Le Misanthrope de Molière expliqué par les graphes Éléments d’analyse de la pièce

, par Cécile LE CHEVALIER

Introduction

Représentée pour la première fois le 16 juin 1666 sur la scène du Palais-Royal, Le Misanthrope constitue l’une des pièces les plus abouties de Molière, et c’est certainement aussi l’une de celles qui fait intervenir les personnages aux caractères les plus complexes. Si elle demeure encore de nos jours, selon la formule de Donneau de Visé, une comédie qui fait « continuellement rire dans l’âme », le personnage d’Alceste, misanthrope de salon, atrabilaire tombé sous le charme d’une coquette, n’en finit pas de susciter le rire, et le questionnement.

Pour passionnante qu’elle soit, cette comédie classique, écrite en vers, demeure d’un abord difficile pour bien des élèves, notamment en classe de seconde. Dans quelle mesure le recours aux graphes peut-il permettre d’éclairer cette pièce et d’entrer dans son interprétation ?

Question de métier

Dans l’étude d’une pièce « résistante » comme celle-ci, l’une des difficultés, pour les élèves et par voie de conséquence pour l’enseignant, reste non seulement d’entrer dans le sens du texte, mais encore, une fois ce sens littéral élaboré, de prendre de la distance vis-à-vis de l’œuvre, et vis-à-vis du texte, afin de sortir d’une lecture trop proche de la paraphrase pour entrer dans une analyse qui puisse mener à une interprétation littéraire.

De ce point de vue, l’analyse par les graphes constitue un bon moyen d’amener les élèves, et à prendre de la distance, et à prendre en considération les enjeux plus profonds de la pièce.

Pour plus d’explications sur le fonctionnement des graphes et un exemple d’analyse détaillée, le lecteur peut se référer à l’article suivant : « Bajazet interprété par les graphes ». À la fin de cet article, il trouvera également un didacticiel expliquant comment calculer les centralités de degré et d’intermédiarité à l’aide du logiciel Gephi.

En 2de, l’enseignement de Sciences Numériques et Technologie faisant intervenir l’analyse par les graphes dans le thème « réseaux sociaux », il est possible de travailler en interdisciplinarité et de s’appuyer sur ce qui est traité en SNT pour faire construire les graphes aux élèves. Dans cette pièce, pour les actes I, III et IV, les graphes sont extrêmement simples à construire, et les calculs, aisés à effectuer, même à la main ; pour les actes II et V, en revanche, les graphes sont plus complexes, et les calculs, en particulier ceux des centralités d’intermédiarité, seront plus sûrement effectués par le logiciel Gephi.

Cet article ne vise pas une présentation détaillée du fonctionnement des graphes, mais se contente de proposer un exemple de ceux que l’on peut construire à partir de la pièce, avec les centralités de degré et d’intermédiarité associées à chaque personnage, et de suggérer des pistes d’analyse.

Confronter l’analyse par les graphes à ce que nous apprennent le tableau de présence des personnages et le schéma actantiel de la pièce permet de mieux en faire ressortir les apports.

Le tableau de présence des personnages

« Le Misanthrope » - Tableau de présence des personnages

Deux aspects de la pièce ont, dès sa création, attiré l’attention des critiques concernant la répartition des apparitions sur scène :

  • Alceste, le « Misanthrope », apparaît immédiatement, dès la première scène de l’acte I ; omniprésent dans les actes I, II et V, il ne s’éclipse ponctuellement que dans le courant de l’acte III, pour aller régler son « affaire » avec Oronte, et dans la première scène de l’acte IV. Cette omniprésence du personnage éponyme n’est pas si fréquente : dans L’Avare, il faut attendre la scène 3 de l’acte I pour voir Harpagon sur scène ; dans Tartuffe, le dévot n’apparaît qu’à partir de l’acte III. On a souvent souligné la forte charge que ce choix impliquait pour l’acteur dans Le Misanthrope, moins souvent analysé la dynamique que cela créait au niveau des relations entre les personnages.
  • Si le couple Alceste / Célimène domine largement la pièce (23 scènes en tout pour le premier, 20 pour la seconde), un second couple, celui formé par Philinte (15 scènes) et Éliante (11 scènes), lui fait pendant. Là où les caractères d’Alceste et de Célimène apparaissent très, voire trop prononcés, amenant la séparation des deux personnages, ceux de Philinte et d’Éliante, plus mesurés, fonctionnent de façon plus harmonieuse et évoluent vers une union à la fin. Là où Alceste et Célimène donnent à voir les risques de la démesure, de l’excès, Philinte et Éliante incarnent l’idéal classique de l’équilibre et de la mesure. Vis-à-vis du spectateur, ils peuvent constituer un contrepoint plus positif, un exemple à suivre ; dans l’économie de la pièce, ils permettent à celle-ci de demeurer dans le registre de la comédie, là où Alceste et Célimène tendraient à la faire basculer vers la tragédie.

