Comment l’utilisation du blog peut-elle changer le rapport au travail de traduction en latin ?

, par BERNOLLE Marie-Anne, Chargée de mission pour l’Inspection de Lettres

Cette démarche proposée en classe préparatoire peut facilement être transposable en lycée.

Projet inscrit aux TraAM Lettres 2010-2011

Expérimentation réalisée avec une classe de latinistes de Khâgne.

Préambule : comment l’idée du blog m’est-elle venue ?

 Professeur de Lettres classiques en Khâgne au Lycée Saint-Exupéry de Mantes-la-Jolie, je me trouve tous les ans devant les difficultés suivantes :

  • Comment amener les élèves de la classe, latinistes débutants pour la plupart l’année précédente, à être capables de réaliser une version latine de 200 à 230 mots en 4 heures ou une version un peu moins longue et un commentaire intelligent et circonstancié en 6 heures ?
  • Comment gérer l’hétérogénéité d’un groupe dont les résultats en fin d’hypokhâgne vont du simple au double ? Comment permettre à tous de progresser au mieux en poussant le plus possible les plus performants ?

 A voir comment mes jeunes collègues du GEP utilisaient le blog avec leurs élèves de collège et de lycée se sont imposées ces questions :

  • Comment l’utilisation du blog peut-elle changer le rapport au latin ?
  • Comment le blog peut-il modifier le rapport des élèves au travail de traduction ?
  • Comment utiliser les modalités de fonctionnement du blog pour aider les élèves à acquérir les bons réflexes et mettre en oeuvre les bonnes démarches ?

Le projet

 Le présent article propose une réflexion sur l’utilisation pédagogique du blog en se fondant sur une exploitation continue de plusieurs blogs pendant l’été 2010 et sur la période Septembre-La Toussaint de l’année scolaire 2010-2011. Pour des raisons personnelles, j’ai dû interrompre là mon année d’enseignement, et partant l’expérimentation. On excusera donc le caractère non abouti de certaines pages des blogs. Il nous semble néanmoins que l’expérimentation menée apporte déjà des éléments de réflexion intéressants.

 La classe de khâgne de 2010-2011 compte 17 latinistes, tous ex-débutants. Les niveaux sont très hétérogènes. Certains ne sont pas à l’aise du tout face à l’outil. D’autres, assez peu enclins à se mettre vraiment au travail, parce qu’il se jugent d’ores et déjà perdus.

 Intégrer l’utilisation de l’outil blog de façon systématique dans l’enseignement du latin a été un de mes objectifs pour l’année 2010-2011. Il ne s’agissait pas, bien évidemment, d’utiliser les blogs pour eux-mêmes. Mais, m’imposer cet outil comme un support pédagogique possible était une manière d’interroger ce support : d’une situation didactique à l’autre, quel bénéfice pédagogique le blog peut-il apporter de par ses modalités de fonctionnement ?

Scénarii pédagogiques

Le blog de l’été

Supports et cadre de travail

 Travail personnel des étudiants à domicile.
 Un ordinateur connecté à internet pour pouvoir accéder au blog de travail et utiliser les outils en ligne.

Remarques liminaires

Qui veut se préparer sérieusement au concours, a fortiori s’il est ancien débutant, ne peut prétendre le faire sans travailler le latin pendant l’été.

S’imposent néanmoins quelques remarques :
 pour la plupart, l’horizon de l’ENS est loin.
 leurs objectifs personnels n’intègrent pas le latin comme une priorité.
 le niveau atteint de latin rend difficile la fameuse pratique du petit latin d’autant que les générations actuelles semblent assez peu versées dans des pratiques d’apprentissage rébarbatives.

L’idée nous est donc venue de mettre en place un blog, accessible par tous quel que soit le lieu de vacances. Il devient en effet facile de trouver une connection wifi, un cybercafé, un lieu de connection mis à disposition par les communautés territoriales. Beaucoup possèdent un Iphone ou équivalent. De plus, rares sont ceux qui partent pendant les deux mois. Rien n’empêchait, au pire, d’imprimer certains travaux proposés avant de partir.

