Initier des élèves de seconde à l’histoire littéraire et culturelle.

, par Daphné Jacamon

L’expérimentation proposée vise à introduire quelques grands principes de l’histoire littéraire pour familiariser les élèves de seconde avec cette notion.

Enseigner l’histoire littéraire au lycée permet de renouveler l’approche d’une discipline qui a, entre autres finalités, celle d’éduquer au goût et au sens esthétique. Cela ne va pas sans susciter quelques difficultés pour les enseignants de Lettres, ces « passeurs de textes », qui doivent à tout prix éviter l’écueil d’une approche desséchante, d’une enquête érudite guère plus stimulante qu’un travail d’archives. Quels objectifs, alors, doit-on se donner ? Comment aider les élèves à comprendre cette approche, à en faire le moyen d’une exploration qui leur permettrait d’appréhender un texte dans toute sa profondeur et sa richesse ?

L’histoire littéraire est en réalité « déjà là » pour ces nouveaux élèves de lycée, riches du travail et des découvertes de leurs années de collège. Mais leurs références littéraires et culturelles acquises progressivement, d’une année sur l’autre, voire d’une matière à l’autre, ne donnent pas toujours lieu à une représentation claire sur laquelle l’enseignant peut s’appuyer pour introduire de nouvelles connaissances. Il importe donc de les organiser dès le début de l’année pour en faire un socle solide sur lequel viendront s’agréger toutes les références que l’on étudiera au cours de l’année. Pour donner à cet exercice tout son sens, il importe de lui trouver un fil directeur qui révèle le principe d’héritage sans donner l’impression d’un effet de catalogue. Plusieurs thèmes se prêtent volontiers à cette exploration : celui de l’animal, par exemple, constitue une entrée simple et efficace, facile à mettre en œuvre. On peut ainsi s’appuyer sur les ouvrages de l’historien médiéviste Michel Pastoureau et notamment sur son « Histoire culturelle du Loup » [1], une histoire de ses représentations, de ses symboles et de son imaginaire, qui s’appréhende, en effet, autour d’un corpus patrimonial et se structure autour d’une culture commune, dont les références ont été largement introduites tout au long du collège. Elle est donc facile à mettre en œuvre dès le début de l’année.

Cette courte séquence de trois à cinq heures, selon le temps que l’on souhaite y consacrer, permettra une transition plus facile entre la 3ème et la seconde. Les précisions qu’elle apporte pour les périodes médiévale et moderne, souvent moins connues des élèves, permettent d’en faire l’introduction d’une séquence sur « la poésie du Moyen Âge au XVIIIème siècle ».

Organiser les références d’un patrimoine partagé

Le Loup, animal vedette de notre bestiaire aux côtés du renard, du lion ou du chien, est présent dans notre histoire culturelle depuis la haute Antiquité jusqu’à aujourd’hui. Thème familier aux élèves de fin de collège, qui ont déjà connaissance de la légende de Romulus et Rémus, de la fable « Le Loup et l’Agneau » ou encore du conte du « Petit Chaperon Rouge », il se décline sur plusieurs motifs comme celui du « loup garou » ou du « grand méchant loup » et s’appréhende avec des variations plus ou moins importantes selon les époques, les croyances et les superstitions.

Ce sont ces références que l’on convoque dans un premier temps en sollicitant la mémoire personnelle et scolaire des élèves à partir, d’abord, d’expressions consacrées qui évoquent de manière explicite le loup. On parvient ainsi à faire surgir des expressions populaires comme « avoir une faim de loup », « hurler au loup », « marcher à pas de loup », « être connu comme le loup blanc » etc, [2] expressions qui témoignent d’un héritage que l’on peut questionner. Pourquoi « une faim de loup » et non « une faim d’ours » ? Que sont ces « pas de loup » ? Quelles ont donc été la perception et l’importance de ce fauve pour que notre langage en ait conservé une telle mémoire ?

À ces expressions s’ajoutent des références communément partagées. On peut attendre d’élèves de seconde qu’ils évoquent sans grande difficulté :

 la légende de Romulus et Rémus,
 les fables de La Fontaine,
 les contes de Charles Perrault, notamment « Le petit Chaperon Rouge ».

Certains élèves, plus à l’aise, peuvent aussi se souvenir d’autres textes comme :

  • Les fables d’Ésope,
  • le loup Ysengrin du Roman de Renart,
  • le loup Akéla du livre de la jungle.