Parmi les autres personnages, les deux marquis, Acaste et Clitandre, marquent par leur présence les actes présentant un fonctionnement « de salon », dans lequel les relations sont censées s’organiser autour de la maîtresse de maison, Célimène, et de ses traits d’esprit. Il s’agit naturellement des actes II et V, mais aussi, dans une moindre mesure, de l’acte III. En tant que prétendant de Célimène, Oronte finit par rejoindre ces deux marquis, même si au début sa principale fonction est plutôt de faire ressortir la problématique propre au caractère du « Misanthrope ».

Le schéma actantiel

« Le Misanthrope » - Schéma actantiel

Envisagé en prenant Alceste comme sujet de la quête, le schéma actantiel fait ressortir un déséquilibre lié à l’objet de cette quête. D’un côté il aime passionnément Célimène, comme il l’explique à Philinte dans la première scène de l’acte I :

Non. L’amour que je sens pour cette jeune veuve
Ne ferme point mes yeux aux défauts qu’on lui treuve ;
Et je suis, quelque ardeur qu’elle m’ait pu donner,
Le premier à les voir, comme à les condamner.
Mais avec tout cela, quoi que je puisse faire,
Je confesse mon faible : elle a l’art de me plaire.
J’ai beau voir ses défauts, et j’ai beau l’en blâmer,
En dépit qu’on en ait, elle se fait aimer […].

de l’autre, il ne peut accepter son caractère de « coquette ». Dès la première scène de l’acte I, il exprime son espoir de l’en faire changer : 

Sa grâce est la plus forte ; et sans doute ma flamme
De ces vices du temps pourra purger son âme.

Ce paradoxe lié au caractère d’Alceste, on va le voir, est celui qui nous permettra d’entrer plus en profondeur dans la nature de ce personnage, lors de l’analyse par les graphes.

L’analyse par les graphes

Pour réaliser ces graphes, nous avons, à l’intérieur de chaque acte, identifié quel personnage échangeait des paroles avec quel personnage. Pour conserver une certaine clarté, nous n’avons pas nuancé les graphes en fonction du nombre de fois où deux personnages parlaient ensemble dans l’acte, mais cela peut s’envisager.

Deux actes, le second et le cinquième, réunissent pratiquement tous les personnages dans un fonctionnement « de salon », théoriquement organisé autour du personnage de Célimène. Pour les faire ressortir, nous avons, dans les graphes de ces actes, utilisé des couleurs plus claires pour symboliser les personnages. Dans ces actes, les disques orange indiquent les personnages absents de la scène.

Code couleurs des actes « de salon »

Dans les actes I, III et IV, plus intimistes, les personnages présents sont symbolisés par des disques rouges, tandis que les absents sont représentés en gris.

Code couleurs des actes resserrés autour de quelques personnages

À certains moments, notamment dans l’acte V, il arrive qu’un personnage s’adresse à un autre sans que celui-ci lui réponde en paroles (par exemple, pour lui donner un ordre, ou l’avertir de quelque chose). Nous avons donc utilisé un graphe orienté, chaque flèche indiquant qui s’adresse, unilatéralement, à qui. Au niveau du calcul de la centralité de degré, une flèche simple compte pour 1, alors qu’une double flèche compte pour 2.

