil du développement des compétences en lecture.
  • Place de la prosodie dans les champs du français

Un outil de travail : l’échelle multidimensionnelle de fluence

En s’appuyant sur l’échelle multidimensionnelle de fluence [2] établie par Th. Rasinski pour l’anglais, E. Godde, M-L Bosse et G. Bailly [3] ont traduit et adapté cette échelle au français.

L’outil ci-dessus retient :

  • sur l’axe vertical, les quatre critères entrant en ligne de compte dans l’appréciation de la fluidité en lecture : expression / phrasé / décodage / vitesse
  • sur l’axe horizontal : les scores sur une échelle de 1 à 4, explicitée dans le tableau.

Il permet de mesurer de façon fine la compétence de lecture dans toutes ses composantes.
Voir dans l’article 2 - « Modalités d’organisation et propositions de pratiques » des pistes pour exploiter cette échelle avec les élèves.

Comment accompagner les élèves en lecture ?

La figure ci-dessous fait apparaître l’ensemble des domaines à travailler, sur le moyen et le long terme, en vue d’améliorer la lecture et la compréhension de l’écrit.

Points de vigilance

Dans l’enseignement continué de la lecture il apparaît indispensable de se garder des dérives que peut engendrer une approche didactique cloisonnée :

  • dissociation des quatre dimensions de la fluence : décodage / vitesse / phrasé / expressivité
  • réduction de la fluence au décodage et à la vitesse
  • centration exclusive sur l’interprétation [4]

Un équilibre à trouver

Il est nécessaire de trouver un équilibre entre deux démarches complémentaires :

  • une démarche analytique, qui vise à décomposer le texte pour en appréhender le fonctionnement et entrer de ce fait dans une compréhension fine,
  • une démarche synthétique, qui vise à construire la cohérence d’ensemble du texte.

L’équilibre est à trouver entre des pratiques complémentaires :

  • des exercices répétitifs visant à automatiser les processus ET une analyse réflexive s’inscrivant dans la durée pour favoriser la prise de conscience des processus,
  • questionnement guidé par le professeur ET travaux d’appropriation et de reformulation par les élèves,
  • questionnement littéral ET questionnement inférentiel [5].

ANNEXE

LIENS
 Priorités 6e français
https://eduscol.education.fr/cid152895/rentree-2020-priorites-et-positionnement.html#lien1
 Repères de progressivité et attendus de fin de cycle
https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Attendus_et_reperes_C2-3-4/74/1/11-Francais-6e-attendus-eduscol_1114741.pdf
 Évaluations en début de Sixième, travailler la fluence
https://cache.media.eduscol.education.fr/file/6eme/81/4/EV19_C3_Francais_Fluence-comprehension_1308814.pdf
 Article de la Page des Lettres
La lecture orale en classe de Sixième, expérimentation en REP, Charly Prabel-Guignard : https://lettres.ac-versailles.fr/spip.php?article1787

Pour aller plus loin sur fluence, fluidité, compréhension

 La lecture orale en classe de 6e
 Travailler la lecture à voix haute
 Fluence, fluidité, compréhension - Modalités d’organisation et propositions de pratique

Voir en ligne : Plan lecture - Apprentissage continué de la lecture

Notes

[1On parle pour le phrasé de « prosodie linguistique » et pour l’expressivité de « prosodie paralinguistique ».

[2MDFS - Multidimensionnal Fluency Scale

[3Université Grenoble Alpes - CNRS

[4Soit, sur le processus de compréhension qui est postérieur à la lecture même du texte et à sa compréhension première, immédiate.

[5qui porte donc sur l’implicite des énoncés et tend à inviter les élèves à construire des hypothèses de lecture

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