Zola. La Faute de l’abbé Mouret

, par PLAISANT-SOLER Estelle, Lycée Saint-Exupéry, Mantes-la-Jolie

Textes étudiés

Le jardin qui avait voulu la faute

C’était le jardin qui avait voulu la faute. Pendant des semaines, il s’était prêté au lent apprentissage de leur tendresse. Puis, au dernier jour, il venait de les conduire dans l’alcôve verte. Maintenant, il était le tentateur, dont toutes les voix enseignaient l’amour. Du parterre, arrivaient des odeurs de fleurs pâmées, un long chuchotement, qui contait les noces des roses, les voluptés des violettes ; et jamais les sollicitations des héliotropes n’avaient eu une ardeur plus sensuelle. Du verger, c’étaient des bouffées de fruits mûrs que le vent apportait, une senteur grasse de fécondité, la vanille des abricots, le musc des oranges. Les prairies élevaient une voix plus profonde, faite des soupirs des millions d’herbes que le soleil baisait, large plainte d’une foule innombrable en rut, qu’attendrissaient les caresses fraîches des rivières, les nudités des eaux courantes, au bord desquelles les saules rêvaient tout haut de désir. La forêt soufflait la passion géante des chênes, les chants d’orgue des hautes futaies, une musique solennelle, menant le mariage des frênes, des bouleaux, des charmes, des platanes, au fond des sanctuaires de feuillage ; tandis que les buissons, les jeunes taillis étaient pleins d’une polissonnerie adorable, d’un vacarme d’amants se poursuivant, se jetant au bord des fossés, se volant le plaisir, au milieu d’un grand froissement de branches. Et, dans cet accouplement du parc entier, les étreintes les plus rudes s’entendaient au loin, sur les roches, là où la chaleur faisait éclater les pierres gonflées de passion, où les plantes épineuses aimaient d’une façon tragique, sans que les sources voisines pussent les soulager, tout allumées elles-mêmes par l’astre qui descendait dans leur lit.
- Que disent-ils ? murmura Serge, éperdu. Que veulent-ils de nous, à nous supplier ainsi ? Albine, sans parler, le serra contre elle.
[...]

Alors, Albine et Serge entendirent. Il ne dit rien, il la lia de ses bras, toujours plus étroitement. La fatalité de la génération les entourait. Ils cédèrent aux exigences du jardin. Ce fut l’arbre qui confia à l’oreille d’Albine ce que les mères murmurent aux épousées, le soir des noces.

Albine se livra. Serge la posséda.

Et le jardin entier s’abîma avec le couple, dans un dernier cri de passion. Les troncs se ployèrent comme sous un grand vent ; les herbes laissèrent échapper un sanglot d’ivresse ; les fleurs, évanouies, les lèvres ouvertes, exhalèrent leur âme ; le ciel lui-même, tout embrasé d’un coucher d’astre, eut des nuages immobiles, des nuages pâmés, d’où tombait un ravissement surhumain. Et c’était une victoire pour les bêtes, les plantes, les choses, qui avaient voulu l’entrée de ces deux enfants dans l’éternité de la vie. Le parc applaudissait formidablement.

La mort d’Albine

Abandonnée par Serge, Albine erre dans le Paradou avant de se donner la mort.

A cette heure, Albine, dans le Paradou, rôdait encore, traînant l’agonie muette d’une bête blessée. Elle ne pleurait plus. Elle avait un visage blanc, traversé au front d’un grand pli. Pourquoi donc souffrait-elle toute cette mort ? De quelle faute était-elle coupable, pour que, brusquement, le jardin ne lui tint plus les promesses qu’il lui faisait depuis l’enfance. Et elle s’interrogeait, allant devant elle, sans voir les allées où l’ombre coulait peu à peu. Pourtant, elle avait toujours obéi aux arbres. Elle ne se souvenait pas d’avoir cassé une fleur. Elle était restée la fille aimée des verdures, les écoutant avec soumission, s’abandonnant à elles, pleine de foi dans les bonheurs qu’elles lui réservaient. Lorsque, au dernier jour, le Paradou lui avait crié de se coucher sous l’arbre géant, elle s’était couchée, elle avait ouvert les bras, répétant la leçon soufflée par les herbes. Alors, si elle ne trouvait rien à se reprocher, c’était donc le jardin qui la trahissait, qui la torturait, pour la seule joie de la voir souffrir.