Pour chaque personnage présent dans chaque acte, nous avons calculé :

  • la centralité de degré (CD), qui correspond au nombre de relations qu’un personnage entretient avec les autres, donc en quelque sorte à son « poids social » ;
  • et la centralité d’intermédiarité (CI), qui correspond à une valeur « politique » d’intermédiaire entre d’autres personnages ou entre des groupes : le personnage qui possède une forte centralité d’intermédiarité est ainsi souvent le seul à établir une communication entre deux groupes ou deux individus séparés.

Acte I

« Le Misanthrope » - Graphe de l’acte I

Le but de l’acte I est, pour Molière, de brosser le portrait du « Misanthrope » en le présentant dans ses relations avec deux personnages :

  • Philinte, que l’on peut considérer, malgré un début de discussion difficile, comme son véritable ami, et avec qui il échange à bâtons rompus, sans rien déguiser de son caractère, de ses défauts, et de ses paradoxes : c’est par exemple dans la discussion avec Philinte qu’Alceste expose son amour pour Célimène, et son espoir de lui faire abandonner son caractère de coquette.
  • Oronte, qui annonce vouloir devenir l’ami d’Alceste, mais qui semble surtout en attendre, sinon des flatteries, du moins un confort (ou un réconfort ?) dans la relation qu’Alceste est bien en peine de lui apporter. Cette amitié souhaitée se retourne vite en inimitié totale, dès qu’Alceste exprime son avis à propos des vers d’Oronte.

Dans tous les cas, et bien qu’Oronte revendique pour lui la faveur du roi, les trois personnages, dans le graphe, apparaissent sur un plan d’égalité. Chacun a une centralité de degré de 2, car chacun échange avec les deux autres ; tous ont une centralité d’intermédiarité de zéro, car aucun ne fait l’intermédiaire entre les deux autres. Philinte essaie bien, par son exemple, d’amener Alceste à répondre aux attentes d’Oronte : en vain. Le caractère de chacun reprend rapidement le dessus, ce qui aboutit à la dispute entre Oronte et Alceste.

En termes de relations sociales apparentes, aucun de ces personnages n’a plus d’importance que les autres. La différence entre eux se ferait plus clairement par l’analyse de leurs temps de parole, et aboutirait alors, naturellement, à une prévalence d’Alceste.

Acte II

« Le Misanthrope » - Graphe de l’acte II

Dans l’acte II, la dynamique des relations évolue, puisque l’on passe d’un échange relativement intimiste, à trois personnes, à un échange de salon, avec sept personnages sur scène (huit si l’on compte le garde qui vient chercher Alceste à la fin de l’acte). L’acte, comme tout le reste de la pièce, se déroule chez Célimène, qui, en tant que coquette aussi bien qu’en tant que maîtresse de maison, devrait se trouver au centre de la conversation et des relations.

C’est bien ce qui se met en place dans la cinquième scène de l’acte. Une fois les marquis et Éliante installés sur scène, la coquette Célimène, entourée de sa « cour », se lance dans une galerie de « portraits » de courtisans, tracés au vitriol, dans lesquels elle accumule les traits d’esprit en allant crescendo, jusqu’à un certain « Damis », pourtant apprécié de Philinte, et qu’elle considère elle-même comme « de [ses] amis » :

Oui ; mais il veut avoir trop d’esprit, dont j’enrage.
Il est guindé sans cesse ; et, dans tous ses propos,
On voit qu’il se travaille à dire de bons mots.
Depuis que dans la tête il s’est mis d’être habile,
Rien ne touche son goût, tant il est difficile.
Il veut voir des défauts à tout ce qu’on écrit,
Et pense que louer n’est pas d’un bel esprit,
Que c’est être savant que trouver à redire,
Qu’il n’appartient qu’aux sots d’admirer et de rire,
Et qu’en n’approuvant rien des ouvrages du temps,
Il se met au-dessus de tous les autres gens.
Aux conversations même il trouve à reprendre ;
Ce sont propos trop bas pour y daigner descendre ;
Et, les deux bras croisés, du haut de son esprit,
Il regarde en pitié tout ce que chacun dit.

