Mettre en œuvre un EPI Lettres, Education musicale, Arts plastiques Quels bénéfices pédagogiques pour les élèves ?

, par Gaëlle Chauvineau

Un EPI - français, arts plastiques, musique - réalisé en 4ème avec une classe à option CHAM/ CHAD (Classe à horaires aménagés « musique » ou « danse »). Le dispositif a été conçu dans la perspective du « parcours d’éducation artistique et culturelle » et a consisté à mettre en place un projet interdisciplinaire autour des arts, notamment de la chanson.

Comment mettre en œuvre un travail en interdisciplinarité ? Quels enjeux pour les élèves ? Quelle est la plus-value du numérique dans la mise en œuvre d’un tel projet ?

INTRODUCTION

Le présent EPI s’inscrit en classe de 4ème et engage trois disciplines - français, arts plastiques, musique.
Impliquant une classe de 4ème à option CHAM/ CHAD (Classe à horaires aménagés « musique » ou « danse »), le dispositif a été conçu dans la perspective du « parcours d’éducation artistique et culturelle ».

« Le parcours d’éducation artistique et culturelle vise à favoriser un égal accès de tous les jeunes à l’art et à la culture. Il se fonde sur trois champs d’action indissociables qui constituent ses trois piliers : des rencontres avec des artistes et des œuvres, des pratiques individuelles et collectives dans différents domaines artistiques, et des connaissances qui permettent l’acquisition de repères culturels ainsi que le développement de la faculté de juger et de l’esprit critique.  » (B.O n°28 du 9 juillet 2015)

Dans ce cadre, l’enjeu pour cet EPI a été de mettre en place un projet interdisciplinaire autour des arts et notamment de la chanson.

Le projet co-disciplinaire a consisté à :
 écrire collectivement une chanson,
 la mettre en musique,
 élaborer la pochette.

Cet EPI constitue la pierre angulaire d’un projet de classe pour la classe CHAM/CHAD du collège et trouve de ce fait son prolongement en classe de 3ème à deux niveaux.
Les élèves sont d’une part invités à présenter le projet lors de l’oral du Diplôme National du Brevet.

L’épreuve orale de soutenance d’un projet permet au candidat de présenter l’un des objets d’étude qu’il a abordés dans le cadre de l’enseignement d’histoire des arts, ou l’un des projets qu’il a menés au cours des enseignements pratiques interdisciplinaires du cycle 4 ou dans le cadre de l’un des parcours éducatifs (parcours Avenir, parcours citoyen, parcours éducatif de santé, parcours d’éducation artistique et culturelle) qu’il a suivis.

D’autre part, l’objectif est de mettre en place un projet de classe qui viendra conclure les quatre années de CHAM/CHAD des élèves ; ils quitteront ainsi le collège avec une œuvre réalisée au cours de leur scolarité dans le cadre de ce dispositif spécifique.

Comment mettre en œuvre un travail en interdisciplinarité ? Quels enjeux pour les élèves ? Quelle est la plus-value du numérique dans la mise en œuvre d’un tel projet ?

Compétences travaillées

  • Lecture : comprendre et interpréter un texte littéraire.
  • Écriture : utiliser l’écrit pour réfléchir ; respecter les principales normes de la langue écrite ; produire un écrit d’invention.
  • Pratique de l’oral : parler en prenant en compte son auditoire ; participer à des échanges dans des situations diversifiées ; adopter une attitude critique par rapport au langage produit.
  • Maîtrise de la langue : maîtriser la syntaxe, de l’orthographe grammaticale et lexicale ; utiliser un vocabulaire adapté.
  • Formation de la personne et du citoyen : s’engager dans un travail de groupe de façon respectueuse, constructive, organisée et efficace ; exercer son esprit critique.

Le projet en contexte

Inscription du projet dans la progression annuelle

En français
Ce projet s’inscrit dans le cadre d’un chapitre sur la ville proposé à la classe en questionnement complémentaire autour de la problématique La ville, lieu de tous les possibles ? conformément au programme de 4ème.
En amont, les élèves ont travaillé sur un corpus de textes consacrés à New York : Camus, S. de Beauvoir, Senghor, Sartre notamment.

En arts plastiques
Ils ont par ailleurs visionné des extraits de Métropolis en cours d’Arts plastiques et travaillé sur des photogrammes.

