Ovide, Les Métamorphoses, Livre I, vers 5-75

, par PLAISANT-SOLER Estelle, Lycée Saint-Exupéry, Mantes-la-Jolie

Avant la formation de la mer, de la terre, et du ciel qui les environne, la nature dans l’univers n’offrait qu’un seul aspect ; on l’appela chaos, masse grossière, informe, qui n’avait que de la pesanteur, sans action et sans vie, mélange confus d’éléments qui se combattaient entre eux. Aucun soleil ne prêtait encore sa lumière au monde ; la lune ne faisait point briller son croissant argenté ; la terre n’était pas suspendue, balancée par son poids, au milieu des airs ; l’océan, sans rivages, n’embrassait pas les vastes flancs du globe. L’air, la terre, et les eaux étaient confondus : la terre sans solidité, l’onde non fluide, l’air privé de lumière. Les éléments étaient ennemis ; aucun d’eux n’avait sa forme actuelle. Dans le même corps le froid combattait le chaud, le sec attaquait l’humide ; les corps durs et ceux qui étaient sans résistance, les corps les plus pesants et les corps les plus légers se heurtaient, sans cesse opposés et contraires.

Un dieu, ou la nature plus puissante, termina tous ces combats, sépara le ciel de la terre, la terre des eaux, l’air le plus pur de l’air le plus grossier. Le chaos étant ainsi débrouillé, les éléments occupèrent le rang qui leur fut assigné, et reçurent les lois qui devaient maintenir entre eux une éternelle paix. Le feu, qui n’a point de pesanteur, brilla dans le ciel, et occupa la région la plus élevée. Au-dessous, mais près de lui, vint se placer l’air par sa légèreté. La terre, entraînant les éléments épais et solides, fut fixée plus bas par son propre poids. La dernière place appartint à l’onde, qui, s’étendant mollement autour de la terre, l’embrassa de toutes parts.

Après que ce dieu, quel qu’il fût, eut ainsi débrouillé et divisé la matière, il arrondit la terre pour qu’elle fût égale dans toutes ses parties. Il ordonna qu’elle fût entourée par la mer, et la mer fut soumise à l’empire des vents, sans pouvoir franchir ses rivages. Ensuite il forma les fontaines, les vastes étangs, et les lacs, et les fleuves, qui, renfermés dans leurs rives tortueuses, et dispersés sur la surface de la terre, se perdent dans son sein, ou se jettent dans l’océan ; et alors, coulant plus librement dans son enceinte immense et profonde, ils n’ont à presser d’autres bords que les siens. Ce dieu dit, et les plaines s’étendirent, les vallons s’abaissèrent, les montagnes élevèrent leurs sommets, et les forêts se couvrirent de verdure. Ainsi que le ciel est coupé par cinq zones, deux à droite, deux à gauche, et une au milieu, qui est plus ardente que les autres, ainsi la terre fut divisée en cinq régions qui correspondent à celles du ciel qui l’environne. La zone du milieu, brûlée par le soleil, est inhabitable ; celles qui sont vers les deux pôles se couvrent de neiges et de glaces éternelles : les deux autres, placées entre les zones polaires et la zone du milieu, ont un climat tempéré par le mélange du chaud et du froid. Étendu sur les zones, l’air, plus léger que la terre et que l’onde, est plus pesant que le feu.

C’est dans la région de l’air que l’auteur du monde ordonna aux vapeurs et aux nuages de s’assembler, au tonnerre de gronder pour effrayer les mortels, aux vents d’exciter la foudre, la grêle et les frimas ; mais il ne leur abandonna pas le libre empire des airs. Le monde, qui résiste à peine à leur impétuosité, quoiqu’ils ne puissent franchir les limites qui leur ont été assignées, serait bientôt bouleversé, tant est grande la division qui règne entre eux, S’il leur était permis de se répandre à leur gré sur la terre ! Eurus fut relégué vers les lieux où naît l’aurore, dans la Perse, dans l’Arabie, et sur les montagnes qui reçoivent les premiers rayons du jour. Zéphyr eut en partage les lieux où se lève l’étoile du soir, où le soleil éteint ses derniers feux. L’horrible Borée envahit la Scythie et les climats glacés du septentrion. Les régions du midi furent le domaine de l’Auster pluvieux, au front couvert de nuages éternels ; et par-delà le séjour des vents fut placé l’éther, élément fluide et léger, dépouillé de l’air grossier qui nous environne.

À peine tous ces corps étaient-ils séparés, assujettis à des lois immuables, les astres, longtemps obscurcis dans la masse informe du chaos, commencèrent à briller dans les cieux. Les étoiles et les dieux y fixèrent leur séjour, afin qu’aucune région ne fût sans habitants. Les poissons peuplèrent l’onde ; les quadrupèdes, la terre ; les oiseaux, les plaines de l’air.

Traduction G.T. Villenave, Paris, 1806, revue par Jacques Poucet

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