Étudier l’interrogation en classe de première technologique

, par Daphné Jacamon

L’expérimentation vise à développer les capacités d’observation, de manipulation et d’analyse dont les élèves doivent faire preuve dans le cadre de l’étude de la langue. On propose ainsi une séance en quatre étapes qui tente de développer la compétence métalinguistique des élèves afin d’améliorer leur expression écrite et orale et de les préparer à l’épreuve de la question de grammaire pour l’oral des EAF.

Dans son ouvrage, Mieux enseigner la grammaire, [1], Suzanne Chartrand rappelle qu’il est essentiel de proposer des démarches qui permettent de faire réfléchir les élèves sur la langue en leur faisant manipuler des structures (…) et [en leur demandant de] justifier leur raisonnement. Deux objectifs président à ces démarches, celui de développer d’une part l’esprit d’analyse des élèves et celui, d’autre part, de renforcer leur capacité d’abstraction. Pour aider l’élève à se mettre ainsi au centre de son apprentissage, on propose ici de recourir à l’usage du numérique pour étudier la notion d’interrogation, au programme de première générale et technologique. Relativement simple à identifier dans sa forme directe, l’interrogation est en réalité mal maîtrisée par les élèves qui n’en perçoivent pas toujours toutes les dimensions syntaxique, sémantique et pragmatique. Ils sont nombreux en effet, à confondre les marques syntaxiques de l’interrogation directe et indirecte, proposant parfois des systèmes hybrides qui associent par exemple un point d’interrogation à une forme d’interrogation indirecte. On propose ainsi une « leçon de grammaire » [2] de deux heures en quatre étapes pour tenter de développer la compétence métalinguistique des élèves afin d’améliorer leur expression écrite et orale (compétences langagières) et de leur permettre de mieux décrire le fonctionnement de la langue et des discours, en particulier le discours littéraire (connaissances linguistiques). [3] On interrogera particulièrement dans cette séance la plus-value du numérique pour mettre en oeuvre des démarches qui favorisent la métacognition.

1ère étape - Observer et manipuler un premier corpus pour découvrir les propriétés de l’interrogation.

On choisit dans cette première étape un corpus simple de six phrases qui comporte des interrogations directes et indirectes, partielles et totales, de niveau de langue courant et plus familier. Les questions de manipulation cherchent à guider graduellement les élèves dans la découverte des propriétés de l’interrogation. On choisit donc de questionner en premier lieu, la dimension sémantique de cette notion qui dissocie l’interrogation totale et partielle. Cette distinction opérée par la possibilité d’une réponse par oui ou par non, permet une première catégorisation très simple, accessible à tous.
On demande ensuite aux élèves de distinguer et d’explorer les propriétés syntaxiques des interrogatives directes et indirectes. On les invite ainsi à observer la présence ou non d’une proposition subordonnée, l’inversion ou non du sujet dans un niveau de langue courant, la présence d’un pronom interrogatif sous sa forme simple ou renforcée, la présence ou non du point d’interrogation.

Pour favoriser l’attention et l’engagement actif de l’élève, les deux premiers piliers de l’apprentissage en sciences cognitives [4], on recourt à l’usage du numérique grâce à la création d’un mur collaboratif que l’on duplique et partage aux élèves par groupes de deux ou trois. Le numérique permet ici de mettre à la disposition des élèves, sous forme de notes, de post-it, le corpus de référence et des questions de manipulation pour guider les élèves.

On invite les élèves à déplacer, regrouper, isoler les exemples au gré des manipulations qu’on leur demande de faire. Ils doivent également rédiger leurs propres notes et les associer, selon leur logique, aux exemples et questions proposés. Chaque groupement de notes s’identifie aisément grâce aux couleurs définies : bleu pour les questions de manipulation, violet pour les exemples, vert pour les observations des élèves. On n’attend pas ici que les élèves trouvent une organisation qui prenne en compte toutes les questions posées, ce premier mur est comme un brouillon qui organise et désorganise les notes selon les questions auxquelles se confrontent les élèves.

Extrait du mur créé par le professeur pour l’étape 1 de la séance.