En musique
Enfin, les élèves ont écouté des chansons consacrées à New York [1]
ainsi qu’à la ville de manière plus générale et notamment « Monopolis », extrait de la comédie musicale Starmania [2].

Inscription du projet dans le parcours des élèves

Ce projet s’étend sur deux années consécutives et s’inscrit dans le cadre plus large du parcours d’éducation artistique et culturelle que les élèves suivront jusqu’au brevet.

Le choix des élèves

Ont retenu l’attention des élèves :

  • la chanson : « Les néons de la nuit remplacent le soleil ». [3].
  • le texte : « La pluie de New York est une pluie d’exil. Abondante, visqueuse et compacte, elle coule inlassablement entre les hauts cubes de ciment, sur les avenues soudain assombries comme des fonds de puits ». [4]

Ces deux œuvres ont orienté la chanson vers une thématique plutôt sombre, celle de la ville déshumanisée qui engloutit les hommes.

Modalités de réalisation et démarche de travail

Le premier jet

Les élèves sont invités à écrire le texte de la chanson par étapes successives.

  • Étape 1
    Par groupes de trois ou quatre, ils notent des phrases, des idées de strophes ou simplement des mots. Ce travail, collecté sur l’ENT, est mis en commun dans un premier document de traitement de texte.
  • Étape 2
    Le document est distribué aux élèves.
    Un débat est conduit en classe pour amender cette première version du travail : ce qu’on retient, ce qu’on laisse de côté, ce qu’on modifie, ce qui pourrait constituer le refrain…
    Après plusieurs séances, on obtient une première ébauche de texte.
  • Étape 3
    Le document est alors transféré sur un espace de travail collaboratif. Lors de séances en salle informatique, les élèves sont invités à travailler sur ce document.

Le travail de réécriture

Le projet s’étend sur une durée d’environ trois mois, à raison d’une séance toutes les deux semaines environ. Ce délai permet à la classe de prendre progressivement du recul sur le texte.
Dans l’intervalle entre les différentes séances, certains élèves continuent de se connecter à l’espace de travail en toute autonomie et à noter les idées qui leur viennent.

Des séances d’écriture sont organisées en salle informatique ; elle s’effectuent par demi-groupe pour réduire le nombre d’interventions simultanées sur le document de travail.
Chaque groupe consacrera deux séances à ce travail.

Lors de séances en classe entière, chacun peut prendre la parole pour expliquer ses choix, convaincre ses camarades de choisir sa proposition plutôt qu’une autre.
L’objectif, au-delà de la chanson elle-même, est d’inviter les élèves à avoir un retour réflexif, un regard critique sur leur travail, et à être capable de formuler une opinion et défendre une idée oralement face à la classe.
Ce sont parfois de mini débats qui se mettent en place.

Un temps de relecture finale

Un dernier travail de relecture s’effectue une fois que le texte est globalement achevé :

  • d’une part à l’écrit : chaque élève reçoit une copie de la chanson, puis est invité à annoter le texte et à donner son avis.
  • d’autre part à l’oral : on procède enfin à un travail de relecture en classe entière ou chacun peut à nouveau donner son avis. Quand il y a désaccord, on vote et le professeur arbitre en dernier ressort.
    Le texte définitif est finalement transmis au professeur d’éducation musicale.

Quel prolongement ?

Sur la chanson élaborée dans le cadre de l’EPI en classe de 4ème, les élèves option danse ont travaillé en 3ème à élaborer une chorégraphie, apprise ensuite à l’ensemble de la classe.
Les élèves ont alors organisé le tournage d’un clip.

Plusieurs élèves de la classe ont choisi de présenter ce projet lors de leur oral de brevet ce qui aura donné à nouveau lieu et a posteriori à un travail réflexif sur le projet qu’ils ont mené au cours de ces deux années.

Interdisciplinarité : comment mettre en œuvre un EPI ?

