Comprendre les enjeux du réalisme en peinture grâce au TNI Comment l’étude d’Olympia de Manet révèle-t-elle le caractère scandaleux de la peinture réaliste ?

, par Daphné Jacamon

A une époque où la photographie et la mode du selfie s’accommodent aisément d’une représentation triviale du réel, il est très difficile pour des élèves de seconde de percevoir en quoi la peinture réaliste a pu en son temps constituer une provocation telle qu’elle ait été à l’origine d’un véritable scandale. Si les sujets traités par Gustave Courbet dans , Les casseurs de pierres (1849), L’enterrement à Ornans (1850), ou L’atelier du peintre (1854) par exemple sensibilisent les élèves sur la préoccupation nouvelle de représenter la vie quotidienne de gens simples et ordinaires, force est de constater que d’un point de vue esthétique il n’est pas si aisé de percevoir en quoi ces tableaux refusent désormais toute concession à la Beauté. Dès lors s’instaure avec la classe le risque d’un malentendu sur les enjeux mêmes de l’esthétique réaliste. L’étude d’un tableau comme Le déjeuner sur l’herbe (1863) de Manet par exemple a montré que les élèves s’insurgeaient à tort de la seule nudité des personnages alors même que la représentation de corps nus est fréquente en art depuis l’Antiquité.
Cette séance d’Histoire des Arts cherche donc à mettre l’accent sur la provocation esthétique que les peintres réalistes adressent aux Salons de leur époque. Elle peut être menée en introduction d’une séquence consacrée à l’objet d’étude sur « le roman et la nouvelle au XIXème : réalisme et naturalisme » étudié en classe de seconde afin de « réfléchir en amont à la façon dont les arts visuels, notamment (...) ont déterminé des choix esthétiques qui entrent en résonance avec l’évolution du genre romanesque ». Cette séance de deux heures nécessite l’aide d’un TNI et s’appuie sur l’étude du tableau Olympia (1863) de Manet.

Travail préparatoire

Pour faciliter le travail de l’enseignant, il est préférable de préparer en amont le document workspace. Le logiciel peut en effet se télécharger sur n’importe quel ordinateur depuis le site d’e-instruction : http://www.einstruction.fr/. Pour rendre pérenne ce téléchargement, il suffit d’entrer sous quarante jours le code de référence de son établissement.

Déroulement de la séance  :

Dans un premier temps, on cherche à créer avec les élèves un horizon d’attente à partir du titre « Olympia » choisi par Manet. Il n’est pas sûr en effet que les élèves associent spontanément à ce mot les sèmes de beauté et d’idéal qui sont le signe de la distance ironique que Manet instaure avec la tradition des déesses antiques. A la question « qu’évoque pour vous le mot Olympia » on obtient en effet comme réponses « salle de spectacle », « jeux olympiques » ou « Mont Olympe ». On note donc au TNI ces éléments fort différents que l’on réorganise ensuite sous la forme d’une carte heuristique sommaire. On déduit à partir des réponses « salle de spectacle » et « jeux Olympiques », dérivés contemporains du radical Olymp- que ce mot évoque l’idée du prestige, du plus haut degré que l’on met en parallèle avec le Mont Olympe, séjour des dieux et des déesses. Les élèves en arrivent donc à l’idée qu’une femme nommée « Olympia » évoque une déesse de la beauté et donc une figure de Vénus.

Ce premier exercice est alors suivi d’un travail d’écriture d’une dizaine de minutes environ. On invite les élèves à « rêver » sur ce nom d’Olympia, à imaginer la représentation qu’ils feraient en tant que peintre d’un personnage féminin qui porterait ce nom. On insiste particulièrement sur le choix de ses vêtements, de sa posture, de ses traits physiques, du lieu dans lequel elle apparaîtrait. A l’issue de ce travail, les élèves échangent entre eux de manière informelle, chacun sur sa Vénus d’élection.

On présente ensuite au TNI quatre tableaux : la Vénus d’Urbain de Titien (1534), l’Odalisque d’Ingres (1814), l’Olympia de Manet (1863) et la Vénus de Cabanel présentée en 1863 au même salon qu’Olympia et célébrée comme l’archétype de la beauté. Ces tableaux sont présentés à dessein sans aucune référence. A la question « l’une de ces peintures a pour titre Olympia, laquelle à votre avis ? », la classe répartit équitablement ses voix entre Titien, Ingres et Cabanel, au détriment de Manet qui s’expose aux plus vives critiques. Les élèves éprouvent ainsi même de manière fugitive le dégoût que « la Vénus au chat noir » avait provoqué en son temps, d’autant que ce tableau entre aussi en opposition avec leurs propres canons esthétiques qu’ils ont eu l’occasion de développer dans l’exercice précédent.
Quelle n’est donc pas leur déception, voire leur réprobation quand on leur annonce que ce beau titre « d’Olympia » revient de droit au tableau de Manet.

A ce stade de la séance, il devient bien plus aisé pour les élèves de comprendre en quoi le tableau de Manet relève de la provocation d’autant que l’on perçoit aisément que la Vénus d’Urbain est le modèle détourné d’ Olympia. On place donc avec le stylet les deux tableaux en regard l’un de l’autre et on propose aux élèves de travailler les ressemblances et différences entre ces deux peintures.

On voit ainsi que Manet reprend les éléments de composition générale du tableau de Titien par la représentation d’un lit au premier plan sur lequel est allongée une femme nue accoudée sur deux oreillers. Mais aussi proches que soient ces deux tableaux, les élèves perçoivent sans difficulté de nombreux points de divergence et critiquent les jambes courtes d’Olympia, son ventre rond, son teint grisâtre, le duvet que l’on perçoit sous ses aisselles, sa main posée « comme une araignée », son regard provocateur et indifférent à la fois. Lorsque l’on attire leur attention sur la présence de la servante et le choix qu’a fait Manet de fermer cet espace, les élèves associent ce lieu à une maison close, ce qui éloigne définitivement Olympia de la Vénus d’Urbain perçue comme « l’allégorie d’une déesse domestique de la fertilité » [1]. Au terme de cette étude, les élèves comprennent que le parti-pris de l’esthétique réaliste réside dans l’accumulation de détails triviaux au détriment d’une représentation idéale de la Beauté.

Pour clore cette séance, on demande aux élèves de rédiger seuls la synthèse de cette étude comparée en réponse à la problématique générale de la séance : en quoi Olympia révèle-t-elle le caractère scandaleux de la peinture réaliste ? Afin d’aider les élèves à réactiver les échanges menés en classe et selon le principe du « rappel indicé » expliqué par Alain Lieury [2] spécialiste de sciences cognitives, on place sur le TNI à l’aide de l’outil « lignes » des flèches de deux couleurs : en vert les éléments communs aux deux tableaux, en rouge les détails triviaux à l’origine du scandale.

Prolongement possible  :

Il est tout à fait possible lors d’une évaluation ou d’un travail maison d’effectuer le même travail de comparaison entre le « déjeuner sur l’herbe » (1863) de Manet et « le concert champêtre » (1576) de Titien.

Cette séance peut par la suite introduire une réflexion sur l’approche stylistique des auteurs que la critique littéraire considère comme réalistes puisque l’on y retrouve le même refus de se laisser emporter par le « beau style » et la recherche de grands effets.

Notes

[1On emprunte ces quelques éléments d’analyse à Alain Jaubert, Manet « Le modèle au chat noir », collection Palettes, série écrite et réalisée par Alain Jaubert.

[2On se réfère plus particulièrement à l’ouvrage Mémoire et réussite scolaire Collection Psycho Sup, Dunod, 2012

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