Dans ce dernier portrait, Célimène atteint en quelque sorte les limites du trait d’esprit :

  • en s’attaquant à un « honnête homme », que Philinte qualifie même de « sage » ;
  • en lui adressant des reproches qu’il serait finalement assez simple de retourner contre elle : ne veut-elle pas, elle même, avoir « trop d’esprit » et se mettre « au-dessus de tous les autres gens » par ses traits incessants ?
  • et, dans l’économie de la pièce, en frôlant peut-être d’un peu trop près la problématique d’Alceste : lui non plus, n’est-il pas le premier à « voir des défauts à tout ce que l’on écrit », et, en « n’approuvant rien », à se mettre « au-dessus de tous les autres gens » ?

Dans la fin de l’acte, c’est d’ailleurs, à notre grande surprise et pour notre plus grand intérêt, Alceste qui dame le pion à la coquette Célimène, en déplaçant le centre de la conversation sur lui. Il s’en prend à tous ceux qui sont présents ; son trait d’esprit, à lui, ne réside pas dans la moquerie, mais dans une dénonciation au cours de laquelle il n’épargne personne, surtout pas celle qu’il aime. Comme son franc-parler vis-à-vis d’Oronte lui vaut un procès, il bénéficie même, grâce au garde qui vient le chercher, d’une centralité de degré supérieure à celle de Célimène (21 contre 14). Toujours grâce au garde, sa centralité d’intermédiarité l’emporte elle aussi largement, mais c’est surtout sa centralité de degré qui nous intéresse ici : quel est ce « misanthrope », qui logiquement devrait fuir la compagnie des hommes, éviter de participer aux conversations qu’il condamne, mais qui, dans les faits, prend le pas sur la coquette au cœur de ces conversations ?  

On le voit, le graphe de l’acte II questionne la nature même d’Alceste, et partant, pose la question de la sincérité, et de l’honnêteté, de ce personnage — comme de tous les détracteurs du genre humain.

Parmi les personnages « secondaires », seuls Philinte et Éliante maintiennent une relation sans intermédiaire. Les deux marquis, qui pourtant apparaissent toujours ensemble dans la pièce, ne sont dans cet acte en relation que par Alceste et Célimène.

Acte III

« Le Misanthrope » - Graphe de l’acte III

Dans l’acte III, Alceste, parti régler son problème avec Oronte, n’est présent que dans les deux dernières scènes. Les relations entre les personnages reprennent leur équilibre « normal », en se centrant de nouveau sur le personnage de Célimène. L’atrabilaire Alceste se trouve même contrebalancé par son pendant féminin, avec l’intervention de la « prude » Arsinoé : elle aussi semble attachée à dénoncer les travers de la coquette, elle aussi paraît animée de la volonté de la faire évoluer. Agit-elle pour autant de façon aussi apparemment désintéressée qu’Alceste ? ou plutôt, comme on le verra plus loin, par amour pour ce dernier ? Dans la fin de l’acte, elle paraît principalement défendre ses propres intérêts : c’est une figure de l’hypocrisie.

Acte IV

« Le Misanthrope » - Graphe de l’acte IV

L’équilibre « normal » ne dure pas, et l’acte IV, quoique plus « intime » et « personnel », est de nouveau organisé autour du personnage d’Alceste, de ses soupçons à l’égard de Célimène, de ses déchirements. Il souffre, mais il monopolise également les relations. Notons, de ce point de vue, que Célimène n’est dans cet acte reliée aux trois autres membres du groupe que par lui — et encore sont-ils de nouveau en train de se quereller.

Philinte et Éliante, en revanche, maintiennent une relation qui se passe d’intermédiaire, et qui devient de plus en plus complice, avec l’échange au sujet d’Alceste au début de l’acte.

Acte V

« Le Misanthrope » - Graphe de l’acte V

Dans l’acte V, on retrouve la dynamique des échanges de salon ; mais cette fois-ci, elle se retourne contre Célimène, avec la lecture, dans la scène 4, des billets qu’elle a envoyés aux deux marquis. Elle a médit de tous : tous se retournent contre elle. Philinte, avec qui elle dialoguait brièvement dans l’acte II, se retire ici de la conversation, et n’échange plus avec elle ; Éliante, dans la scène 3, a quant à elle refusé de venir à son aide face au choix que lui imposent Oronte et Alceste. Une fois sa duplicité révélée, tous les autres personnages (les deux marquis, Oronte, Arsinoé, et Alceste) ne peuvent que lui adresser de violents reproches.

