LCA - Peut-on parler d’une fondation de Rome ?

, par BERNOLLE Marie-Anne, Chargée de mission pour l’Inspection de Lettres

Alexandre GRANDAZZI (Sorbonne Université)

Le terme « fondation » est compris ici dans le sens de « comment Rome est-elle devenue une cité organisée ? » L’interrogation sur les modalités de l’avènement de Rome a constitué le début de recherches autour d’un domaine du savoir et a permis l’émergence d’un domaine scientifique qui rappelle la question de l’Antiquité tardive (Quand le bas-empire devient-il « Antiquité tardive » ?).

Que vaut la tradition littéraire sur les commencements de Rome ?

Les sources fiables jusque là sont Tite-Live et Denys d’Halicarnasse. On a adhéré de manière aveugle à ces textes antiques, sources de tableaux, de sculptures et autres œuvres artistiques.
Au début du XVIIe s., on commence à s’interroger sur la véracité de ces textes, en particulier le 1er livre de Tite Live. La Fides liviana est remise en question.
Au début XVIIIe s, apparaît la « controverse de Paris ». Il s’agit d’un débat qui oppose deux hommes du monde et qui interroge la véracité de ces textes. L’Académie donnera raison à celui qui défend les textes antiques.
Louis de Beaufort, dans la Dissertation sur l’incertitude des cinq premiers siècles de l’histoire de Rome fait un travail de sape sur la véracité des textes antiques, mais la question était : « Romulus a-t-il existé ? » Or, cette question entre en résonance avec la question de la véracité des textes bibliques, ce qui explique la vivacité de ces débats sur les origines de Rome. On peut d’ailleurs finir à la Bastille.
Après cette mise en place, tout le déroulement du débat érudit des XIXe et début XXè va être l’approfondissement de cette opposition critique.

1. Non, les textes littéraires ne sont pas vrais

Aucun monument ni aucun témoignage sur l’existence avérée de Romulus.
Niebuhr (diplomate danois, ambassadeur à Rome) va travailler à une histoire de Rome en Allemand en 1811 qui va être un grand succès et qui va jouer un grand rôle. L’ouvrage sera traduit en italien et en français (que l’on trouve sur Gallica).
Il va prétendre proposer une nouvelle manière de faire de l’histoire, à partir d’une réflexion sur les origines de Rome. Ainsi, la question de la fondation de Rome devient le tremplin pour une nouvelle méthode à adopter pour faire de l’histoire. C’est la naissance de l’Histoire scientifique.
On a là une opposition entre « l’histoire romantique » et « l’histoire poétique/mythologique ».
L’idée même de fondation est remise en cause par Mümsen : une ville ne se crée pas en un jour.
(Cf. Hegel : « Seul un écolier peut croire à l’histoire de Tite-Live »)

2. Oui, les textes littéraires sont vrais

Dans les années 1985-88, des découvertes archéologiques au pied du Palatin, entre temple de Vesta et arc de Titus, à 8 m de profondeur, remettent en question ce discours.

A côté d’un mur de l’époque néronienne, sous un terre-plein où les maisons de l’époque républicaine ont été construites, on a trouvé un puits, la base d’une poutre de bois formant une porte, des objets divers datant du VIIIe s. et les vestiges d’un mur du VIIIe s. Rome aurait donc été fondée sur le Palatin.

Lors d’un colloque sur les murailles en Italie centrale, il a été avancé que plusieurs sites archéologiques avaient des fortifications du VIIIe-IXe s. Il est donc possible qu’il y ait à cette époque un pouvoir qui décide de construire des murailles et donc un regroupement de personnes autour d’un pouvoir.
Au niveau du Comitium, on a trouvé un premier sol artificiel qui daterait de la fin du VIIIe s.
Datation du sanctuaire de Vesta ? On n’a pas retrouvé de « niveau VIIIe s. » malheureusement, en raison de différentes reconstructions. Le plus ancien daterait du VIe s.
La présence de puits votifs où sont entassés soigneusement certains débris et vestiges de bâtiments sacrés détruits pour être reconstruits permet de dire que les premiers vestiges datent du premier temple de Vesta, c’est-à-dire de fin VIIIe-début VIIe s. La date de la Rome de Romulus ne correspond pas. La fondation de Rome serait donc plus tardive.

3. Comment articuler l’ensemble ?

La tradition a exagéré : on ne passe pas du « rien » au « tout ». La Rome de Romulus était occupée avant 753.
On a des preuves de la métamorphose de l’hypercentre de Rome. Les découvertes faites depuis 30 ans montrent en effet l’accélération anthropique de l’évolution de Rome, en une génération à peine.
Il semblerait que la proto-histoire de Rome a commencé avant le VIIIe s. On peut même remonter au XVIIe s. avec les fortifications qui servaient à surveiller l’embouchure du Tibre. En revanche, au VIIIe s. , la population s’est densifiée et au milieu du VIIIe s., une muraille a été construite, signe d’une société complexe et donc d’un pouvoir qui décide de faire construire cette fortification (S’agit-il de Romulus ?)
C’est cette décision qui amène à retenir cette date comme celle de la fondation de Rome à ce moment-là.

Il faut donc croire à la fois les textes et à la fois les découvertes archéologique. La mémoire romaine a d’ailleurs retenu cette étape décisive. La tradition de la fondation de Rome est « la fondation du mythe de la fondation de Rome ».
Question : A-t-on trouvé des traces troyennes sur le site ? Un tesson inscrit avec un dessin en forme de lettre égéenne a été découvert mais cela ne prouve pas le lien entre Troie et Rome.


Logo : louve du Capitole – Pixabay, utilisateur djedj (photographie retouchée).

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