Madeleine de Scudéry, La promenade de Versailles

, par PLAISANT-SOLER Estelle, Lycée Saint-Exupéry, Mantes-la-Jolie

La narratrice fait découvrir les jardins de Versailles à une « belle étrangère » accompagnée de parents, Télamon et Glicère.

[...] nous fûmes dans le jardin de fleurs à balustrade dorée, bordé de cyprès et d’arbustes différents, et rempli de mille espèces de fleurs ; la face d’en bas est fermée par une balustrade à hauteur d’appui, d’où la vue est fort champêtre. Ce jardin, aussi bien que tous les autres, a ses terrasses bordées de vases de cuivre peints en porcelaine. Au-dessous de cette terrasses à balustrade est le jardin des orangers, dont la belle Etrangère fut extrêmement surprise ; car elle ne comprenait pas qu’on pût mettre de si grands arbres dans des caisses. Telamon qui a extrêmement voyagé, avoua n’en avoir jamais vu de si beaux, et ne loua pas moins les myrthes, dont l’ancienneté les rend admirables.

« Si ce n’était, dit-il en adressant la parole à Glicère, que vous me trouveriez encore trop savant, je dirais que ces myrthes semblent être du temps de Vénus et d’Adonis, et avoir reçu de la mère des Amours cette jeunesse immortelle qui les a fait vieillir sans perdre leur beauté.

- Comme j’ai plus entendu parler de Vénus et d’Adonis, que de Pline et de Polybe, reprit Glicère en souriant, ce que vous venez de dire n’est pas trop savant pour moi ; et si je voulais le reprendre, je dirais seulement que cela est un peu bien fleuri.

- A ce que je vois, me dit la belle Etrangère, votre Prince se plaît à faire que l’Art ou surmonte ou embellisse la nature partout.

- Afin de vous confirmer dans ce sentiment, lui dis-je , je n’ai qu’à vous dire que ce n’est pas une affaire pour lui de changer des étangs de place, et qu’un de ces jours, il en changera deux, ou trois, et il y en aura un vis-à-vis d’ici, pour orner ce petit coin de paysage.

- On dirait à vous entendre parler, dit Glicère, que le roi change aussi facilement des étangs de place, qu’on change les pièces du jeu des échecs.

- Plus aisément encore, repris-je en riant, et cette grande orangerie qui est sous la terrasse où nous sommes, sera encore plus longue de la moitié qu’elle n’est, quoiqu’elle soit déjà très belle. »

Nous fûmes alors voir tous ces beaux orangers de plus près, que la belle Etrangère admira encore davantage. On lui fit voir ensuite ces grands jardins pour les fruits, où les espaliers de hauteurs différentes disposés en allées, et exposés judicieusement au soleil, on a trouvé l’art d’avoir des fruits qu’on croirait que le soleil de Provence aurait fait mûrir. Nous fûmes au sortir du jardin des orangers voir en passant le labyrinthe, et entre des bois verts entrecoupés d’allées et de fontaines, gagner le haut de ce superbe jardin, qu’on appelle le fer à cheval à cause de sa figure, et dont la magnificence toute royale montre assez qu’il ne peut être à un particulier, quelque grand qu’il fût. La terrasse qui règne au-dessus est un endroit admirable pour la vue, rien de trop loin, rien de trop près ; elle est bordée d’arbustes sauvages toujours verts. Et ce grand jardin en amphithéâtre avec trois perrons magnifiques, et trois rondeaux situés en triangle, a quelque chose de surprenant qu’on ne peut décrire. Tout y rit, tout y plaît, tout y porte la joie, et marque la grandeur du Maître ; [...].

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