Les pratiques d’évaluation, au collège comme au lycée, devraient constituer, en principe, un temps privilégié d’apprentissage, le moment où l’élève confronte ses démarches et connaissances à celles que l’on souhaite lui faire acquérir. L’enseignant qui évalue un devoir vise avant tout à sécuriser l’élève sur ce qu’il sait ou ce qu’il sait faire, à l’encourager à s’améliorer, à lui donner confiance en sa capacité d’apprendre et de progresser. En pratique, ces évaluations semblent parfois jouer un rôle inverse : une évaluation chiffrée, lorsqu’elle est jugée trop faible, contribue à dégrader l’estime que l’élève peut avoir de lui-même ; des commentaires lapidaires dans l’espace d’une marge restreinte ne permettent que trop rarement de rendre lisible une correction qui se veut pourtant utile et bienveillante ; le principe même d’une correction semble superflu pour l’élève qui s’enferme parfois dans une attitude de déni ou de découragement sur laquelle l’enseignant n’a aucune prise. Comment renouer le dialogue pédagogique au moment si sensible de l’évaluation ? Comment rendre cette évaluation “exigeante”, “bienveillante”, “lisible”, “explicite” et “partagée”, selon les termes mêmes de notre cadre institutionnel ? [1]
On propose de relater ici une expérimentation menée conjointement dans deux établissements de niveaux et de publics différents : d’une part la section collège du lycée français Stendhal de Milan qui nécessite de prendre en compte le statut de quelques élèves majoritairement italophones, par ailleurs en pleine période de confinement, et d’autre part, le lycée Louis Jouvet de Taverny qui n’a pas de spécificité particulière, sinon celle, conjoncturelle, d’accompagner des élèves dont la scolarité est, elle aussi, perturbée par les différentes phases de confinement.
Évaluer une copie grâce à un commentaire audio, un dispositif qui s’adapte à tous les niveaux de l’enseignement.
Principe et mise en œuvre du commentaire audio
Le “commentaire audio” propose de substituer à l’annotation écrite d’un devoir l’enregistrement, par le professeur, de remarques évaluant une copie d’élève. Dans un premier temps, les élèves composent de façon tout à fait traditionnelle leur devoir en format numérique ou papier. Une fois les copies rendues, l’enseignant utilise un dictaphone pour enregistrer les commentaires qu’il fera au fur et à mesure de la lecture des textes d’élèves, sans annoter la copie de ces derniers. Ces enregistrements peuvent se faire directement sur l’ENT, ou avec l’outil “dictaphone” d’un simple enregistreur.
Pour éviter de se laisser surprendre par les réponses formulées par les élèves, il est préférable d’avoir réfléchi, plus encore que pour une correction écrite, aux réponses que l’on aurait soi-même formulées pour faire les exercices demandés. Cela permettra de réagir plus rapidement aux différentes réponses ou interprétations des élèves, que ce soit pour valider une proposition ou en reprendre la formulation. Le commentaire oral ne laissant pas à la réflexion le même temps que celui de l’annotation écrite, il est de ce fait important d’anticiper les difficultés d’un sujet avant de commenter spontanément les réponses des élèves.
Expérimenter le commentaire audio au collège
Au collège, en classe de 4ème, le commentaire audio a été expérimenté dans le cadre de l’évaluation d’un travail d’écriture qui prenait place dans une séquence sur « la fiction pour interroger le réel », associée au thème « regarder le monde, inventer des mondes ». Les élèves devaient imaginer un récit à partir d’un travail d’analyse d’images mené en classe. Voici trois exemples de commentaires audio envoyés aux élèves.
Commentaire audio de la copie de Sophie
La copie de l’élève montre que le texte a été rédigé au fil de la plume et que la relecture n’a pas été efficace. Les commentaires audio ont donc pour objectif de souligner, de façon plus explicite que par des annotations écrites, l’importance de la structuration et de la formulation du texte au niveau du paragraphe, de la phrase et des groupes de mots. Il s’agit, par une reformulation du propre texte de l’élève, de l’amener à faire des paragraphes, à délimiter plus nettement ses phrases, à consolider la cohérence des temps verbaux employés et à mieux maîtriser les niveaux de langue.
