Hybrider, débrider la lecture de La Princesse de Clèves

, par Inspection pédagogique régionale de Lettres

Dans le cadre du PNF, le Rendez-vous des Lettres 2021 avait cette année pour thématique « Lire et faire lire des œuvres littéraires complexes »
L’atelier thématique n°7 a proposé une réflexion sur la manière d’aborder La Princesse de Clèves et d’approcher une œuvre complexe en jouant sur les possibilités données par un enseignement hybridé.

Le présent dossier reprend et prolonge cet atelier thématique du PNF proposé le lundi 10 mai 2021.

De Jean Delannoy à Christophe Honoré, de Manoel de Oliveira à Régis Sauder, de nombreux réalisateurs ont entrepris une lecture cinématographique de La Princesse de Clèves. Par leur variété et leur nombre même, ces adaptations et ces réécritures filmiques du récit de Madame de Lafayette illustrent son expansion interprétative et sa dimension d’œuvre patrimoniale : La Princesse de Clèves relève ainsi d’une forme de passé présent [1] et s’avère susceptible de générer des textes, des objets, des discours qui constituent autant de preuves de son actualité.

Si le récit de Madame de Lafayette nous concerne toujours au travers des multiples formes et interprétations qu’il génère, il n’en demeure pas moins une œuvre complexe, voire monumentale par son écriture même, son inscription dans une histoire des formes, des relations entre femmes et hommes, et par les questionnements et dilemmes moraux qu’il donne à lire.

Comment dès lors engager la lecture d’une œuvre patrimoniale consacrée par la critique, la tradition scolaire et l’histoire littéraire ? Les écueils sont multiples : comme le rappelle Judith Lyon-Caen, il arrive que

l’on regarde certains bâtiments comme des monuments  : ainsi en est-il lorsqu’on visite une œuvre littéraire dite «  classique  ». On y entre avec respect, on prend garde à sa composition d’ensemble et l’on s’arrête sur les fragments remarquables, généralement indiqués par les guides que sont les préfaces ou par la transmission scolaire  : c’est le célèbre incipit de tel roman, la scène II de l’acte III de telle pièce de théâtre, une tirade, un sonnet. Il se peut bien sûr que, dans un roman ou dans une pièce, l’on saute des descriptions ou des tirades pour savoir ce qu’il va advenir de tel personnage, mais cette lecture-là nous savons qu’elle n’est pas respectueuse du monument. [2]

De fait, lorsque La Princesse de Clèves a été proposé au programme d’œuvres de Première (2019 – 2022), beaucoup, parmi nous, se sont engagés, avec leurs classes de premières générales comme de premières technologiques, dans sa lecture. Rapidement est apparue la difficulté à lire un récit, pourtant court, à se projeter dans une intrigue, à s’identifier à l’héroïne, à se saisir d’une langue et des valeurs portées par le récit. Loin de nous résigner « aux fragments remarquables », nous avons pourtant déployé des stratégies pour accompagner une lecture autonome et authentique de l’œuvre par les élèves, en essayant de briser l’immobilité muséale dans laquelle le statut d’œuvre patrimoniale pouvait enfermer le récit.

Cette entreprise, sans doute, a été rendue plus complexe encore par le contexte de crise sanitaire et les modalités d’enseignement à distance, hybride : soucieux de préparer les élèves à l’examen mais convaincus que la seule préparation aux formats des épreuves écrites et orales ne pouvait épuiser le rapport à l’œuvre, nous avons déployé d’autres formes de lectures ; il s’agissait ce faisant d’engager des lecteurs adolescents dans la découverte et le parcours d’une œuvre résistante pour qu’elle devienne elle-même fabrique de lectures.

Le présent travail se propose d’interroger cette double complexité : complexité(s) de l’œuvre, complexité d’un moment particulier qui bouscule les situations d’enseignement classiques. Les échanges avec les collègues nous ont conduits à délimiter quatre entrées comme autant d’obstacles à surmonter, soit de défis didactiques qui invitent à scénariser autrement :

  • Le cadre historique, dont la connaissance, propédeutique à l’œuvre, nous semble, dans un même mouvement contradictoire, nécessaire et pourtant écrasante ;
  • La langue, lointaine et commune à la fois, écran aux questionnements axiologiques des valeurs ;
  • La temporalité du récit, que rendent difficile à saisir le rythme de la narration, le chapitrage particulier de l’œuvre, l’insertion qui brise la chronologie du récit ;
  • Le personnage de la Princesse, insaisissable, rétif a priori à «  l’activité fictionnalisante du lecteur  » qu’évoque Gérard Langlade.

Loin de renoncer à la complexité et à la densité qu’offre la lecture de La Princesse de Clèves, nous nous sommes donc emparés de ces difficultés liminaires dans un contexte spécifique d’enseignement hybride, pour affirmer des choix didactiques et des mises en œuvre pédagogiques susceptibles d’ouvrir la lecture du roman, d’en déployer une compréhension enrichie et problématisée, à la faveur de démarches de lecture différenciées.

Lecture par frottements, microlectures, lectures de traverse, lecture par effraction : les entrées de cet article offrent des pistes de travail modulables au gré des configurations possibles d’un enseignement hybride. Ces parcours ou trajets de lecture ne constituent pas des modèles de séquences, ils visent à proposer des exemples de lectures littéraires qui permettent aussi la socialisation des lectures singulières des élèves. Ils ne sont en rien exclusifs : bien loin d’insulariser les domaines textuels, ils visent à les rassembler et les mettre en mouvement dans une dynamique qui construit l’acte d’interpréter chez les élèves, en respectant les sinuosités de la lecture.

Hybrider la lecture de La Princesse de Clèves pour en somme la débrider, et réconcilier avec elle les élèves dans un parcours dynamique et foisonnant.

Le compte-rendu d’atelier

Nous vous proposons de découvrir l’atelier en parcourant le diaporama ci-dessous.

Entrées thématiques pour lire et faire lire La Princesse de Clèves

EN PROLONGEMENT
Nous vous proposons la lecture des articles suivant sur La Page des Lettres

 La Princesse de Clèves - Accompagner l’entrée dans l’œuvre
 Madame de La Fayette La Princesse de Clèves - S’approprier les œuvres au programme de 1ère
1- Représentation du mariage et système des personnages
2 - Autour du dilemme moral
 Favoriser l’appropriation des œuvres intégrales au lycée

Voir en ligne : Présentation du Rendez-vous des lettres 2021

Notes

[1Nous empruntons l’expression à Brigitte Louichon, « Le patrimoine littéraire : un enjeu de formation », Tréma [En ligne], 43 | 2015, URL : http://journals.openedition.org/trema/3285 ; DOI : 10.4000/trema.3285

[2Judith Lyon-Caen, La griffe du temps, ce que l’histoire peut dire de la littérature, NrF essais, Gallimard, 2019, p. 15.

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