Principes retenus

 Le choix des textes

  • Des textes assez simples proposés en ligne sur le site de Philippe Remacle, accessibles à des élèves de lycée, voire pour certains, de collège.
  • Des textes liés au thème du discours, thème aux concours des ENS et de la BEL pour les années scolaires 2009-2011.
    Voir les textes.

 Texte et traduction

  • Les élèves se trouvent dans la situation traditionnelle du « petit latin » avec à disposition le texte latin et une traduction française.
  • En plus : une liste de vocabulaire qui peut les aider à débrouiller le texte. L’idéal est qu’ils apprennent à s’en passer.

 Des outils à disposition : voir le blog

  • Le Gaffiot en ligne
  • Collatinus - logiciel gratuit téléchargeable permettant l’analyse morphologique et lexicale. On peut attendre d’étudiants préparant ce type de concours qu’ils fassent preuve de discernement et sachent en varier l’utilisation pour mieux s’en affranchir.

 Les corrigés : voir le blog

  • Pour chaque texte retenu, une traduction tenant compte au plus près de la structure latine, une analyse syntaxique et des explications grammaticales sont fournies.
  • Les étudiants ont ainsi à disposition de quoi se corriger seuls, analyser leurs erreurs, les comprendre et faire les révisions nécessaires.
Consignes et méthode de travail

 Consignes données

  • Vous entraîner à l’analyse en vous obligeant à faire avec minutie la construction du texte.
  • Vous entraîner à la traduction en établissant votre propre traduction, qui tiendra compte avec précision de la construction.
  • Réviser les points de grammaire qui vous échappent.
  • En rapport avec le texte, apprendre les termes que vous ne connaissez pas et qui se trouvent dans la liste complémentaire [1].

 Travail attendu

  • Un tel dispositif peut ainsi s’adapter au niveau et aux besoins de tous les étudiants.
  • Les étudiants peuvent circuler librement entre le texte latin, la traduction française, l’analyse syntaxique, la proposition de traduction finale.
  • Ils sont ainsi invités à faire porter leurs efforts sur ce qui est essentiel pour eux :
    • révisions grammaticales
    • apprentissage du vocabulaire
    • s’entraîner à l’analyse syntaxique
    • lire et traduire au kilomètre pour s’entraîner à la traduction « cursive ».
Intérêt du dispositif

 Les étudiants sont ainsi invités à travailler régulièrement dans la logique du « petit latin ».
 MAIS

  • Le dispositif s’adapte à tous les niveaux.
  • L’analyse syntaxique et les explications grammaticales fournies permettent aux élèves d’adapter leurs révisions grammaticales.
  • Les textes, présélectionnés, sont adaptés au niveau des étudiants et sont regroupés autour du thème d’étude.
  • Les étudiants ont le droit de soumettre leur traduction au professeur qui leur a indiqué qu’il se connecterait une fois par semaine, le vendredi, pour aider ceux qui en ont besoin.
Bilan

 Un dispositif pédagogique suppose que le professeur le pense et que les élèves y aient recours.
 Dans le cadre d’un accompagnement au travail personnel, pendant les vacances, le dispositif repose inévitablement sur le volontariat des étudiants.
 Le dispositif paraît intéressant ; mais le blog est resté désespérément désert ...
 Reste à trouver des latinistes prêts à s’investir dans une travail personnel de longue haleine pendant les mois d’été. Il sera alors possible d’évaluer si le dispositif est adapté, s’il permet aux élèves de progresser dans de bonnes conditions, s’il faut penser à en modifier le fonctionnement.

Préparer une version

Supports et cadre de travail

 Travail personnel des étudiants à domicile.
 Un ordinateur connecté à internet pour pouvoir accéder au blog de travail et utiliser les outils en ligne.