Elle s’arrêta, elle regarda autour d’elle. Les grandes masses sombres des feuillages gardaient un silence recueilli, les sentiers, où des murs noirs se bâtissaient, devenaient des impasses de ténèbres ; les nappes de gazon, au loin, endormaient les vents qui les effleuraient. Et elle tendit les mains désespérément, elle eut un cri de protestation. Cela ne pouvait finir ainsi. Mais sa voix s’étouffa sous les arbres silencieux. Trois fois, elle conjura le Paradou de répondre, sans qu’une explication lui vînt des hautes branches, sans qu’une seule feuille la prît en pitié. Puis, quand elle se fut remise à rôder, elle se sentit marcher dans la fatalité de l’hiver. Maintenant qu’elle ne questionnait plus la terre en créature révoltée, elle entendait une voix basse courant au ras du sol, la voix d’adieu des plantes, qui se souhaitaient une mort heureuse. Avoir bu le soleil de toute une saison, avoir vécu toujours en fleurs, s’être exhalé en un parfum continu, puis s’en aller au premier tourment, avec l’espoir de repousser quelque part, n’était-ce pas une vie assez longue, une vie bien remplie, que gâterait un entêtement à vivre davantage ? Ah ! comme on devait être bien, morte, ayant une nuit sans fin devant soi, pour songer à la courte journée vécue, pour en fixer éternellement les joies fugitives !

Elle s’arrêta de nouveau, mais elle ne protesta plus, au milieu du grand recueillement du Paradou. Elle croyait comprendre, à cette heure. Sans doute, le jardin lui ménageait la mort comme une jouissance suprême. C’était à la mort qu’il l’avait conduite d’une si tendre façon. Après l’amour, il n’y avait plus que la mort. Et jamais le jardin ne l’avait tant aimée ; elle s’était montrée ingrate en l’accusant, elle restait sa fille la plus chère. Les feuillages silencieux, les sentiers barrés de ténèbres, les pelouses où le vent s’assoupissait, ne se taisaient que pour l’inviter à la joie d’un long silence. Ils la voulaient avec eux, dans le repos du froid ; ils rêvaient de l’emporter, roulée parmi les feuilles sèches, les yeux glacés comme l’eau des sources, les membres raidis comme les branches nues, le sang dormant le sommeil de la sève. Elle vivrait leur existence jusqu’au bout, jusqu’à leur mort. Peut-être avaient-ils déjà résolu qu’à la saison prochaine elle serait un rosier du parterre, un saule blond des prairies, ou un jeune bouleau de la forêt. C’était la grande loi de la vie : elle allait mourir.

Alors, une dernière fois, elle reprit sa course à travers le jardin, en quête de la mort. Quelle plante odorante avait besoin de ses cheveux pour accroître le parfum de ses feuilles ? Quelle fleur lui demandait le don de sa peau de satin, la blancheur pure de ses bras, la laque tendre de sa gorge ? A quel arbuste malade devait-elle offrir son jeune sang ? Elle aurait voulu être utile aux herbes qui végétaient sur le bord des allées, se tuer là, pour qu’une verdure poussât d’elle, superbe, grasse, pleine d’oiseaux en mai et ardemment caressée du soleil. Mais le Paradou resta muet longtemps encore, ne se décidant pas à lui confier dans quel dernier baiser il l’emporterait. Elle dut retourner partout, refaire le pèlerinage de ses promenades. La nuit était presque entièrement tombée, et il lui semblait qu’elle entrait peu à peu dans la terre. Elle monta aux grandes roches, les interrogeant, leur demandant si c’était sur leurs lits de cailloux qu’il lui fallait expirer. Elle traversa la forêt, attendant, avec un désir qui ralentissait sa marche, que quelque chêne s’écroulât et l’ensevelît dans la majesté de sa chute. Elle longea les rivières des prairies, se penchant presque à chaque pas, regardant au fond des eaux si une couche ne lui était pas préparée, parmi les nénuphars. Nulle part, la mort ne l’appelait, ne lui tendait ses mains fraîches. Cependant, elle ne se trompait point. C’était bien le Paradou qui allait lui apprendre à mourir, comme il lui avait appris à aimer. Elle recommença à battre les buissons, plus affamée qu’aux matinées tièdes où elle cherchait l’amour. Et, tout d’un coup, au moment où elle arrivait au parterre, elle surprit la mort, dans les parfums du soir. Elle courut, elle eut un rire de volupté. Elle devait mourir avec les fleurs.

