1. Textes et titres
- Le découpage n’est pas le même et ne donne pas à connaître les mêmes passages. Les deux ouvrages proposent des formules de résumé à la manière des abrégés, qui ne sont pas signalés par la même typographie. Comment les élèves vont-ils interpréter ce changement de police ?
- La traduction et l’adaptation ne sont pas identiques - et l’une d’entre elle n’est pas sourcée (sans doute est-elle l’œuvre pédagogique des auteurs du manuel). On peut remarquer que le texte original en langue grecque d’Homère est en vers, alors que les deux traductions proposées sont en prose, et ne permettent pas l’accès à ce genre littéraire fondateur. C’est pourquoi le renvoi à un extrait traduit par Philippe Jaccottet peut être intéressant.
- Les deux extraits sont titrés différemment. L’un des titres annonce tout de suite l’événement, ne ménageant pas de suspens : « L’aveuglement du Cyclope », tandis que l’autre se contente de signaler un lieu inquiétant : « Dans l’antre du Cyclope ». Au vu de la hiérarchie typographique et de l’organisation sur les pages, on comprend que certains élèves confondent les titres inventés par les auteurs du manuel, qui varient pour de mêmes extraits, et les titres des œuvres conçus par les écrivains.
- Ajoutons aux titres du texte les titres des pavés de questions, et le titre de la séquence en bas de page : « Au fil de L’Odyssée, Ulysse face aux monstres antiques » ou « Ulysse, l’homme aux mille ruses »… Tous ces éléments secondaires viennent informer la compréhension du texte pour des lecteurs experts, mais l’entraver pour des lecteurs fragiles.
2. Appareillage du texte : notes, encadrés, renvois…
La question est de savoir si cet appareillage est effectivement utile pour lire le texte … car il peut induire en erreur :
- Les élèves doivent décider rapidement du statut des icônes, de leur mémorisation au fil de l’eau… ce qui exige des stratégies de lecture efficaces.
- Les notes de vocabulaire interrompent la lecture. Qui saura reprendre le fil ? Et d’ailleurs, l’élucidation du sens de mots inconnus est-elle toujours indispensable ? Un enseignement de la compréhension en lecture inciterait plutôt à apprendre aux élèves à déduire le sens d’un mot du contexte ou de sa formation (voire à se passer du sens d’un mot quand cela est possible - ex : « Ayant bu le doux breuvage* »), ou à leur faire fabriquer eux-mêmes cet appareillage.
- Les encadrés ont des statuts différents : repère culturel essentiel à la compréhension (le concept anthropologique d’hospitalité par exemple), renvoi à des lectures facultatives – mais dont l’une permet de se frotter à la langue poétique du texte, objectif pédagogique du travail…
3. Images
- Les images des manuels influencent la lecture du texte, or elles n’ont pas toutes le même statut ni le même rôle – et les élèves doivent décider, en régulant leur lecture, s’il faut en tenir compte ou non pour comprendre le texte. L’illustrent-elles ? Apportent-elles un savoir extérieur au texte nécessaire à sa compréhension ? Ou sont-elles là pour tisser un prolongement ?
- Les choix éditoriaux sont manifestement très différents : l’un des manuels a choisi une représentation moderne favorisant la représentation mentale du texte, l’autre des représentations antiques, y ajoutant l’ancrage artistique et culturel.
4. Les questions sur le texte
- La systématicité de la présentation d’un texte assorti de nombreuses questions dans les manuels tend à construire une vision de la discipline qui risque de se figer, chez les élèves comme chez les professeurs. Lire un texte à l’école, c’est répondre à des questions. Or, il n’est pas évident pour tous les élèves que les questions guident la compréhension du texte, et certains se contentent d’y répondre sans donner du sens à l’ensemble.
- Les titres qui organisent les pavés de questions sont révélateurs de démarches d’enseignement différentes :
– entrées par les grandes thématiques du texte (« Au pays des Cyclopes , le rusé Ulysse, une étape décisive »), ou par grandes compétences qui miment le travail en classe (« échange, comprendre, approfondir, faire le bilan »)
– place de l’écriture individuelle de l’élève, et forme de la trace écrite dans les cahiers ou classeurs : succession de phrases de réponses à des questions dont on a perdu la trace ? courts paragraphes de synthèse ? mots choisis par l’élève ou copie des titres du manuel ?
– contenus de savoirs signalés par les titres mais non formalisés ; selon les chapitres, les manuels indiquent clairement ce qu’il faut savoir, ou laissent à l’élève le soin de déduire. Percevoir ces différences est un enjeu de taille pour les familles.
Conclusion
Cet exemple pose deux questions principales. Celle du choix des textes étudiés en classe : leur découpage, leur appareillage, leur présentation – leur traduction – doivent faire l’objet d’une réflexion de la part du professeur. Et celle du regard de l’élève et des familles sur le manuel, qui ne doit pas être source de malentendu pour permettre un travail personnel. Aussi peut-il être nécessaire d’expliciter les porosités, quand le manuel est à mi-chemin entre le dictionnaire de la discipline, le vademecum et le cahier d’activités.