Remarques liminaires

 Les élèves ont du mal à concevoir et à accepter qu’un travail de traduction suppose la mise en place d’un processus reposant sur plusieurs phases :

  • débrouiller le texte en essayant de comprendre comment le texte s’articule et en recourant au dictionnaire, si nécessaire, 1 pour avoir une idée du sens général du terme, 2 pour consulter la manière dont le terme peut éventuellement se construire. Cette première phase doit permettre de comprendre le sens général et de repérer les points de difficulté majeurs ;
  • procéder à une analyse syntaxique fine, phrase par phrase OU groupe de phrases par groupe de phrases, en élaborant une première approche de traduction, quitte à laisser de côté des passages qui échappent totalement, de façon à saisir la cohérence du texte ;
  • revenir sur les passages de résistance pour essayer de trouver une solution en s’appuyant sur les passages compris en amont et en aval ce qui permet de se laisser porter par la logique d’ensemble ;
  • reprendre la traduction élaborée pour l’améliorer.

 Pendant plusieurs années, pour contraindre les étudiants à ne pas attendre le dernier moment et leur imposer la nécessité de mettre en oeuvre ce processus, j’ai pratiqué « la foire aux questions ». Les versions étant à rendre tous les quinze jours, dans la semaine intermédiaire, une demi-heure de séance était consacrée à cette séance de « foire aux questions » : les étudiants étaient invités à poser toutes les questions qu’ils souhaitaient sur le texte à traduire. Le professeur répondait de préférence par des questions, des conseils, des suggestions pour les mettre sur la piste, les aider à pousser plus loin leurs investigations, leur apprendre à se remettre en cause.

 Les inconvénients de cette pratique :

  • le temps consacré sur les heures de classe - jusqu’à une heure, selon le nombre des questions et l’investissement des élèves ;
  • une séance efficace seulement pour les étudiants ayant effectivement commencé à travailler le texte. Les autres, pour certains points, avaient ainsi des solutions toutes trouvées - une jolie invitation à ne rien faire -, et pour d’autres points, ne pouvaient en aucun cas profiter de ce qui était dit.
La foire aux questions par blog

 Un blog de classe-latin a été mis en place. Une des catégories créées est la catégorie foire aux questions.

 On notera que cette séance de foire aux questions s’adresse aux mêmes étudiants que ceux qui ont boudé le blog de l’été. La première version a été mise en ligne, mais aucun commentaire... Seules ont donc été mises en ligne, dans la suite, la traduction en correction ainsi que l’analyse syntaxique du texte en annexe. Cette première expérience a été suivie d’une mise au point en classe et la deuxième version a été donnée pour la semaine suivante, puisque la classe semblait avoir la faculté de traduire en deux jours, sans temps de préparation ni de réflexion ... Nul n’est besoin de préciser la qualité des traductions rendues pour les deux premières versions.

 On peut consulter les commentaires publiés pour la troisième version.

  • Elle a donné lieu à un échange de commentaires intéressants. Certains élèves ont posé des questions. D’autres ont cherché à répondre à leurs camarades en suggérant une solution, en indiquant ce qu’ils avaient trouvé. D’autres se sont emparé des aides du professeur et ont émis des hypothèses de travail nouvelles.
  • Le blog est ainsi devenu un lieu d’échanges élèves-professeur autour du texte à traduire.
Bilan

 L’utilisation du blog permet de mettre au travail des élèves passifs. En classe, ils se reposent en effet sur la participation des autres.

  • Par le biais des blogs, les élèves timides osent intervenir et peuvent se révéler des éléments moteurs dans la réflexion.
  • Les fainéants qui espèrent profiter du travail des autres sont contraints d’entrer dans le texte. De fait, il est difficile de profiter des informations sans lire l’ensemble de l’échange des commentaires. Et ces derniers sont relativement incompréhensibles si l’on ne prend pas le texte et si l’on ne fait pas l’effort de commencer à entrer dans le texte.

 Le grand mérite d’un accompagnement par le blog est d’inscrire le travail de traduction dans la durée.