Clitandre et Acaste, s’ils s’adressent encore aux autres personnages, ne dialoguent plus avec eux : ils lisent les billets de Célimène, les explicitent, et l’accusent. Dans le graphe, cela se traduit par des flèches à sens unique. De même, Arsinoé adresse des reproches à Célimène, mais celle-ci ne lui répond pas : là aussi, on a une flèche simple. C’est Alceste qui réagit à ses paroles, et lui fait quitter la scène.

On pourrait, à la lecture de l’acte, imaginer que c’est Célimène qui va, même de cette façon négative, se retrouver au centre des interactions. Le graphe nous montre qu’il n’en est rien. De façon spectaculaire, les flèches à sens unique lui font perdre à la fois en centralité de degré (9, alors qu’avec des flèches à double sens elle aurait été à 12) et en centralité d’intermédiarité (avec les flèches à sens unique, elle se retrouve à 3) : un bon intermédiaire est quelqu’un qui assure la communication dans les deux sens, elle n’est plus dans ce cas ; de plus, elle a perdu la relation qu’elle avait dans l’acte II avec Philinte.

C’est clairement Alceste qui prend le pas, avec une centralité de degré de 12 et une centralité d’intermédiarité de 15. La duplicité de Célimène ayant été révélée, elle ne vaut socialement plus grand-chose ; en revanche, Alceste, malgré ses continuelles déclarations de haine envers le genre humain et l’isolement qu’il revendique, se trouve finalement au véritable centre des relations. Vers lui, ces dernières restent toujours à double sens, alors que vers Célimène, elles ne sont plus qu’à sens unique.

Conclusion

Quelles conclusions tirer de cette analyse par les graphes ? Y a-t-il réellement, sinon de la coquetterie, du moins un désir de se faire valoir dans la misanthropie d’Alceste ?

Au regard du graphe de l’acte II, on aurait envie de répondre que oui : Alceste attire le regard, les paroles, les relations vers lui, au détriment de Célimène. L’analyse de l’évolution de ces relations dans la suite de la pièce nous invite cependant à moduler cette première impression : certes, la misanthropie affichée d’Alceste peut, comme le suggère Célimène, constituer une façon de se singulariser dans le monde ; cependant, par le franc-parler qu’elle implique, elle « protège » aussi, en quelque sorte, Alceste, avec qui les autres personnages maintiennent une relation sociale, alors qu’ils finissent par rejeter la coquette.

Sans aller jusqu’à réduire Alceste à ce qui serait un désir plus ou moins conscient de se mettre en avant, on peut donc s’appuyer sur l’analyse par les graphes pour mettre en valeur un antagonisme plus fondamental de la pièce, entre le mot d’esprit, parole perfide qui séduit et qui blesse, jusqu’à détruire socialement son auteur comme ses victimes, et une parole plus « honnête » qui, pour blessante qu’elle puisse être, ne fait pas perdre toute considération sociale à celui qui la profère.

Dans le jeu de la parole mondaine, peut-il véritablement y avoir un gagnant ? Si tel était le cas, ne serait-ce pas Philinte et Éliante qui représenteraient ce point d’équilibre ? Mais ne l’ont-il pas atteint, précisément, en prenant du recul vis-à-vis des excès d’Alceste comme de ceux de Célimène, et, à travers eux, vis-à-vis de cette parole, de la parole ? Il est intéressant, à ce titre, de noter le retrait dans lequel ils se placent progressivement par rapport au jeu du salon. Philinte et Éliante marquent peut-être, dans cette pièce, l’une des limites à cette analyse : personnages raisonnables, mais personnages en retrait, leur force est précisément de ne pas ressortir plus que les autres à travers les graphes. Seule subsiste, trace discrète mais persistante, cette double flèche, matérialisation de l’amour réciproque qui les unit à travers les trois actes où tous deux apparaissent.


Annexe : documents à remplir pour les élèves.

Le Misanthrope expliqué par les graphes - Fichier élève

Logo de l’article : l’illustration utilisée est un Portrait de Molière. Source : RMN-Grand Palais.

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