On place alors sur un mur collectif ces références, sans en préciser l’époque et l’on ajoute d’autres propositions :

  • Lycaon des Métamorphoses d’Ovide
  • Une référence biblique qui évoque le loup (Mathieu,7,15)
  • Bisclaveret, un lai de Marie de France [3],
  • Des images de bestiaires au Moyen Âge,
  • Un tableau de Cranach l’Ancien Loup Garou dévorant un enfant
  • La mort du loup d’Alfred de Vigny
  • Un extrait de Tex Avery : Red Hot Riding Hood

Pour entrer dans la diversité de ces références culturelles, on privilégiera des supports variés : un récit choral porté par des comédiens pour s’immerger dans l’histoire de Bisclaveret, une visite de l’exposition virtuelle de la BNF pour découvrir le genre du bestiaire au Moyen Âge, une vidéo de classe inversée pour se remémorer la légende de Romulus et Rémus, un tableau de Cranach l’ancien pour illustrer le motif du loup-garou, un extrait de dessin animé pour découvrir le loup de Tex Avery.

À charge pour l’élève de parcourir toutes ces ressources, d’en déterminer l’époque et de les organiser sur une frise chronologique numérique.

Chaque élève compose sa propre frise à partir de l’application « frise » proposée sur l’ENT.

Faire dialoguer ces références entre elles

On se propose, dans un deuxième temps, d’inviter les élèves à comparer ces références pour comprendre quelles notions sont convoquées en histoire littéraire et les sensibiliser au fait qu’un texte est, selon son étymologie, « tissé » d’un assemblage de mots mais aussi de références, qu’il est à la fois clos puisqu’« il porte en lui le tout de sa signification » et ouvert puisqu’il « se construit dans la relation complexe qu’il entretient avec d’autres textes dont il porte la trace » [4]

Voici, à titre d’exemple, quelques notions que l’on peut aborder en comparant ces références. Les exercices proposés pour chacune d’elle visent également à renforcer la mémoire de ce socle patrimonial.

Les notions de motif et de thème

On demande aux élèves de comparer le loup dans le bestiaire du Moyen Âge, le loup de Bisclaveret de Marie de France, le tableau de Cranach et le conte de Perrault et de réfléchir aux points communs et différences qu’ils perçoivent entre ces représentations. Cet exercice permettra d’introduire la notion de thème et de motif. On définira ainsi le thème comme l’identification de ce dont on parle et le motif comme partie du thème. Ainsi dans les exemples proposés, le motif du « Grand Méchant Loup » se distingue de celui du « loup-garou », tous deux s’inscrivant dans le thème de « la représentation du loup ».

La notion d’intertextualité

On demande aux élèves de relire attentivement La Mort du Loup de Vigny et de chercher à quel autre récit ce poème se réfère. La référence à la louve du Capitole est assez explicite. L’exercice permettra d’introduire la notion d’intertextualité qui « désigne les cas manifestes de liaison d’un texte avec d’autres » [5]. On insistera sur le fait que ces références sont plus ou moins explicites et que la reprise d’un thème peut aussi être perçue comme une forme d’intertextualité.

La parodie

On propose aux élèves de comparer le conte de Perrault et l’épisode de Tex Avery en leur demandant quelles ressemblances et différences ils perçoivent entre ces deux histoires. Cet exercice permettra d’introduire la notion de parodie comme « imitation d’un modèle détourné de son sens initial et, plus généralement, comme transformation du texte à des fins généralement comiques ou satiriques ».

La réécriture

On demande aux élèves de comparer la fable d’Ésope et celle de La Fontaine et, là aussi, de chercher les points communs et les différences de ces deux apologues. Cette confrontation permettra d’introduire la notion de réécriture, définie comme « l’action par laquelle un auteur écrit une nouvelle version d’un texte antérieur ».

Ces exercices veulent montrer aux élèves qu’un texte dialogue le plus souvent avec une tradition, un héritage, qui lui permet de mieux comprendre le monde qui lui est contemporain.

Pour aller plus loin : aborder les notions de genre, de contexte, de réception et d’auteur.

Selon le niveau de la classe et l’intérêt qu’elle manifeste à cette introduction aux principes de l’histoire littéraire, on pourra approfondir cette réflexion en abordant d’autres notions qui supposent d’entrer plus avant dans l’histoire des textes.

La notion de genre

Après avoir défini la notion de genre, on peut demander aux élèves de citer ceux qu’ils reconnaissent dans cette séquence. On identifiera ainsi avec eux les caractéristiques principales de la fable, du bestiaire, du conte, du poème versifié, du récit. On insistera sur le fait qu’un genre peut répondre aux interrogations d’une époque, comme l’invention au Moyen Âge des bestiaires de « curieux livres de bêtes qui parlent des espèces animales, non pas tant pour les étudier telles qu’elles sont que pour en faire des supports de significations afin d’en retirer des enseignements moraux et religieux ». On introduira également l’idée qu’un genre évolue au cours des siècles : le « lai » est bien l’ancêtre de notre nouvelle, le roman est d’abord une langue avant d’être un genre littéraire.

Les notions de contexte et de réception abordées en lien avec l’interdisciplinarité.