D’abord, elle courut au bois de roses. Là, dans la dernière lueur du crépuscule, elle fouilla les massifs, elle cueillit toutes les roses qui s’alanguissaient aux approches de l’hiver. Elle les cueillait à terre, sans se soucier des épines ; elle les cueillait devant elle, des deux mains ; elle les cueillait au-dessus d’elle, se haussant sur les pieds, ployant les arbustes. Une telle hâte la poussait, qu’elle cassait les branches, elle qui avait le respect des moindres brins d’herbe. Bientôt elle eut des roses plein les bras, un fardeau de roses sous lequel elle chancelait. Puis, elle rentra au pavillon, ayant dépouillé le bois, emportant jusqu’aux pétales tombés ; et quand elle eut laissé glisser sa charge de roses sur le carreau de la chambre au plafond bleu, elle redescendit dans le parterre.

Alors, elle chercha les violettes. Elle en faisait des bouquets énormes qu’elle serrait un à un contre sa poitrine. Ensuite, elle chercha les oeillets, coupant tout jusqu’aux boutons, liant des gerbes géantes d’œillets blancs, pareilles à des jattes de lait, des gerbes géantes d’œillets rouges, pareilles à des jattes de sang. Et elle chercha encore les quarantaines, les belles-de-nuit, les héliotropes, les lis ; elle prenait à poignée les dernières tiges épanouies des quarantaines, dont elle froissait sans pitié les ruches de satin ; elle dévastait les corbeilles de belles-de-nuit, ouvertes à peine à l’air du soir ; elle fauchait le champ des héliotropes, ramassant en tas sa moisson de fleurs ; elle mettait sous ses bras des paquets de lis, comme des paquets de roseaux. Lorsqu’elle fut de nouveau chargée, elle remonta au pavillon jeter, à côté des roses, les violettes, les oeillets, les quarantaines, les belles-de-nuit, les héliotropes, les lis. Et, sans reprendre haleine, elle redescendit.

Cette fois, elle se rendit à ce coin mélancolique qui était comme le cimetière du parterre. Un automne brûlant y avait mis une seconde poussée des fleurs du printemps. Elle s’acharna surtout sur des plates-bandes de tubéreuses et de jacinthes, à genoux au milieu des herbes, menant sa récolte avec des précautions d’avare. Les tubéreuses semblaient pour elle des fleurs précieuses, qui devaient distiller goutte à goutte de l’or, des richesses, des biens extraordinaires. Les jacinthes, toutes perlées de leurs grains fleuris, étaient comme des colliers dont chaque perle allait lui verser des joies ignorées aux hommes. Et, bien qu’elle disparût dans la brassée de jacinthes et de tubéreuses qu’elle avait coupée, elle ravagea plus loin un champ de pavots, elle trouva moyen de raser encore un champ de soucis. Par-dessus les tubéreuses, par-dessus les jacinthes, les soucis et les pavots s’entassèrent. Elle revint en courant se décharger dans la chambre au plafond bleu, veillant à ce que le vent ne lui volât pas un pistil. Elle redescendit.

Qu’allait-elle cueillir maintenant ? Elle avait moissonné le parterre entier. Quand elle se haussait sur les pieds, elle ne voyait plus, sous l’ombre encore grise, que le parterre mort, n’ayant plus les yeux tendres de ses roses, le rire rouge de ses oeillets, les cheveux parfumés de ses héliotropes. Pourtant, elle ne pouvait remonter les bras vides. Et elle s’attaqua aux herbes, aux verdures ; elle rampa, la poitrine contre le sol, cherchant dans une suprême étreinte de passion à emporter la terre elle-même. Ce fut la moisson des plantes odorantes, les citronnelles, les menthes, les verveines, dont elle emplissait sa jupe. Elle rencontra une bordure de baume et n’en laissa pas une feuille. Elle prit même deux grands fenouils, qu’elle jeta sur ses épaules, ainsi que deux arbres. Si elle avait pu, entre ses dents serrées, elle aurait emmené derrière elle toute la nappe verte du parterre. Puis, au seuil du pavillon, elle se tourna, elle jeta un dernier regard sur le Paradou. Il était noir ; la nuit, tombée complètement, lui avait jeté un drap noir sur la face. Et elle monta, pour ne plus redescendre.