Les principes

"Chaque EPI mêle plusieurs disciplines autour d’un thème de manière à permettre aux élèves de « comprendre le sens de leurs apprentissages en les croisant ». « Ces enseignements ne sont pas interdisciplinaires au sens où ils mobiliseraient nécessairement des notions et concepts communs à des disciplines différentes.
Ils permettent en revanche de s’appuyer sur des connaissances issues des différentes disciplines, mais appliquées à des objets communs au sein d’un projet porté par des équipes. »
Les EPI favorisent une démarche de projet conduisant à une réalisation concrète, individuelle ou collective (site internet, magazine, maquette, etc.), qui fera l’objet d’une évaluation. L’objectif est de placer l’élève dans une démarche active qui l’amène à utiliser et concrétiser savoirs et compétences."
(http://www.reformeducollege.fr/cours-et-options/epi)

Au sein du présent EPI

  • En français les élèves ont élaboré collectivement le texte d’une chanson qui faisait office de point d’aboutissement du chapitre et permettait de réinvestir un thème et des notions abordés au cours de la séquence de travail.
  • En éducation musicale les élèves ont participé à la mise en musique du texte. Le professeur de musique a tout d’abord mis en place une réflexion avec les élèves autour du choix de la tonalité, des instruments et du rythme afin de coller au mieux au texte écrit par la classe. Il a ensuite composé la musique de la chanson et a enfin sollicité les instrumentistes pour enregistrer la bande son en studio.
  • En danse les élèves inscrites en option CHAD (danse) ont présenté le texte à leur professeur de danse qui les a ensuite aidées à réaliser la chorégraphie ; elles l’ont dans un deuxième temps présentée et apprise à l’ensemble du groupe classe.
  • En arts plastiques les élèves ont réalisé des maquettes qui se devaient de représenter au mieux l’esprit du texte : une ville sombre et inhumaine.

Ils ont également réalisé la pochette du disque :

Plus-value du numérique

Une écriture collaborative

Le pad collaboratif permet d’exécuter de nouvelles tâches qui seraient impossibles sans le numérique. Il devient possible de produire à plusieurs un document collaboratif. Ici, ce n’est pas seulement un groupe de quelques élèves mais un projet de classe, l’enjeu est donc de taille. L’objectif est de travailler sur le texte, sur ses réécritures tout en respectant le travail de ses camarades. L’entraide et la collaboration se mettent en place assez naturellement : corriger les erreurs grammaticales, certes ; mais aussi compléter une phrase, la reformuler, trouver le mot juste, ...

Un espace de débat

L’espace de discussion instantanée, le chat, disponible sur Etherpad permet également d’ouvrir un espace de débat : on discute autour du choix d’un mot, on argumente pour justifier une option plutôt qu’une autre ; on explique pourquoi la phrase est incorrecte ou pourquoi elle est inadaptée ; on propose de la remplacer et on tente de convaincre ses camarades.

Pour éviter toute dérive, il est indispensable de fixer un cadre précis et de formuler des consignes claires  :

  • il est interdit d’effacer le travail d’un camarade. Les élèves sont invités à barrer et à expliquer pourquoi.
  • Dans l’espace de discussion, il leur est demandé de ne pas porter de jugement dévalorisant à l’égard d’un camarade et la conversation doit être limitée au débat sur le texte.
  • Il importe également de respecter des règles de civisme : on n’efface pas le travail du groupe, on ne profère pas d’insultes ou de propos inadaptés.
  • Les élèves avaient également pour consigne de formuler leur réponse sous forme de phrases complètes et les abréviations ainsi que les smileys n’étaient pas autorisés.

Ce support permet des échanges multiples, entre pairs mais aussi du professeur vers les élèves et inversement. Le professeur, depuis son poste, adopte au début une posture de spectateur, volontairement en retrait, pour laisser libre cours à la créativité des élèves. L’espace de discussion montre parfois qu’ils ont tendance à oublier la présence du professeur et l’imagination semble moins bridée que lorsqu’ils écrivent sur une feuille destinée à être ramassée. Le professeur intervient si nécessaire pour arbitrer en cas de désaccord.

Bilan

Travailler des compétences orales.

Les élèves ont dû développer des stratégies argumentatives. Les élèves se sont particulièrement impliqués dans ces discussions du fait qu’il s’agissait de leur propre texte et certains ont réussi à mener une argumentation construite alors qu’ils peinent parfois à le faire quand il s’agit d’autres écrits.

A titre d’exemple, un véritable débat s’est mis en place au sujet de la dernière strophe qui semblait trop sinistre à plusieurs élèves ; ils auraient voulu finir sur une note moins sombre que « l’air que nous respirons a l’odeur de l’enfer » ou « c’est le Styx qui coule ». Mais plusieurs élèves ont avancé des arguments tels que le manque de cohérence entre le début et la fin ; d’autres se sont appuyés sur les textes littéraires étudiés dans la séquence pour démontrer que les auteurs eux-mêmes avaient des textes très sombres. Et ces arguments ont fini par convaincre l’ensemble du groupe. L’élève ayant écrit le refrain s’est efforcé d’expliquer à la classe pourquoi il lui semblait pertinent que ce passage constitue le refrain et non une simple strophe.

