Les badges numériques : une évaluation alternative pour accompagner l’enseignement à distance.

, par Daphné Jacamon

Cet article rend compte d’une expérimentation faite en période de confinement sur la question de l’évaluation et des alternatives possibles que l’on peut mettre en œuvre pour en diversifier les stratégies. Il interroge le rapport qui existe entre évaluation et reconnaissance et sous-tend une réflexion sur les leviers que l’on peut mettre en oeuvre pour soutenir la motivation et l’estime de soi des élèves, dans le cadre de l’enseignement à distance.

Comment soutenir l’assiduité et l’effort des élèves dans des situations d’enseignement à distance ? Quelle alternative pouvons-nous adopter pour évaluer les élèves sans recourir au système traditionnel de notation ? L’attribution de badges numériques, mutualisés ou non par une équipe pédagogique, ouvre semble-t-il une piste possible. On se propose ici de rendre compte d’une expérimentation menée avec une classe de seconde générale, pendant la période de confinement.

Qu’est-ce qu’un badge numérique ?

Un badge numérique est une image qui valide l’acquisition de savoirs, savoir-faire et savoir-être. L’obtention de cette image, qui prend l’apparence d’un badge, se fait selon les critères définis par l’enseignant.
Ce projet de « Badges numériques » est adapté des Open Badges, un système d’accréditation créé en 2011 par la fondation Mozilla, qui vise à créer de nouvelles opportunités de carrière en faisant la promotion de la reconnaissance des compétences et des réalisations acquises par le biais d’un apprentissage formel et informel.

Le système des Open Badges entre progressivement dans les parcours de formation de l’Éducation Nationale pour valoriser les acquis des personnels en formation. Il est possible de suivre un parcours m@gistere [1] sur cette thématique en cliquant sur les liens suivants :

Découvrir les Open Badges
Créer et délivrer des Open Badges

Présentation du dispositif mis en place dans une classe de seconde générale.

Voici l’adaptation proposée par l’équipe pédagogique de notre classe de seconde [2] :

L’organisation en savoirs, savoir-faire et savoir-être correspond au modèle de définition de l’enseignement par compétences. Le choix des badges, leur organisation, leur nombre, leurs critères d’attribution, leur visuel comme leur système de progression, relèvent de choix arbitraires, concertés au sein de notre équipe.

Il nous a semblé intéressant de profiter de cette période d’enseignement à distance pour mettre en valeur ce qu’une notation traditionnelle ne peut pas, ou rarement, prendre en compte : la curiosité personnelle d’un élève, sa persévérance face aux difficultés rencontrées, son assiduité lorsque rien, ou si peu, ne lui donne la motivation pour faire le travail demandé, son souci d’entraide quand un camarade en exprime le besoin, son niveau de compétences numériques de plus en plus discriminantes dans notre société. Ces aptitudes, qu’un élève a tout intérêt à développer pour évoluer sereinement dans ses apprentissages, trouvent dans ce système de badges numériques un nouvel espace de reconnaissance, au même titre que l’acquisition et la maîtrise de savoirs disciplinaires.

Des exemples d’attribution de badges en cours de français

À titre d’exemples, voici une liste d’activités qui pouvaient donner lieu à l’attribution d’un ou plusieurs badges :

  • Dans le cadre de la séquence sur Candide de Voltaire  : on a pu inviter les élèves à se documenter sur des thèmes comme le tremblement de terre de Lisbonne, les jésuites, le commerce triangulaire, l’inquisition etc. Pour chaque recherche, on accorde le badge « spécialiste », si la recherche est présentée sous forme d’un diaporama ; on ajoute, au badge « spécialiste », le badge « qualifié » si l’élève prend la parole pour présenter sa recherche en début de classe virtuelle. On ajoute aux deux précédents le badge « défi » pour l’encourager à prendre publiquement la parole. Si l’élève partage son travail avec le reste de la classe, on lui décerne le badge « altruiste ». Si l’élève répond aux questionnaires qui soutiennent l’effort de lecture cursive, il obtient le badge « persévérant ». Si l’élève intervient à bon escient sur le blog de la classe lors d’une analyse linéaire, on le gratifie du badge « qualifié ».

  • En étude de la langue  : si l’élève parvient à transformer son cours en question-réponse pour favoriser une mémorisation active, il obtient le badge « expert » ; s’il communique les réponses de ses exercices sur l’Édupad au moment de la correction et qu’elles soient justes et justifiées, il gagne le badge « qualifié » ; s’il accepte de reprendre plusieurs fois son exercice pour l’améliorer, on reconnaît son effort grâce au badge « persévérant » ; s’il prend l’initiative de faire un ou deux exercices supplémentaires dans son manuel pour vérifier sa compréhension d’une notion, il reçoit les badges « autonome » et « persévérant ».

