Commencer, recommencer ... en français

, par Inspection pédagogique régionale de Lettres

L’annonce d’un retour en classe progressif des élèves à partir du 11 mai, selon des modalités encore à définir, invite à amorcer une réflexion sur ce que pourrait être le travail en français, dans ce cadre encore hypothétique dont il est impossible d’appréhender toutes les contraintes : horaire hebdomadaire limité, effectif réduit et tournant pour assurer la distanciation, organisation contrainte par de nombreux paramètres, enseignement hybride en présentiel et à distance…

Voir également l’article Rentrer et accueillir ...

Éléments généraux

Rentrer et accueillir…

Le retour en classe, signe de fin du confinement, sera à la fois positif et difficile :

  • épreuves traversées, deuils peut-être,
  • rupture même partielle des liens et des habitudes scolaires,
  • perte parfois du sens du travail,
  • retour au collectif attendu ou subi.

C’est synonyme d’inquiétudes de part et d’autres, professeurs et élèves, sur :

  • les liens à retisser,
  • les cadres à rappeler,
  • la fin de l’année et les examens,
  • le temps qui reste,
  • ce qui a été fait ou pas,

dans un contexte complexe d’annonces et d’incertitudes.

Le temps de clôture et de séparation aura creusé encore les écarts, selon les conditions de vie, la possibilité de travailler et de travailler accompagné, le lien maintenu ou rompu avec les professeurs. Certains élèves retrouveront la classe avec l’assurance du travail accompli, rassurés et portés en avant par leur performance, d’autres n’auront rien rendu, auront lâché prise ; ceux-là retrouveront la classe avec la crainte d’être un peu plus stigmatisés ou le sentiment de la défaite annoncée. Moroses ou tendus, volubiles ou mutiques, ils méritent une attention particulière dans les jours, mais aussi les semaines, qui suivront la reprise.

Ces questions seront évidemment celles de l’ensemble de la communauté éducative  ; un temps de pré-rentrée et de rentrée sera sans doute institué, il sera parfois douloureux. Un scénario d’accueil, une journée de « ré-intégration », concertés à l’échelle de l’équipe voire de l’établissement, seront d’autant plus efficaces qu’ils offriront aux élèves un cadre de travail commun et partagé. Il faudra aussi instaurer ce temps dans notre discipline avec chacune de ses classes, chacun de ses élèves.

Reprendre et/ou recommencer ?

Les semaines de classe qui pourraient être assurées, selon des modalités encore inconnues, jusqu’au 4 juillet, seront ainsi placées pour les professeurs, outre les impératifs sanitaires et la dimension humaine, sous le signe de questions pédagogiques complexes :

  • S’agit-il d’un retour en classe ou d’une fin d’année ?
  • Que s’agit-il de faire en retrouvant ses élèves : finir le programme, faire le point, revenir sur le travail engagé avant le mois de mars, sur le travail forcément inégal de la période de confinement ?
  • S’agit-il de finir l’année, d’aider les élèves à se projeter dans la suivante ? Etc.

Retrouver et retenir

Malgré les nombreuses incertitudes qui pèsent sur ce retour en classe, il peut être placé sous le double signe de la poursuite du travail à distance et de la relance de formes plus habituelles d’enseignement.

On y retrouvera :

  • le présentiel, cœur de la relation pédagogique,
  • l’accès facile à des œuvres,
  • la diffusion commode de documents

et donc

  • la possibilité de pratiques de lectures plus variées,
  • des pratiques d’oral en interaction et en continu sans médiation,
  • la possibilité de faire travailler des élèves ensemble dans des formes collaboratives immédiates,

ainsi que toutes les pratiques « naturelles » de l’accompagnement personnalisé :

  • différenciation autour d’un même objectif,
  • explicitation…

Cet accompagnement personnalisé, dispositif bien identifié du travail en situation ordinaire, a été également une préoccupation centrale du travail à distance durant la période de confinement.
Ce retour à des pratiques présentielles, pour ne pas dire ordinaires, sera donc également une poursuite des formes de travail privilégiées durant le confinement :

  • logique de projets,
  • travail par grandes compétences autour de la lecture, de l’écriture et de l’oral,
  • évaluation essentiellement formative, etc.