Cet exercice peut se faire en interdisciplinarité avec les professeurs de Science de la Vie et de la Terre et Histoire. On demande dans un premier temps aux élèves de classer les loups de ce corpus selon qu’ils sont menaçants ou non. Puis on leur demande d’expliquer ces représentations grâce à une fiche de SVT sur le loup, qui permet d’imaginer ce que l’on peut ressentir au contact de cet animal et quelques éléments d’histoire économique et sociologique (fiche d’Histoire), qui expliquent le rapport que chaque grande période a pu développer à l’égard du loup.

Extrait de la fiche de SVT : cette séance propose de vérifier avec les élèves quelques affirmations sur le loup pour comprendre le sentiment de menace qu’il a pu susciter au cours des siècles. Elle propose également de dissocier ce qui relève du mythe de ce qui constitue une réalité biologique.
Extrait de la fiche d’Histoire : cette séance permet au collègue d’Histoire d’introduire, en début d’année, la notion de périodisation historique, au programme de l’année de seconde. On demande aux élèves de justifier par des arguments historiques l’évolution de la représentation du loup dans l’Histoire Littéraire et Culturelle. Pourquoi le loup est-il plus ou moins perçu comme menaçant selon les époques ? Comment les textes et les tableaux rendent-ils compte de ces variations ?

On peut donc, à l’issue de cet exercice, définir la notion de contexte comme l’ensemble des circonstances dans lesquelles s’inscrit un texte et celle de réception comme relation entre le lecteur et le texte, notamment au moment de la publication ou de la diffusion de celui-ci : l’écriture des contes de Perrault, par exemple, prend en compte la peur renaissante du loup à la période moderne ; les loups de Kipling témoignent d’une revalorisation de l’animal à une période où la découverte d’un vaccin contre la rage le met en retrait dans la vie quotidienne comme dans notre imaginaire.

La notion d’auteur

On demandera aux élèves de réfléchir à la raison pour laquelle le roman de Renart n’est pas associé à un auteur. On expliquera alors que ce texte n’est pas unique, mais qu’il constitue un ensemble de vingt-sept poèmes plus ou moins indépendants, de longueur inégale. Cet exercice permettra de montrer que la notion d’auteur n’a pas toujours existé, qu’Ésope également n’est qu’un nom sur lequel se sont accumulées pendant plusieurs siècles un grand nombre de fables écrites en grec.

Bilan et prolongement

On pourra prolonger cette première approche par une séquence sur « l’animal en poésie » dont la symbolique, plurielle, tient une place prépondérante dans la littérature depuis le Moyen Âge [6]. Cette séquence pourra se centrer sur la complainte amoureuse [7] et s’appuyer sur des poèmes de Thibaut de Champagne [8], Guillaume de Machaut [9], Christine de Pizan [10]. On pourra également interroger la symbolique de l’animal dans le cadre d’une satire des puissants et de leurs courtisans [11] avec des poètes comme Rutebeuf [12] ou La Fontaine [13] .

Quelle que soit l’orientation choisie, la frise construite en début de séquence constituera un repère stable pour toutes les références, découvertes littéraires et culturelles que l’on étudiera dans l’année. Elle participera ainsi à la construction d’une culture littéraire structurée et en favorisera l’appropriation par les élèves.

Notes

[1Michel Pastoureau, Le loup, une histoire culturelle, 2018

[3Texte disponible sur Wikisource dans une version à vérifier.

[4On emprunte ces éléments de définitions et ceux qui suivent au dictionnaire du littéraire, sous la direction d’Alain Viala, 2002.

[5Alain Viala, Le dictionnaire du littéraire, 2002

[6Les exemples proposés dans la suite de ce paragraphe sont pour la plupart empruntés au manuel collaboratif de Français 2nde édité par Le livre scolaire sous la direction de Stanislaw Eon du Val et Pierre-Michel Sailhan.

[7Il est également tout à fait possible de s’orienter vers une séquence centrée sur les liens entre « poésie et amour » du Moyen Âge au XVIIIème siècle en contrepoint de la lecture cursive des Lais de Marie de France.

[8Thibaut de Champagne, « Je suis comme la licorne », Recueil de chansons, XIIIème siècle

[9Guillaume de Machaut, « Une vipère réside dans le cœur de ma dame », La Louange des dames, ballade CCIV, entre 1324 et 1377.

[10Christine de Pizan, Cent ballades d’amant et de dame , ballade XCIV, 1410 « Qui veut tuer son chien... ».

[11Séquence que l’on pourra introduire par un extrait de Paul Thiry d’Hobach Essai sur l’art de ramper à l’usage des courtisans (1790).

[12Rutebeuf « Renart le Bestourné », 1261

[13On pense particulièrement aux « Obsèques de la Lionne » et à la « Cour du Lion ».

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