  • En séance d’atelier d’écriture  : on met en jeu le badge « créatif » pour valoriser les productions des élèves et celui de « qualifié » pour récompenser la maîtrise de la langue.

  • Pour accompagner des propositions en marge du cours, par exemple des démarches de culture par le jeu comme le permet Prisme 7, un jeu vidéo créé par le Centre Pompidou pour initier les élèves à l’art moderne et contemporain, on propose les badges « défi », « curieux » et « spécialiste » à tous ceux qui proposent une synthèse sur les fonctions de la couleur dans l’art moderne et contemporain. Les élèves qui concourent à créer une anthologie numérique regroupant une œuvre par niveau de jeu, soit sept œuvres, en associant à chacune d’elle un écrit d’appropriation, obtiennent les badges « spécialiste », et « créatif ».

  • Pour encourager la lecture cursive d’œuvres au format numérique, on propose aux élèves de réaliser un oral du lecteur sur l’œuvre de leur choix à partir d’une liste proposée sur le site On peut toujours lire, on peut toujours écrire. On attribue les badges « persévérant » pour récompenser la lecture intégrale de l’œuvre, « défi » pour valoriser la prestation orale, « expert » pour attester d’une bonne connaissance de l’œuvre, « qualifié » pour mettre en valeur les compétences d’analyse et « curieux » pour reconnaître l’aptitude à découvrir de nouvelles œuvres.

  • Pour accompagner l’effort de présence à chaque classe virtuelle, on attribue le badge « assidu » en fin de semaine aux élèves présents à tous les rendez-vous de français.

Cette liste n’est bien sûr pas exhaustive. L’avantage de ce système de valorisation réside aussi dans sa souplesse. On a pu ainsi saisir toutes les opportunités de valoriser des aptitudes ou des savoirs qui émergeaient au gré de situations très différentes.

Bilan de l’expérience

Voici les résultats d’un questionnaire renseigné par les élèves à la veille du conseil de classe.

En moyenne, 5 enseignants ont participé à l’expérience qui s’étend sur un peu plus de cinq semaines. La rétribution des badges a été très inégale selon chacun : les badges attribués en cours de français et de SVT ont été très largement majoritaires.

Les écarts que l’on observe entre l’élève le plus investi (100 badges) et celui qui a choisi de rester en dehors du système (1 badge) nous permet de prononcer des constats objectifs quant à l’investissement de chacun. Le « tableau d’honneur » qui recense le décompte de chaque badge par élève conforte également les perceptions de « profils » qui, jusqu’à présent, restaient subjectives. L’élève lui-même prend conscience des aptitudes qu’il développe naturellement et peut se donner comme objectif de développer de nouvelles habitudes scolaires comme l’autonomie ou la curiosité.

Synthèse des réponses proposées par les élèves

Le bilan de cette expérience nous semble donc très positif et nous encourage à ne pas la limiter à la seule période du confinement. Comme le suggère l’une des questions de notre formulaire, il nous semblerait intéressant d’associer ce système à celui de la notation traditionnelle pour élargir le spectre de l’évaluation et accorder une forme de reconnaissance, plus informelle certes, mais tangible, à d’autres compétences que celles que l’on prend traditionnellement en compte. La valorisation de la curiosité, de la persévérance, de la créativité et de l’altruisme se traduit difficilement par une évaluation sous forme de note. L’attribution de badges, en revanche, donnerait à l’enseignant la possibilité de garder en mémoire ce qu’il ne peut pour l’instant que récompenser d’un compliment : l’effort de créativité d’un écrit d’appropriation par exemple, une prise de parole vécue comme périlleuse, l’initiative d’une recherche, l’intérêt que l’on porte à l’actualité ou encore le souci de mener à bien un travail en équipe. Ces badges, qui reposent sur une observation fine de comportements tout au long de la journée, pourraient même être aussi attribués sur proposition et justification d’un pair, en accord avec l’enseignant, qui en serait alors en partie déchargé. La constitution collective de ce « tableau d’honneur » qui ne serait plus une simple mention de conseil de classe, mais la reconnaissance d’attitudes, d’initiatives et de qualités, reprendrait alors tout son sens et enrichirait la réflexion que l’on doit mener sur l’orientation.

Notes

[1m@gistère est le dispositif de formation continue des enseignants mis en place par le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche : https://magistere.education.fr/ac-versailles/my/

[2Lycée Louis Jouvet, Taverny (95)

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