L’expérience acquise dans le maniement des outils de l’enseignement à distance, de manière synchrone ou asynchrone, restera précieuse, notamment pour faire le lien avec la classe si tous les élèves ne sont pas en cours en même temps, mais aussi parce que ces outils ont révélé ou confirmé leur pertinence et leurs atouts.

Quelques focus

Élève/Classe/Groupe

Comme entité traditionnelle de l’organisation scolaire, la classe continuera à être interrogée dans ses contours et son extension après la « reprise ».
Espace de sociabilité dans lequel se partagent des projets pédagogiques, pour lequel ces projets sont conçus, la classe ne pourra certainement pas être physiquement réunie.

Si le travail en groupe est souvent fécond (activités différentes, meilleur suivi, élèves plus concentrés…), son efficacité est un point d’équilibre souvent difficile à tenir. La maîtrise du temps y échappe davantage : l’équilibre entre essai, recherche et partage, mise en forme est toujours délicat, le rythme des élèves et celui de la séance ne coïncident pas toujours, la réitération du même d’un groupe à l’autre nécessitent une grande vigilance.

S’il est évident quel le groupe n’est pas une mini classe où l’on mène les mêmes activités avec moins d’élèves, mais une modalité pédagogique spécifique dans laquelle professeur et élèves se déplacent, l’un pour quitter le centre de la scène, les autres pour expérimenter autonomie et collaboration, les groupes qui pourront être constitués pendant la période de reprise seront soumis à des contraintes, des questions spécifiques que l’on pourrait identifier autour de trois pôles :

  • Retrouver du commun, relancer le travail et différencier ;
  • Retrouver du commun et ouvrir, varier les corpus, les propositions ;
  • Retrouver du commun dans les décalages entre présentiel et à distance.

Sans replacer les élèves dans les difficultés matérielles du temps de confinement et en profitant pleinement du présentiel, on peut concevoir des projets à géométrie variable :

  • compétences communes, mais degrés de maîtrise variables,
  • corpus partiellement commun et incursions dans des textes différents,
  • lectures croisées des travaux entre les groupes, etc.

Comment (re)commencer ? Des amorces possibles

Cette préoccupation est évidemment commune, elle peut trouver en lettres des déclinaisons diverses inspirées par trois principes :

  • la simplicité,
  • un écho et un déplacement, une médiation, pour évoquer et mettre à distance la situation vécue,
  • une articulation du singulier et du commun, par la langue, la littérature, la pratique commune de l’une et l’autre.

En lecture, la littérature offre des ressources infinies : récits de débuts et premières phrases, motifs liés au passage, récits d’épreuves traversées, évocation de retrouvailles, expression des émotions, évocation d’un élan, d’une impulsion ou nouvelle perspective. Les lectures à haute voix, la lecture chorale, sont des expériences partagées connues et modérément engageantes (On peut choisir de dire ou d’écouter.). Des écrits d’élèves réalisés pendant la période du confinement peuvent être partagés dans ces moments de lecture…

L’écriture elle-même peut venir dans un second temps, car elle est plus « mobilisante » mais présente l’avantage d’une sorte de chambre à soi dans un espace partagé.
Les propositions seront évidemment très ouvertes et très simples. Par exemple : « On a recommencé à… », « c’est étrange de… », « j’aimerais… », « je pense à … », « depuis longtemps je n’avais pas … » etc.

La langue offre également de nombreuses pistes depuis le préfixe re-, en passant par le vocabulaire du commencement ou les couples de contraires comme rentrer/sortir, fermé/ouvert, seul/ensemble, etc. Ces suggestions ne sont qu’indicatives, la bonne proposition est d’abord celle dans laquelle on se sent bien.

Et le programme ?