  • Pour une version à rendre le lundi, la date limite du mercredi précédent a été imposée pour déposer des commentaires.
  • Le professeur s’est engagé à visiter le blog les mercredi, vendredi et dimanche.

S’impose ainsi aux élèves un rythme de travail qui suppose au moins un travail en deux temps : une première approche du texte pour formuler des questions ou, pour le moins, comprendre les questions des autres ; une deuxième phase d’élaboration de traduction dans laquelle les élèves prennent en compte les remarques, questions et conseils du professeur.

Lecture cursive : atelier de traduction et travail collaboratif

Supports et cadre de travail

 Salle multimédia ou classe nomade
 Connexion internet
 Travail individuel ou par groupe de deux sur un poste, en connexion sur le blog de la classe.

Pourquoi en venir au blog ?

 L’hétérogénéité des élèves, tout particulièrement en langues anciennes, est un poncif. Ainsi, un travail de traduction collectif, en classe, a bien sûr d’autres vertus que l’on pourrait développer ailleurs, mais il contraint le professeur à choisir une des trois options :

  • se caler sur les élèves les plus en difficultés, l’intérêt étant de pouvoir approfondir certains points de grammaire, de revenir sur des difficultés particulières de la langue ; mais la traduction piétine et il est difficile de soutenir l’intérêt et l’attention de la majorité des élèves. A tout le moins, il n’est pas envisageable de reconduire cette option l’année durant.
  • se caler sur les élèves les plus à l’aise ; l’intérêt est d’avancer dans le texte et de pouvoir envisager d’aborder des points de commentaire littéraire. Mais avec combien d’élèves travaille-t-on vraiment ?
  • se caler sur la moyenne de la classe. C’est un pis-aller souvent adopté. Néanmoins, il conduit à ne pas pousser les bons éléments - impensable dans une filière sélective qui a pour finalité de préparer les étudiants à un concours et de conduire chacun au meilleur de lui-même.
    En contre-partie, les plus en difficultés sont laissés pour compte ; il est essentiel de leur donner aussi les moyens de progresser. La BEL donne des perspectives variées, autres que les seuls concours de l’ENS. Travailler le latin dans l’optique du concours des écoles de commerce, filière littéraire, peut être un objectif accessible aux latinistes débutants, dès lors que moyen leur en est donné.

 Faire ce qu’on nomme de la pédagogie différenciée n’est pas en soi une invention - quoique le concept soit encore relativement étranger à l’univers des classes préparatoires ; mais faire travailler les élèves sur des textes différents pose la question de la mise en commun et de l’exploitation du travail pour le groupe classe.

Deux exemples

Un atelier de traduction : Ars dispositio chez Cicéron

 Les objectifs

  • Un objectif littéraire et culturel. Il s’agit d’offrir aux étudiants le groupement de textes le plus large possible pour qu’ils aient connaissance de la plupart des discours d’éloquence judiciaire de Cicéron et pour faire le point, en début de khâgne, sur les techniques de la rhétorique.
  • Une première compétence disciplinaire : apprendre à mettre en place une analyse syntaxique rigoureuse en s’attachant aux difficultés et faiblesses de chacun.
  • Une deuxième compétence disciplinaire : élaborer l’analyse littéraire d’un texte latin.