Commentaire audio de la copie de Giovanni
Giovanni est un élève caractéristique d’un établissement français à l’étranger : le français n’est pas sa langue maternelle et si son travail montre qu’il a compris les consignes, les commentaires audio ont pour but de l’aider à l’accompagner dans la maîtrise du français du point de vue lexical et grammatical, en le différenciant de l’italien. Ainsi, à chaque italianisme, à chaque formulation maladroite, sont proposées des reformulations en français que l’élève devra écouter puis recopier dans son texte. L’ensemble permettra d’obtenir un texte qui sonnera plus ‘français’, aidant l’élève à ne plus dire par exemple “se prendre une entorse” mais “se faire une entorse”, “un homme ivrogne” mais un “homme ivre” ou encore à savoir écrire “immortel” au lieu de “imortale”.
Commentaire audio de la copie de Célia
La copie de Célia révèle de très bonnes qualités d’écriture. Le texte est fluide, bien organisé et bien écrit du point de vue de la langue. Si le commentaire audio vise à clarifier certains aspects du récit inventé par l’élève, il permet surtout, par la lecture que le professeur en fait, de valider les bonnes trouvailles, les réussites. La posture de l’enseignant se rapproche de celle d’un premier lecteur qui encourage, par son enthousiasme, l’entrée en écriture de cette élève.
Expérimenter le commentaire audio au lycée
L’expérimentation a été menée sur les deux niveaux de seconde et de première dans le cadre d’un exercice de commentaire de texte. Voici des exemples de commentaires audio pour chacun de ces exercices.
En classe de seconde, les élèves devaient lire le poème de Guillaume de Machaut « une vipère réside dans le coeur de ma Dame », en proposer d’abord un résumé, puis une analyse.
Commentaire audio de la copie de Mathilde [2]
Extrait du commentaire audio d’une élève de seconde en très grande difficulté. La première question de cette évaluation visait à vérifier la compréhension littérale du poème de Guillaume de Machaut “Une vipère réside dans le cœur de ma dame”. La copie de cette élève montre que les allégories du poème n’ont pas été comprises, l’élève pense que le poème évoque trois figures différentes. Le commentaire oral doit prendre le temps de reconstruire une compréhension littérale du poème afin d’aider l’élève à élaborer le sens du texte. On ne propose ici que quelques éléments d’interprétation pour laisser le temps à l’élève de surmonter ses difficultés une à une.
Commentaire audio de la copie de Lydia
Cette deuxième copie témoigne d’un compréhension tout à fait satisfaisante du poème. Le commentaire audio se centre donc sur le processus d’interprétation et s’attarde sur quelques difficultés de rédaction.
Les commentaires varient donc de manière significative d’un élève à l’autre, pour respecter le rythme d’apprentissage de chacun
Extrait du commentaire audio de la copie de Pauline. L’élève devait répondre aux trois questions de commentaire que l’on trouve dans le dernier onglet du parcours Lytext proposé pour l’étude d’un extrait de La Vie devant soi de Romain Gary. Voici un extrait du commentaire oral de cette copie.
Dans son commentaire audio, l’enseignante oscille entre une posture traditionnelle de correctrice et une autre, plus ouverte, de lectrice, qui commente la formulation d’une interprétation, la questionne ou la récuse selon sa propre lecture de l’extrait.
Du commentaire audio à l’annotation individualisée : impliquer l’élève dans la correction de sa copie.
Principe et mise en œuvre de l’annotation individualisée
Le commentaire audio prend l’allure d’un dialogue différé dans lequel l’enseignant s’adresse directement à l’élève, comme en situation d’aide individualisée où il prend le temps de commenter pas à pas la lecture d’une copie. Cette posture moins distanciée que l’annotation écrite permet au professeur de conserver la mémoire de ses premières réactions, sa satisfaction devant une réponse bien formulée, son incompréhension face à une phrase mal structurée, son étonnement, et même son rire s’il se laisse surprendre par une réponse ou une idée insolite. Cette spontanéité engage également l’enseignant dans une démarche de pédagogie explicite lorsqu’il réfléchit à voix haute aux remédiations possibles que l’on pourrait apporter à telle difficulté, aux moyens d’appréhender l’exercice différemment, aux stratégies qu’il met lui-même en place pour résoudre un problème de syntaxe par exemple. La correction devient alors pour l’élève moins arbitraire et plus explicite, l’enseignant s’attarde tout autant sur les réussites et les échecs de la copie. Libéré de l’espace contraint de la marge, il argumente ses propositions et ses réactions, adapte ainsi son propos aux problèmes spécifiques posés par chaque situation et prend le temps de féliciter l’élève plus longuement et plus précisément qu’avec un simple “TB” dans une annotation écrite.