L’intérêt du numérique réside ici dans la possibilité de rendre visible la démarche intellectuelle qui permet d’interroger les faits de langue. Ces premières manipulations demandent à l’élève de réfléchir aux différentes propriétés de l’interrogation et d’en repérer les principes fondateurs, elles développent une conscience de la langue sans avoir trop rapidement recours à une métalangue qui n’interviendra qu’en phase 2 de la séance, au moment du processus de conceptualisation.

Extrait d’un mur d’élève dans lequel on perçoit que les exemples ont été déplacés ou isolés pour réfléchir aux questions posées. Les notes des élèves à gauche du mur regroupent les interrogations partielles, celles de droite associent des exercices de réécriture et la recherche de propriétés syntaxiques. Au cours de cette première étape, la place de ces note ne cesse d’évoluer, les élèves discutent entre eux des réponses possibles. La disposition des notes témoigne des échanges que les élèves ont pu avoir entre eux.

2ème étape - Formuler les principes de l’interrogation pour en maîtriser la construction et l’analyse.

Selon Suzanne Chartrand, « l’étude des différentes étapes du processus de conceptualisation permet d’affirmer qu’il ne suffit pas de connaitre un terme, d’apprendre sa définition et de faire des exercices pour pouvoir ensuite utiliser dans une tâche de lecture ou d’écriture les connaissances apparemment acquises » [5] On propose donc d’attendre la deuxième étape de cette séance pour introduire la métalangue afin de montrer aux élèves que « la grammaire n’est pas la langue mais une description de la langue » qui facilite le processus de conceptualisation que l’on définit comme « ce mouvement progressif vers l’abstraction qui passe par des généralisations partielles et des réorganisations du savoir antérieur. » [6]

Dans cette deuxième étape, l’élève est invité à formuler par lui-même, à l’aide de notions de grammaire, les règles et principes qui régissent la construction de l’interrogation. Il lui faut pour cela, comprendre les définitions proposées et les articuler aux observations qu’il a faites lors de la première étape. Cette phase de l’apprentissage questionne le processus de compréhension des élèves puisqu’elle nécessite d’établir des liens entre l’exemple et le principe, entre l’observation et la règle.

On propose donc aux élèves deux ressources pour y parvenir : la liste de notions définies qui ont un lien avec l’interrogation (notes de couleur marron) et une proposition de plan de leçon qui envisage d’abord les principales catégories de l’interrogation avant d’en présenter les contraintes syntaxiques (notes de couleur bleue).

Extrait du mur proposé par l’enseignant.

Extrait d’un mur d’élèves : dans cette deuxième étape, on attend une organisation plus fine des notes des élèves (de couleur verte).

Cette étape de conceptualisation fait l’objet d’une correction en classe entière pour vérifier la compréhension des différentes propriétés de l’interrogation.

À ce stade de la séance, les élèves peuvent désormais réinvestir ces connaissances pour améliorer leur expression écrite et orale, ce qui correspond en sciences cognitives au troisième pilier de l’apprentissage : « le retour d’information ». C’est le moment où les élèves confrontent leur modèle interne à la réponse attendue afin de le modifier et de l’améliorer.

3ème étape - Vérifier ses acquis et s’entraîner à corriger ses propres productions.

On propose dans cette troisième étape, un deuxième corpus de six phrases, non pas fondé sur un usage courant du langage comme en début de séance mais construit à partir d’exemples pris dans les introductions de copies au moment délicat de l’annonce du plan. Comme le précisent les documents officiels d’accompagnement, « il est souhaitable de partir d’une identification des besoins des élèves, en considération de ce qui a été acquis de manière plus ou moins solide au cours des années de collège ». Tous les exemples ne sont pas fautifs, ceux qui le sont comportent des erreurs de ponctuation, de mot de liaison et ne respectent pas les contraintes syntaxiques de l’argumentation directe et indirecte. On engage l’élève dans un processus de relecture, de vérification de sa syntaxe à partir des principes qu’il a lui-même observés et établis au cours des deux premières étapes de cette séance.

Extrait du mur proposé par l’enseignant : en bleu, la consigne de relecture, en violet un corpus de six exemples proches des constructions erronées trouvées dans des copies, en vert, une invitation à justifier les erreurs observées.