 Le travail individuel en atelier de traduction

  • Un blog spécifique « atelier de traduction » a été créé sur Blogger. Le choix de la plate-forme google s’explique par le fait qu’il est possible d’avoir accès aux fonctions de couleur, surligneur et police.
  • Sont publiés les textes à traduire ; chaque étudiant se voit attribuer un extrait qui a été choisi par le professeur pour en adapter la longueur et la difficulté au niveau du traducteur.
  • Première séance de 2h : les étudiants ont pour consigne d’établir l’analyse syntaxique du passage qui leur est dévolu et d’établir une première approche de la traduction.
  • Entre les deux séances, les propositions d’analyse syntaxique et de traduction ont été annotées par le professeur sur le blog de travail.
  • Deuxième séance de 2h :
    • les étudiants les plus avancés sont invités à améliorer leur traduction en s’appuyant sur les annotations pour la publier ensuite sur le blog de la classe et de commencer à mettre en place le commentaire littéraire ;
    • Selon les difficultés rencontrées, certains se voient proposer une traduction du type « belle infidèle » pour qu’ils puissent reprendre leur propre traduction en tenant compte des remarques et conseils mis sur le blog.
  • Du blog de travail au blog de la classe
    • Les étudiants doivent avoir proposé leur traduction sous dix-jours et corriger au fur-et à mesure ce qui est demandé avant de recevoir l’autorisation de mettre leur traduction en ligne sur le blog de la classe.

 Prolongements

  • Une analyse littéraire : est demandé aux élèves de proposer une analyse littéraire de leur passage et de le publier sur le blog de la classe ; une date limite est imposée. Un mail prévient le professeur de la mise en ligne ; il annote alors l’analyse sur le blog et demande selon d’apporter des corrections, de développer etc.
  • De façon à obliger les étudiants à prendre connaissance de l’ensemble du groupement de textes, sont programmés :

De l’atelier de traduction individuel à la lecture cursive d’un large extrait : quel idéal pour l’orateur ?

 Objectifs

  • Objectif littéraire : faire lire à la classe, en lecture cursive, de larges extraits de l’Orator.
  • Objectif culturel : faire une synthèse, en s’appuyant sur les théories de Cicéron, sur les critères d’un bon discours et d’un bon orateur.
  • Compétences en langue : proposer un exercice où chaque étudiant est tenu d’élaborer la structure syntaxique d’un passage, d’en justifier devant les autres et de revoir éventuellement ses choix.
  • Compétences en lecture : élaborer la traduction d’un passage de l’Orator.

 Organisation de la séance d’atelier de traduction individuel

 La lecture cursive de l’Orator

  • Un planning est mis en place (consulter la deuxième partie de ce même article - Exploitation de l’Atelier de traduction : lecture suivie sur l’Orator
    PLANNING PREVU
    ) : chaque étudiant sait à quel moment il doit intervenir sur son extrait. Pour ce jour, il doit donc finir son analyse syntaxique et sa proposition de traduction.
  • Pour le jour dit, les autres étudiants doivent avoir lu au préalable un des extraits prévus au programme du jour et avoir fait quelques repérages (temps de préparation maximal = 1 heure - exercice d’entraînement avant la mise en place des premières colles de latin)
  • L’étudiant qui a en charge l’extrait fait la présentation de sa traduction ; les autres sont invités, phrase après phrase à demander des précisions, à contester la traduction, à faire des propositions de correction.

 La mise en ligne sur le blog

  • Chacun a pour mission de mettre en ligne sa traduction et de corriger sa proposition de traduction en fonction des remarques qui auront été faites par les élèves et le professeur lors de la séance en classe.
  • Ces textes ainsi mis en ligne sont autant de passages proposés aux étudiants pour qu’ils puissent s’entraîner dans la perspective du concours blanc.

Blog, didactique et pédagogie du latin

Pourquoi le blog peut-il être un outil didactique pertinent ?

 Lire un texte en langue étrangère suppose de plier son esprit à la logique interne de ladite langue. Les langues dites vivantes tablent sur le processus d’immersion : le professeur conduit son cours dans la langue dite ; les élèves sont confrontés à une multitude de documents de type différent, écrits ou oraux, textes littéraires, articles de journaux ou chansons ; sont mis en place de nombreux dispositifs pour permettre aux élèves de s’approprier la langue dans son fonctionnement et ses idiomatismes, saynètes de théâtre, séances en laboratoire de langue, ... ; s’ajoutent à cela films, documentaires, voyages qui rendent sensibles la civilisation, la culture dont la langue est nourrie et dont elle se fait tout à la fois le vecteur.