L’enseignant partage ensuite avec l’élève ce fichier sonore, soit en amont, soit au début de la séance consacrée à la correction du devoir. On demande alors à l’élève de retranscrire le plus précisément et le plus fidèlement possible sur sa copie, restée volontairement vierge de toute annotation, les commentaires de l’enseignant. Cet exercice demande en moyenne une heure de travail pour un fichier sonore d’une dizaine de minutes et exige de l’élève un travail d’écoute, de compréhension, de synthèse et d’appropriation. Ce temps de correction - spécifique à chaque élève - participe pleinement à son apprentissage, lui donne des clefs de relecture, l’aide à comprendre et à mémoriser les types d’erreurs qui lui sont propres.
Se pose alors la question de la connaissance de l’évaluation chiffrée que l’on attribue à la copie. Trop souvent une mauvaise note empêche l’élève de tirer profit d’une correction, comme si cette dernière faisait écran à tout discours de remédiation. Pour éviter cette difficulté, deux stratégies sont envisagées : soit annoncer et justifier les points obtenus au fil de des questions corrigées, soit ne pas aborder explicitement cette question dans le commentaire audio et en réserver la publication après que l’élève a pris connaissance de son évaluation. Cette deuxième solution permet de proposer à l’élève de s’engager aussi dans une démarche d’auto-évaluation plus “éclairée” que celle à laquelle il se livre spontanément à la fin de son devoir.
Expérimenter l’annotation individualisée au collège
Voici une copie d’écran d’un extrait du devoir de Sophie correspondant au premier commentaire audio présenté ci-dessus. À gauche, le texte de départ rédigé par l’élève, puis lu et commenté par le professeur. À droite le résultat du travail de correction réalisé par l’élève au fur et à mesure de l’écoute du commentaire audio.
Expérimenter l’annotation individualisée au lycée.
Voici la copie corrigée par Pauline, dont le commentaire audio a été présenté dans la première partie de l’article.
Dans cette copie, l’élève adopte un code couleur pour mieux s’approprier les conseils donnés : en bleu ce qu’il faut réécrire, en rouge ce qui est contesté, en noir, ce qu’il faut compléter.
Bilan et perspectives
Cette expérimentation menée conjointement dans plusieurs classes a rencontré un vif succès auprès des élèves, qui reconnaissent que ce dispositif les aide à être davantage à l’écoute des conseils donnés. Ils sont souvent reconnaissants du temps qui a été consacré spécifiquement à la lecture de leur copie et adoptent une posture réceptive face aux conseils donnés. Par ailleurs, le commentaire audio permet de résoudre la question des copies dématérialisées. Nul besoin d’imprimer, d’annoter, de scanner une copie numérique : l’enseignant la renvoie avec le fichier oral qui lui correspond.
D’autres perspectives s’ouvrent également sur un temps plus long. Chaque enregistrement fait mémoire de l’état de progression d’un élève et rend sensibles, dans la possible continuité des écoutes de chacun d’eux, les progrès réalisés mais aussi les résistances, les “mauvais réflexes” dont il est si difficile de se débarrasser. L’écoute répétée des commentaires sur l’ensemble d’une année aiderait, sans doute, l’élève à remédier aux erreurs récurrentes dont il a peine à prendre conscience, tant elles font pour lui l’objet d’automatismes solidement ancrés en lui.
Ainsi, s’il est un fait que le commentaire oral engage l’enseignant dans un temps de correction un peu plus long qu’à l’écrit, les effets bénéfiques qu’il pourrait en retirer, tant dans la production de ses corrections que dans la relation pédagogique qu’il construit avec chacun des élèves de sa classe, contribueraient sans doute à terme, à lui donner plutôt le sentiment d’une charge de travail allégée.