Travailler des compétences écrites.

Le travail de groupe a permis de mobiliser les élèves et d’améliorer la qualité des travaux écrits. La discussion favorise l’enrichissement de l’expression, du vocabulaire de chacun même si l’investissement dans ce type de projet impliquant 28 élèves reste inégal et parfois difficile à mesurer.

« Les recherches conduites en classe montrent que les échanges entre élèves contribuent à l’amélioration des productions d’écrits. Le travail collaboratif est particulièrement important pour discuter les formulations, reformuler, confronter les compréhensions, verbaliser les stratégies… Il permet de comprendre l’apport de chaque élément, développe les capacités argumentatives des élèves et peut déconstruire des savoirs erronés. Il nourrit également l’esprit critique et contribue au développement et à l’autonomie des élèves. » (http://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2018/04/180411_Synthese_recommandations_Ecrire_rediger.pdf)

Les élèves ont fourni un travail de formulation et surtout de réécriture. Un important travail lexical s’est mis en place, notamment un travail sur les synonymes.

Deux types d’écrits ont été produits :

  • un écrit d’invention, c’est à dire la chanson elle-même ;
  • mais aussi des écrits de travail  : commenter ce qu’on a écrit ou ce qu’un camarade a écrit ; justifier le fait qu’on refuse un mot ou une phrase et argumenter en faveur d’une autre tournure

La classe dans l’ensemble a fourni un véritable effort de réécriture. Et ce avec beaucoup plus d’enthousiasme, semble-t-il, que pour des exercices de rédaction personnels où ils peinent, voire rechignent à réécrire le texte initial.
Ils ont également fourni un véritable effort en termes d’argumentation, du fait de leur implication personnelle dans le projet : chanter un texte sur scène, c’est-à-dire s’impliquer en tant que personne dans un texte, change la donne.
Pour ce qui est des écrits d’invention, la compétence, ainsi que les réels progrès de chacun reste difficile à évaluer individuellement du fait de la dimension collective du projet.

Travailler des compétences sociales

La principale difficulté réside essentiellement dans le nombre d’élèves et dans la difficulté à satisfaire chacun : on refuse certaines propositions, on en valide d’autres. Et l’enjeu est d’autant plus fort que les élèves sont exposés, impliqués personnellement : la chanson sera chantée sur scène, le clip diffusé sur une chaîne en ligne. Et c’est aussi précisément ce qui donne naissance à une parole argumentée en classe : certains se sont opposés à des passages. Ils ont dû expliquer ce choix, expliquer par exemple que les paroles les mettaient mal à l’aise, ou ne représentaient pas leur vision des choses ; d’autres ont trouvé que certaines phrases ou certains mots étaient « trop clichés », « trop ridicules », »trop mièvres"…
C’est ainsi que le projet voit le jour, progressivement, par amendements successifs, jusqu’à ce que plus personne ne s’oppose à la publication du texte.

Pour l’écriture d’un spectacle musical

Les élèves de l’option CHAM se sont emparés de ce projet avec enthousiasme. C’est devenu au fil des années un moment attendu lorsqu’ils arrivent en classe de quatrième. Plusieurs d’entre eux l’ont présenté lors de l’oral du brevet et cela semble les avoir profondément marqués.
Les chansons écrites au fil des années aboutiront à terme à l’écriture d’un spectacle musical qui mettra sur le devant de la scène plus de 120 élèves de la sixième à la troisième.

Notes

[1voici à titre d’exemple, quelques chansons consacrées à New York : New York, New York, Liza Minnelli, 1977 ; New York avec toi, Téléphone, 1985 ; Englishman in New York, Sting, 1987 ; Chanteur de jazz, Michel Sardou, 1985 ; New York, U2, 2000.

[2Opéra-rock créé par Michel Berger et Luc Plamondon, 10 Avril 1979, Palais des Congrès, Paris

[3« Monopolis », Starmania, M. Berger, 1979

[4Camus, La pluie de New York, 1965

Partager

Imprimer cette page (impression du contenu de la page)