 Si l’appropriation orale n’est plus à l’ordre du jour pour les langues de l’Antiquité, demeure indispensable l’appropriation de la langue dans son fonctionnement interne. Comment permettre cette appropriation à des élèves et des étudiants qui ne peuvent consacrer, au total, qu’assez peu d’heures à cet apprentissage et qui, par ailleurs, sont privés, du fait même de la spécificité des langues dites anciennes, de tout processus d’immersion, stricto sensu ? Comment permettre à des étudiants de percevoir les êtres vivants derrières ces fantômes de papier, couverts qui plus est d’une poussière pluriséculaire, de comprendre et de restituer la pensée et les conceptions d’un monde désormais révolu mais dont le nôtre est grandement tributaire ?

 Le blog dans ses fonctionnalités et plus largement le travail en ligne dans ses modalités place l’apprenti lecteur d’une langue ancienne dans une situation d’immersion reconstituée qui favorise une libre circulation entre le texte lu, les outils facilitant l’appréhension de la langue (dictionnaires en lignes - de langue, mais aussi des synonymes et de langue française, précis grammaticaux), les documents historiques, épigraphiques, iconographiques, architecturaux, artistiques ... qui permettent de donner corps à ce qui est dit et de le replacer dans son contexte, les articles encyclopédiques et les études universitaires éventuelles qui permettent de mieux approcher la réalité dont il est question et de mettre le tout en perspective.

Le blog, un outil pédagogique efficace

 Le blog permet de déplacer et d’étendre le lieu et le moment de l’apprentissage.

  • Dans le cadre traditionnel de la classe, et a fortiori de la classe préparatoire, le professeur assume en premier lieu une fonction de transmission du savoir grammatical, lexical, littéraire, historique, culturel lié à la langue de l’antiquité étudiée vis-à-vis du groupe classe.
  • Le blog fournit aux élèves et aux étudiants un lieu d’apprentissage en actes qui confère au professeur une position et une fonction différentes, et par suite enrichissantes pour les élèves et étudiants (cf. § sq.).
  • Le blog s’avère un outil de formation efficace parce qu’il fournit la possibilité d’observer la manière dont l’élève s’approprie les savoirs dispensés, la manière dont il s’en sert aux fins de lire les textes. Le professeur a dans ce cadre une position première d’analyste : il est à même de noter et de comprendre les dysfonctionnements qui interviennent dans la réception, l’apprentissage, l’appropriation des savoirs linguistiques et culturels pour chaque individu.

 Ainsi, utiliser le blog comme espace de travail - que ce soit pour la préparation d’une version ou comme lieu d’atelier de traduction - permet, au gré des commentaires publiés et des corrections apportées, d’intervenir sur toutes les compétences qu’un travail de traduction met en oeuvre :

  • l’analyse morphologique
  • l’analyse syntaxique
  • le lien entre forme grammaticale, valeur et sens
  • le lien entre structure syntaxique et signifié
  • la capacité à utiliser avec pertinence le dictionnaire
  • la capacité à mettre en oeuvre le sens dans la langue de réception

 Donner aux élèves et aux étudiants la possibilité de progresser suppose de pouvoir cerner ce sur quoi ils doivent porter leurs efforts et le cas échéant, si les mécanismes de dysfonctionnement sont nombreux, de hiérarchiser les efforts à fournir.

 Traduire, enfin, comme nous l’avons rappelé dans la paragraphe consacré à la préparation de la version, suppose la mise en oeuvre d’un processus complexe, étalé dans le temps. L’accompagnement par le blog donne la possibilité de rythmer le travail et par là-même d’imposer un parcours de travail qui épouse les modalités de raisonnement à mettre en oeuvre pour donner à entendre au mieux dans le texte traduit le texte d’origine, dans son sens, dans ses connotations, dans son registre et dans son style.

Utiliser un blog en latin et en grec : pour quoi faire ?