La grande chambre, bientôt, fut parée. Elle avait posé une lampe allumée sur la console. Elle triait les fleurs amoncelées au milieu du carreau, elle en faisait de grosses touffes qu’elle distribuait à tous les coins. D’abord, derrière la lampe sur la console, elle mit les lis, une haute dentelle qui attendrissait la lumière de sa pureté blanche. Puis, elle porta des poignées d’œillets et de quarantaines sur le vieux canapé, dont l’étoffe peinte était déjà semée de bouquets rouges, fanés depuis cent ans ; et l’étoffe disparut, le canapé allongea contre le mur un massif de quarantaines hérissé d’œillets. Elle rangea alors les quatre fauteuils devant l’alcôve ; elle emplit le premier de soucis, le second de pavots, le troisième de belles-de-nuit, le quatrième d’héliotropes ; les fauteuils, noyés, ne montrant que des bouts de leurs bras, semblaient des bornes de fleurs. Enfin, elle songea au lit. Elle roula près du chevet une petite table, sur laquelle elle dressa un tas énorme de violettes. Et, à larges brassées, elle couvrit entièrement le lit de toutes les jacinthes et de toutes les tubéreuses qu’elle avait apportées ; la couche était si épaisse, qu’elle débordait sur le devant, aux pieds, à la tête, dans la ruelle, laissant couler des traînées de grappes. Le lit n’était plus qu’une grande floraison. Cependant, les roses restaient. Elle les jeta au hasard, un peu partout ; elle ne regardait même pas où elles tombaient ; la console, le canapé, les fauteuils, en reçurent ; un coin du lit en fut inondé. Pendant quelques minutes, il plut des roses, à grosses touffes, une averse de fleurs lourdes comme des gouttes d’orage, qui faisaient des mares dans les trous du carreau. Mais le tas ne diminuant guère, elle finit par en tresser des guirlandes qu’elle pendit aux murs. Les Amours de plâtre qui polissonnaient au-dessus de l’alcôve eurent des guirlandes de roses au cou, aux bras, autour des reins ; leurs ventres nus, leurs culs nus furent tout habillés de roses. Le plafond bleu, les panneaux ovales encadrés de nœuds de ruban couleur chair, les peintures érotiques mangées par le temps, se trouvèrent tendus d’un manteau de roses, d’une draperie de roses. La grande chambre était parée. Maintenant, elle pouvait y mourir. Un instant, elle resta debout, regardant autour d’elle. Elle songeait, elle cherchait si la mort était là. Et elle ramassa les verdures odorantes, les citronnelles, les menthes, les verveines, les baumes, les fenouils ; elle les tordit, les plia, en fabriqua des tampons, à l’aide desquels elle alla boucher les moindres fentes, les moindres trous de la porte et des fenêtres. Puis, elle tira les rideaux de calicot blanc, cousus à gros points. Et, muette, sans un soupir, elle se coucha sur le lit, sur la floraison des jacinthes et des tubéreuses.

