LCA - Dialogue de pierre et de papier : textes antiques épigraphiques et littéraires

, par BERNOLLE Marie-Anne, Chargée de mission pour l’Inspection de Lettres

Journée d’étude LCA - 4 juin 2019 Université Paris-Ouest-Nanterre
Marie-Joséphine WERLINGS (Université Paris-Nanterre)

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Pourquoi l’épigraphie ?
Les textes alphabétiques du début VIIIè s. font directement suite à la documentation en linéaire B. Il s’agit d’une période où les sources écrites sont rares ; les sources épigraphiques sont donc importantes, d’autant que c’est le moment de la mise en place des structures politiques et sociales dans les cités grecques

Enjeux et méthodes pour travailler sur ces sources

A. Enjeux de connaissance, mais surtout de méthode historique

Ces textes mènent aux origines d’une écriture, mais pourquoi passer d’une écriture syllabique à une écriture alphabétique ?

  • économie de moyens (28 signes seulement pour tout dire) ;
  • souplesse graphique des lettres par rapport à l’écriture syllabique ;
  • grande variété de support : les textes en linéaire B connus apparaissent seulement sur tablettes d’argile (que l’on a retrouvées car elles ont cuit lors d’incendies de palais). Alors que les textes écrits en écriture alphabétique apparaissent sur différents supports
    Ex. : aryballe corinthienne (début VIè s) montre une écriture qui contourne les personnages

Quand et où a été inventé le premier alphabet ?
On ne sait pas mais vient de l’alphabet phénicien. Ensuite, la forme des lettres a évolué selon la région (= épichorique)
Hérodote rappelle que les Grecs ont emprunté l’écriture aux Phéniciens (V, 58)
Phoinikia : « de Phénicie », mais aussi « couleur pourpre ». Ce terme indique que les lettres étaient gravées en rouge.
D’ailleurs « être scribe » c’est « écrire en vermillon » (poinikazen), comme le montre un contrat du VIè s entre le scribe Spenthisios et cité crétoise :

L’épigraphie archaïque est composée de différents alphabets.

B. La « matérialité » de ces textes est essentielle

Les objets physiques variés permettent l’appréhension du travail du graveur.
D’après Louis Robert (père de l’étude épigraphique) dans « Epigraphie », L’histoire et ses méthodes, éd. Pléïade, il faut observer le soin accordé au traçage des lettres, aux espaces… car tout cela nous donne des informations sur celui qui a gravé le texte.
Les textes officiels sont gravés sur des supports monumentaux (stèles, axones [1]). Dès lors, leur lecture nécessite un effort, un corps à corps avec le texte car il faut s’approcher et tourner le texte avec des manettes, ce qui requiert beaucoup d’efforts.
Ex. : Textes de Solon et Dracon gravés sur ces axones.

Ex. : Dédicace de Cnide sur un socle de statue : les écritures apparaissent partout et en tous sens, ce qui rend la lecture très difficile.
De même pour les inscriptions sur le col d’un oenochoé, qui en font le tour.

Ces choix de support sont très étonnants et posent question. Le contrat avec le scribe Spensithios déjà cité a été gravé sur une arme… Pourquoi ?...

La loi constitutionnelle de Chios gravée sur plusieurs panneaux semble facile à lire, mais il est pourtant impossible de savoir dans quel sens les lire !

Autre exemple : l’épitaphe de Ménécratès à Corcyre. L’inscription, qui évoque l’histoire du mort, est gravée sur une seule ligne, mais de 10 mètres ! Il est donc nécessaire de marcher pour en faire le tour et la lire dans son intégralité.

C. Thèmes abordés

  • graffiti
  • dédicaces et marques de propriété
  • textes funéraires
  • textes publics

II. Collaboration entre textes épigraphiques et littéraires

A. Une méthode rigoureuse

La restitution nécessite rigueur et précision, l’interprétation aussi.

B. Un cas unique : l’épitaphe des Corinthiens à Salamine

Il s’agit d’un alphabet archaïsant, épichorique.

« Autrefois nous habitions à Corinthe ». Or on est à Salamine, puisqu’il s’agit d’une stèle funéraire en l’honneur des morts à Salamine. Normalement les dépouilles étaient ramenées dans leur cité, mais quelquefois, après de grandes batailles, les morts étaient enterrés sur place.

D’après Hérodote, VIII, 94, les Corinthiens ont été lâches (d’après les Athéniens donc), mais pour les Corinthiens et les autres Grecs, c’est le contraire et ces derniers louent la bravoure des Corinthiens.

D’après Plutarque, dans De la malignité d’Hérodote, 39, les Athéniens auraient permis aux Corinthiens d’enterrer leurs morts à Salamine pour honorer leur courage dans un poème en distiques élégiaques. Ce serait justement l’inscription retrouvée en partie sur l’épitaphe.

Les limites de l’épigraphie sont malheureusement nombreuses : les matériaux proposent des données incomplètes et partielles ; les outils pédagogiques sont peu nombreux, mais cela élargit le champ d’expérimentation de l’enquête historique grâce à un dialogue rigoureux entre la pierre et le papier.

Notes

[1Poutres en bois gravées sur les 4 faces

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