Le caractère proprement exceptionnel de la crise traversée comme les quelques semaines qui séparent la « rentrée en classe » du « départ en vacances » autorisent plus que jamais des circulations et des progressions plurielles au sein des programmes de cycles et de niveaux de classes.
Les entrées ou objets d’étude, qui figurent dans les programmes (genres / périodes / notions grammaticales) offrent certes des points d’appui pour envisager le plan de travail des semaines à venir, mais c’est bien l’adaptation des corpus de lecture, des travaux d’écriture, des exercices oraux et des temps de manipulation/réflexion linguistiques aux élèves que l’on retrouve qui permettra de résoudre ce qui relève de l’injonction paradoxale : achever un programme quand une partie de l’année a sauté, reprendre ou consolider ce qui a été vu pendant le confinement, avancer sans laisser personne de côté.

Plusieurs configurations sont donc possibles  :

  • Écrire un tout nouveau chapitre, pour placer les élèves à égalité, pour jouer la surprise et la découverte d’un nouvel univers, d’une nouvelle proposition d’écriture… ;
  • Ressaisir, au fil d’une séquence en forme de sommaire, ce qui a été vu tout au long de l’année pour réactiver et transposer les compétences et les connaissances acquises ;
  • S’affranchir des entrées du programme pour en garder les principes et les orientations : constituer une culture personnelle, consolider les compétences fondamentales d’expression écrite et orale, de lecture et d’interprétation, dans une perspective de formation de la personne et du citoyen… en lisant en écrivant en parlant.

Démarches et formats

Que l’on « reprenne » donc le programme, que l’on avance ou que l’on consolide des points abordés pendant la période de confinement, le cours de lettres, qui procède par situations de travail explicites, mobilise des démarches transversales à chaque domaine de la discipline (lecture/écriture/oral/langue), et profite de formats porteurs pour accrocher et mobiliser les élèves.

Des démarches transversalesDes formats porteurs
+ Comprendre, s’approprier ;
+ Présenter, défendre, critiquer/présenter, analyser, commenter ;
+ Classer, relier, contextualiser, hiérarchiser ;
+ Synthétiser ;
+ Imaginer, créer, tester.
+ Des projets d’une semaine nés d’une question anthropologique/littéraire ;
+ Une démarche de travail par grandes compétences langagières et cognitives : faire/pratiquer/lancer, analyser ce qu’on a fait, comprendre, déduire, s’approprier les savoirs en jeu ;
+ Un scénario en forme de jeu(x) de rôles, qui active et stimule la sociabilité des élèves (rencontrer, interroger, rendre compte) ;
+ Un « chantier créatif » (récit polyphonique, lecture chorale, cartographie d’une controverse…) dont le produit sera valorisé (publication, partage, représentation…).
L’atelier d’écriture et de lecture en ligne, « on peut toujours écrire, on peut toujours lire » offre des propositions d’écriture, nombreuses et ouvertes, à partir de suggestions d’écrivains contemporains (Ber, Maulpoix, Ferrucci, Lamarche, Chamoiseau,…). Fidèle à l’esprit de notre discipline, il permet partage et expérience du pouvoir créateur, et peut-être aussi réparateur, des mots et de la langue.

Évaluation

Les enjeux humains, sociaux de ce moment délicat de reprise, avec les incertitudes qui pèsent encore sur ses modalités et sa durée, constitueront à chaque instant la première préoccupation ; pourtant, la perspective de la fin d’année et la nécessité de faire le point, la suppression de certaines épreuves certificatives et le recours au contrôle continu, le temps de suspend évaluatif du confinement, feront nécessairement émerger la question de l’évaluation.

Cette évaluation ne saurait avoir un objectif de compensation : récupérer des notes pour calculer une moyenne, équilibrer les résultats du trimestre précédent, simuler ou préparer à une épreuve finale… Elle sera résolument formative et gagnera à intégrer une dimension d’auto-évaluation. Le travail qu’il sera possible d’engager portera sur des compétences larges, dont l’apprentissage est déjà largement engagé, de lecture, d’écriture et d’oral.

Les supports peuvent varier, mais l’évaluation ne pourra porter sur des points totalement nouveaux.
Il s’agira :

  • d’abord, en particulier pour les élèves les plus fragiles, d’utiliser l’évaluation formative pour faire le point, rassurer en remobilisant les acquis, en ravivant les appétences ;
  • et, si possible, de permettre à chacun de se projeter dans son parcours de formation de l’année à venir (nouvelle classe, nouveau cycle, études supérieures…).

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