Écrire un texte pour lire le monde

, par Daphné Jacamon

L’exercice du commentaire comme celui de l’invention suppose « d’apprécier une oeuvre, d’analyser l’émotion qu’elle procure et d’en rendre compte à l’écrit comme à l’oral ». Patrick Laudet, Inspecteur Général de L’Education Nationale, constate lors du séminaire de juin 2011 que pour certains élèves l’étude d’un texte se transforme parfois en un exercice de dissection où l’on examine chaque procédé avec l’austérité et l’insensibilité d’un médecin légiste, procédés que l’on identifie et que l’on classe, comme s’ils étaient les garants incontestés d’un processus d’analyse. Et le texte autopsié dans les règles de l’art reste à l’état de cadavre, n’ayant rien d’autre à transmettre que la satisfaction d’avoir permis cet exercice. Comment parvenir à retrouver l’émotion perdue ? Comment réparer ce qu’Antoine Compagnon nomme « la cassure de la forme et du sens » ? Puisque le Bulletin Officiel nous invite à « la constitution et l’enrichissement d’une culture littéraire ouverte sur d’autres champs du savoir et de la société », on se propose d’explorer les ressources que la Cité de la Musique met à disposition des enseignants sur le site d’Eduthèque.

Objectif de la séance

Cette séance d’une heure associe l’étude succinte d’une oeuvre musicale à un exercice d’écriture sous une forme de « variation » au sens musical du terme. Il s’agira pour les élèves de cerner en quoi des procédés musicaux et littéraires participent d’une expérience esthétique et traduisent une vision singulière du monde.

Déroulement de la séance

La séance se déroule en salle multimédia et nécessite l’utilisation d’un TNI. L’écriture des textes peut se faire au stylo sur feuille libre mais il est plus intéressant encore de se connecter sur une plateforme de blog et de demander aux élèves de rédiger un billet. Les textes qui seront publiés pourront faire ainsi l’objet de commentaires et d’analyses.
Dès le début de la séance, on spécifie l’objectif de l’exercice : il s’agira d’écrire un court récit imprégné de l’univers musical d’une oeuvre que les élèves découvriront au cours de la séance. Puisque la musique partage avec la littérature la capacité de créer un état d’âme, il leur faudra retranscrire cette émotion, cette atmosphère au sein d’un récit imaginaire dont on empruntera l’amorce à Zone d’Apollinaire : « Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule ». L’étrange deuxième personne du singulier comme adresse à un autre soi permettra en effet à l’élève de ne pas faire de son texte une « parole gelée » [1]] mais d’investir au contraire l’écriture d’une sensibilité qui lui est propre.

Pour mener cet exercice, on se connecte dans un premier temps sur le site d’Eduthèque

On clique sur « thématiques » puis on choisit d’écouter une oeuvre commentée, en l’occurrence celle de Vivaldi, extrait du troisième mouvement de « l’Eté ».

http://education.citedelamusique.fr/edutheque/Decouverte.aspx

A l’issue d’une ou deux écoutes on invite les élèves à mettre des mots sur l’émotion qu’ils ressentent, éventuellement même à préciser quel univers leur vient spontanément à l’esprit. S’ensuit alors un rapide travail d’analyse de l’extrait musical, à partir des ressources que le site met à notre disposition. Les procédés « musicaux » parviennent à faire exister le paysage sans avoir recours aux mots. C’est l’orchestre « figure du tonnerre » qui crée dès le début une atmosphère hostile, menaçante avec des « notes graves, répétées et très rapides », ce sont les violons qui font entendre la pluie et le vent par des mouvements descendants ou ascendants comme pour mieux faire sentir que ce dernier « balaie tout sur son passage », c’est la présence d’un « violon solo » qui nous émeut, avec ses notes aigues « fragiles » et « nerveuses », lui dont les interventions sont de plus en plus courtes, lui qui nous semble si vulnérable, écrasé qu’il est par un orchestre tout puissant.

On engage ensuite les élèves à réfléchir aux moyens que l’on aurait de retranscrire l’intensité de cette émotion au sein d’un récit. Il apparaît que la majorité des procédés musicaux trouve naturellement leur correspondance dans l’univers littéraire : le rythme d’un récit peut varier comme celui de la musique, la répétition des notes graves peut se transposer en figures d’insistance (répétition, énumération, gradation etc...) ou même plus finement dans le choix d’un réseau lexical précis qui répète non le mot mais la connotation qu’il suggère, l’opposition des instruments se retrouve dans les effets de contraste ou plus justement encore dans la confrontation du singulier au pluriel. A quoi l’on ajoute évidemment les ressources propres du langage, la force des images, la précision du vocabulaire, la ponctuation expressive.

Pour que le texte des élèves soit moins une retranscription qu’une transposition, on insiste sur le fait que le récit dramatisé doit désormais trouver sa place dans la « jungle des villes ». On accorde ainsi une trentaine de minutes pour recréer au sein d’un récit une atmosphère semblable à « l’Eté » de Vivaldi.

Extraits de textes rédigés par les élèves :

Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule. Les voitures grondent autour de toi tandis que tu te perds dans cette marée humaine. Le ciel gris t’oppresse. La ronde circulaire des autobus te bouscule.Ton esprit, endommagé par ces bruits assourdissants, ne sait plus où aller. La foule t’engloutit. Tu essaies d’avancer mais la cacophonie des moteurs t’écrase. Tu n’arrives plus à penser tant il y a de bruit. Tu essaies de sortir de cet enfer qui te retient prisonnier. Courant à travers Paris, tu cherches une issue. Toutes les rues sont submergées, si bien que tu es condamné. Ce tourbillon infernal qu’est la ville te fait perdre la tête. Tu suffoques, âme solitaire consumée par la vie. Dans cet océan humain, tu ne trouves plus ta place. Paris, rapide comme un éclair, fait défiler ta vie tandis que tu te noies.

Maintenant tu marches dans Paris, tout seul parmi la foule. La pluie tombe, tu essayes de te frayer un chemin afin de rentrer au plus vite mais la foule est contre toi : ils te bousculent tu trébuches puis repars. Tu cours mais ils ne font pas attention à toi. Le pavé glissant devient ton ennemi, tu glisses et tentes de te relever. Tes pieds patinent tu glisses encore, te soulèves du sol et cherches un refuge. Tu cours et cours sans regarder derrière toi. Tu traverses la routes sans te soucier des voitures. Tu frôles la mort mais ton but est de trouver un abri alors tu continues, tu persévères, tu t’acharnes. Les parapluies te cognent sur la tête mais tu n’y prêtes pas attention. Les personnes t’entourant ne semblent pas être attristées par cette pluie mais toi, toi elle te brûle la peau. Tu deviens fou. Tous les magasins sont fermés. Tu trembles et ne sais plus quoi faire. La pression monte. Elle s’élève en toi. Il te reste cinq minutes. Tu reprends ta cavale.

Maintenant tu marches dans Paris seul parmi la foule, tu entends le bruit sourd des autobus et de cette foule qui t’oppresse. Tu marches espérant trouver un endroit calme pour reposer ton esprit de cette ville bruyante et trop peuplée. En cherchant cet endroit, Paris te rend de plus en plus nerveux pourtant le bruit de la capitale s’apaise au fil des quartiers. La pluie tombe, l’orage gronde et la foule disparaît peu à peu. Paris devient gris et monotone. Tu sens ce sentiment d’apaisement et de calme qui monte en toi

Notes

[1[note : on emprunte cette image à Rabelais

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