Là, ce fut une volupté dernière. Les yeux grands ouverts, elle souriait à la chambre. Comme elle avait aimé, dans cette chambre ! Comme elle y mourait heureuse ! A cette heure, rien d’impur ne lui venait plus des Amours de plâtre, rien de troublant ne descendait plus des peintures, où des membres de femme se vautraient. Il n’y avait, sous le plafond bleu, que le parfum étouffant des fleurs. Et il semblait que ce parfum ne fût autre que l’odeur d’amour ancien dont l’alcôve était toujours restée tiède, une odeur grandie, centuplée, devenue si forte, qu’elle soufflait l’asphyxie. Peut-être était-ce l’haleine de la dame morte là, il y avait un siècle. Elle se trouvait ravie à son tour, dans cette haleine. Ne bougeant point, les mains jointes sur son cœur, elle continuait à sourire, elle écoutait les parfums qui chuchotaient dans sa tête bourdonnante. Ils lui jouaient une musique étrange de senteurs qui l’endormait lentement, très doucement. D’abord, c’était un prélude gai, enfantin : ses mains, qui avaient tordu les verdures odorantes, exhalaient l’âpreté des herbes foulées, lui contaient ses courses de gamine au milieu des sauvageries du Paradou. Ensuite, un chant de flûte se faisait entendre, de petites notes musquées qui s’égrenaient du tas de violettes posé sur la table, près du chevet ; et cette flûte, brodant sa mélodie sur l’haleine calme, l’accompagnement régulier des lis de la console, chantait les premiers charmes de son amour, le premier aveu, le premier baiser sous la futaie. Mais elle suffoquait davantage, la passion arrivait avec l’éclat brusque des oeillets, à l’odeur poivrée, dont la voix de cuivre dominait un moment toutes les autres. Elle croyait qu’elle allait agoniser dans la phrase maladive des soucis et des pavots, qui lui rappelait les tourments de ses désirs. Et, brusquement, tout s’apaisait, elle respirait plus librement, elle glissait à une douceur plus grande, bercée par une gamme descendante des quarantaines, se ralentissant, se noyant, jusqu’à un cantique adorable des héliotropes, dont les haleines de vanille disaient l’approche des noces. Les belles-de-nuit piquaient çà et là un trille discret. Puis, il y eut un silence. Les roses, languissamment, firent leur entrée. Du plafond coulèrent des voix, un choeur lointain. C’était un ensemble large, qu’elle écouta au début avec un léger frisson. Le choeur s’enfla, elle fut bientôt tout vibrante des sonorités prodigieuses qui éclataient autour d’elle. Les noces étaient venues, les fanfares des roses annonçaient l’instant redoutable. Elle, les mains de plus en plus serrées contre son cœur, pâmée, mourante, haletait. Elle ouvrait la bouche, cherchant le baiser qui devait l’étouffer, quand les jacinthes et les tubéreuses fumèrent, l’enveloppèrent d’un dernier soupir, si profond, qu’il couvrit le chœur des roses. Albine était morte dans le hoquet suprême des fleurs.


Documents annexes (Textes écrits par Zola)

Annexe 1. Schéma du jardin du Paradou, issu du manuscrit de Zola pour La Faute de l’abbé Mouret

Emile Zola, manuscrit de La Faute de l’abbé Mouret, Bibliothèque nationale, NAF 10294, f° 44.

Accessible dans : Emile Zola, volume II, Editions Bouquins, Robert Laffont, 1991, page 1233.

Annexe 2. Manuscrit de Zola pour La Faute de l’abbé Mouret
Un bois de tournesols. Buis
Ne Pas oublier les orties
Jasmin de Virginie (arbuste)
Glycine de la Chine. - Le lierre
Acanthe du Portugal, à larges feuilles = Ageratum houpettes bleu céleste, bleu de ciel nain, bleuâtre lilacé rose = Agrostis une pluie de vert avec des pointes jaunes = Amarante crête-de-coq, cramoisi, violette, rouge, jaune, rose, à 3 couleurs, à feuilles rouges, gigantesque, queue de renard = Ancolie rose, violet sombre, blanche = Anémone, fleur de deuil < tragique > avec un pistil à grains noirs, bleuâtre, violâtre, jaunâtre = Asphodèle, bâton jaune d’or = Aperala sentant bon = Balsamine bleu foncé, feu, jaune paille, grlis de lin, fleur de pêche, blanc lavé de rose, rouge cuivré, couleur chair, ponctué de rose, cramoisi ponctué de blanc = Balsamines naines = Belles de jour, belles-de-nuit = Calendrinia en ombrelle = Campanules de toutes sortes (49) = Capucine = Chèvrefeuille = Clématites = Les Coquelourdes = Corbeille d’or, corbeille d’argent = Les Datura, violets, blancs = Digitales pourpres = Giroflées des murailles = Quarantaine = Les Glayeuls = Les Haricots d’Espagne = Hibiscus = les Iris = Les Juliennes = Mimulus ponctué, strié, cuivré, cinabre, musqué, cardinal, rose = Muguet = Myosotis = Œillets{}, dentelés, mignardise, toutes rouleurs = Roses trémières = Pensées à grandes macules = Pavot = Pervenche de Madagascar = Phlox, blanc et violet, pourpre noir, saumon, écarlate œil noir = Pieds d’alouette = Pivoines = Pois de senteur = Primevère frangée blanche, cuivrée, striée = Reines-marguerites = Renoncule = < Rose charnue, violâtre, rose panachée > = Réséda = Riesis sanguin = Scabieuse rose, lilas, pourpre étoilée = Sensitive = Souci = Tulipe = Véronique = Verveine = Violette = Volubilis = Zinnia blanc, violet, jaune, lilas, orange =
Oignons = Amaryllis : lis Saint-Jacques = Lis = Anémone = Jacinthes = Tubéreuses = Glaïeuls.