Cette étape d’(auto-)correction s’enrichira en cours d’années d’autres exemples afin de permettre l’automatisation des procédures notamment à l’écrit.

Extrait d’un mur d’élèves, après correction des interrogations.

4ème étape - Réinvestir ses connaissances pour se préparer à l’épreuve de grammaire des EAF.

C’est ici que l’on aborde plus spécifiquement la préparation à l’oral des EAF, lorsque le candidat doit « répondre à la question de grammaire posée par l’examinateur ».

On sélectionne au cours des séances d’étude des interrogations que l’on demande aux élèves d’analyser selon les critères définis lors des étapes 1 et 2, afin d’évaluer leur maîtrise de la notion étudiée. On aborde également dans cette quatrième étape la dimension pragmatique de l’interrogation, puisque la citation, intégrée dans un contexte que l’élève connaît, pourra prendre en compte l’acte de langage dans son rapport avec les types de phrase. On interrogera au cours de l’année, quatre cas pouvant poser difficulté :
• La phrase interrogative qui a parfois une valeur injonctive : « pouvez-vous vous taire ? »
• La phrase interrogative qui exprime une demande d’assentiment, plutôt qu’une demande d’information : « Vous ne lui faites pas confiance, n’est-ce pas ? »
• L’expression de l’interrogative indirecte dans une proposition subordonnée où il ne s’agit pas à proprement parler d’un type de phrase interrogatif bien qu’elle rapporte un acte d’interrogation : « je ne sais qui sont ces barbares » (Montaigne).
• L’interrogation dite rhétorique qui n’attend aucune réponse. [7]

On insistera en conclusion sur la plus-value du numérique, ici le mur collaboratif, qui présente l’intérêt de pouvoir conserver la mémoire du processus de conceptualisation en même temps qu’il constitue un espace d’automatisation des apprentissages par tous les nouveaux exemples qu’il pourra intégrer au cours de l’année. Cette démarche d’enseignement par le numérique permet donc d’intégrer les préconisations des sciences cognitives pour toute démarche d’apprentissage : les étapes 1 et 2 incitent l’élève à mobiliser son attention et à s’engager activement dans la construction des notions, voire à modifier les représentations préalables qu’il pouvait avoir de la notion étudiée ; les étape 3 et 4 permettent un « retour d’information » pour vérifier régulièrement, par l’ajout de nouveaux exemples, la compréhension des notions. L’exercice régulier de réactivation, que le numérique rend possible, permettra enfin une solide consolidation mnésique dont l’élève a besoin pour parfaire sa maîtrise des notions enseignées.

Notes

[1Suzanne-G. Chartrand, Mieux enseigner la grammaire : pistes didactiques et activités pour la classe, 2016

[2La leçon de grammaire est une présentation ordonnée d’une notion ou d’un des objets d’étude identifiés par le programme, elle constitue un temps de systématisation et ou de stabilisation des connaissances. La constitution de corpus ad hoc, composés à partir d’extraits de textes étudiés, de travaux d’élèves ou d’énoncés courants, appelant de la part des élèves une observation et des opérations de tri et de classement et faisant l’objet d’activités de manipulations syntaxiques et morphologiques, doit permettre en effet de les associer à une véritable réflexion sur la langue. Pour plus d’informations, se référer au document publié sur Eduscol.

[3Extrait des programmes de français en seconde générale et technologique et en première des voies générale et technologique définis par arrêté du 17-1-2019 publié au BO spécial n° 1 du 22 janvier 2019.

[4Les notions de piliers d’apprentissage sont développées par Stanislas Dehaene dans la troisième partie de son ouvrage Apprendre !, 2018.

[5Suzanne-G. Chartrand, Mieux enseigner la grammaire : pistes didactiques et activités pour la classe. Pages 73 et 74, 2016

[6Ibid.

[7On emprunte en partie cette classification et ces exemples à l’ouvrage de Jean-Christophe Pellat Quelle grammaire enseigner ? 2009.

Partager

Imprimer cette page (impression du contenu de la page)