[N.B. : L’italique indique les noms biffés par Zola après qu’il les ait utilisés.]


Réception du roman de Zola

Barbey d’Aurevilly. Les Œuvres et les hommes, 1869

Son livre semble n’avoir pour but que de peindre la nature et d’exalter les forces physiques de la vie. C’est un livre d’intention scélérate, sous le désintéressement apparent de ses peintures. Il est tout simplement la vieille idée païenne, battue par le christianisme et revenant à la charge. C’est le naturalisme de la bête, mis sans honte et sans vergogne, au-dessus du noble spiritualisme chrétien !

Tel est le dessous et tel est le crapaud de ce livre. Tous ces gens qui ne comprennent rien au catholicisme, qu’ils ne savent pas et qu’ils n’ont point étudié, n’ont qu’une seule façon de procéder contre lui, mais cette façon ne manque jamais son coup sur les imbéciles. C’est l’attaque au prêtre et le déshonneur du prêtre. Le prêtre, autrefois, vivait de l’autel, et il n’existait que pour l’autel, mais à présent l’autel doit mourir par le prêtre... Et voilà pourquoi le prêtre, haï et méprisé, et dont on ne devrait même plus parler si les religions - comme ils le disent - étaient finies, tient tant de place dans l’irréligieuse littérature de ce temps.

Ainsi, première cause du succès de M. Zola : le déshonneur d’un prêtre catholique, qui jette sa soutane aux rosiers et fait l’amour comme les satyres le faisaient autrefois avec les nymphes, dans les mythologies... Cette malhonnêteté cinglée à la face de la sainte Eglise catholique, paraît très piquante à tous les libres-penseurs de cette époque d’impiété et de décadence ; mais il n’y a pas que cela qui fasse la fortune du livre de M. Zola. Il y a, dans La Faute de l’abbé Mouret, en dehors de son intention outrageante contre la religion, une autre cause de succès, bien plus générale, encore... Je l’ai dit plus haut, c’est la bassesse de l’inspiration. Je ne crois point que, dans ce temps de choses basses, on ait encore rien écrit de plus bas dans l’ensemble, les détails et la langue, que La Faute de l’abbé Mouret. C’est l’apothéose du rut universel dans la création. C’est la divinisation dans l’homme de la bête, c’est l’accouplement des animaux sur toute la ligne, avec une technique chauffée au désir de produire de l’effet, qui doit être le grand et peut-être le seul désir de M. Zola. Voilà ce qui fait de ce livre quelque chose d’une indécence particulière...Avec le XVIIIème siècle derrière nous, nous avions vu toutes sortes d’indécences. Nous avions eu l’indécence naïve, l’indécence voluptueuse, l’indécence polissonne, l’indécence cynique. Mais l’indécence scientifique nous manquant, et c’est M. Zola qui a l’honneur de nous la donner... Blasés sur toutes les autres, nus n’étions pas blasés sur celle-là. M. Emile Zola, du reste, convenait merveilleusement, de facultés et de goût, à cette besogne. Il n’a point d’idéal dans la tête, et comme son siècle, il aime les choses basses, signe du temps, et ne peut s’empêcher d’aller à elles.

Louis Desprez. L’Evolution naturaliste, 1884

Ce paradou - qui l’aurait cru ? - c’est le paradis terrestre, vierge et luxuriant, où Albine - l’Eve nouvelle - attend Serge, l’Adam nouveau. M. Zola a écrit beaucoup moins une étude de mœurs qu’un poème en prose. L’abbé Mouret n’est pas un vulgaire desservant, de race paysanne, au sang chaud, dont la chasteté succombe sous les attaques de la première Jeanneton venue. C’est l’ignorance de l’homme primitif conduite par l’astucieuse curiosité de la femme sous l’arbre de la faute. La vie représentée par Albine et par les végétations du Paradou lutte contre la mort, symbolisée par l’église où Serge se lamente et par l’épouvantable Archangias dans le dos duquel deux grandes ailes noires palpitent. Comme la foi d prêtre, le vieil édifice craque sous la poussée des plantes envahissantes. Les végétaux s’animent, agissent ; ils jettent Serge dans les bras d’Albine. Il y a dans les descriptions du Paradou un panthéisme débordant.

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