Contrairement à ce que d’aucuns veulent croire, il ne s’agit pas de se plier servilement à une mode, ni de tomber aveuglément dans le « tout technologique », ni de contribuer bêtement à la faillite d’un enseignement qui aurait oublié ses missions.

Le blog : un lieu de travail individuel

 Utilisé comme un espace de travail, le blog semble être un outil tout à fait intéressant pour mettre en place une formation à la traduction et plus largement à l’écriture. L’outil suppose en effet une modification essentielle de la position du professeur. Il est placé au coeur même du processus d’analyse, de réflexion et d’écriture que suppose l’élaboration d’une traduction. Il est ainsi à même d’intervenir et d’aider aux différentes phases dudit processus. Le blog se révèle dans ce cadre un outil technique pratique pour mettre en oeuvre une évaluation formative.

 Cela modifie en profondeur le rôle du professeur dans ce type de travail. En soulignant l’impossibilité d’une hypothèse, en attirant l’attention sur un fait de langue ignoré ou oublié, en posant une question que l’élève a oublié de se poser, il pose des jalons qui d’une part conduisent l’élève à infléchir son raisonnement dans le travail présent et qui d’autre part soulignent les étapes à suivre pour mettre en oeuvre une méthode rigoureuse. Le professeur se fait ainsi accoucheur à la mode socratique.

 Le blog est dès lors aussi une manière de renouveler l’exercice de version, entendu comme exercice d’entrainement. De fait, de mémoire de khâgneux, qui n’a pas cherché, au moins une fois, la traduction pour s’aider ? Avec les moyens qu’offre la technologie moderne, les étudiants ont ces traductions sous la main, jusque dans la salle de classe, quitte à ce que ce soit sous le manteau. Cette manière de gérer les versions d’entrainement à la maison peut être un moyen de répondre aussi à la transformation du paysage en contraignant à un travail d’analyse et de réflexion que l’on peut guider, contrôler, évaluer, aussi bien que la mise en forme finale.

Le blog, un lieu de travail collaboratif

 La collaboration est d’abord celle des élèves ou étudiants qui s’entraident dans l’élaboration d’un même travail : la préparation d’une version par exemple. Les questions posées par les uns aident les autres à voir et les obligent à s’interroger. L’échange questions-réponses qui se fait par le biais des commentaires reproduit le processus de questions-réponses que le traducteur doit apprendre à mettre en oeuvre pour bien traduire. Traduire, c’est finalement plus savoir se poser les bonnes questions qu’apporter les réponses. Sauf à faire un jour une trouvaille dont on reste fier, faire un choix de traduction, c’est opter pour la moins mauvaise des solutions trouvées. Dans un tel cadre, le professeur participe à ce travail collaboratif en montrant les faux-pas et en remettant les élèves sur la voie par une question pertinente, pour relancer la réflexion et non pas donner la solution.

 La collaboration se fait aussi par le biais de travaux parallèles qui se complètent. Ainsi, dans les travaux de lecture - « l’Ars dispositio chez Cicéron » ou « Quel idéal pour l’orateur ? »- chaque étudiant travaille un texte différent. La publication sur le blog permet de mettre l’ensemble du travail à disposition de la classe pour le moins, si choix a été fait d’un blog privé, ce qui était notre cas pendant la duré de l’année scolaire.

  • Dans le premier cas, la diversité des textes permet d’illustrer la manière dont Cicéron s’empare des règles de la rhétorique pour construire ses discours. L’intérêt du travail collectif et de la publication sur le blog de la classe est d’étoffer les références littéraires et culturelles de la classe. Les étudiants étaient invités à consulter l’ensemble du dossier pour se préparer à la version sur table et au travail d’analyse littéraire prévu sur un extrait d’un autre discours de Cicéron. La promenade dans les différents discours judiciaires de Cicéron participe en soit à la préparation au concours.
  • Dans le deuxième cas, l’ensemble des extrait de l’Oratoront fait l’objet d’une lecture en classe. Mais dans ce cas, la lecture a été assez rapide ; nous ne nous arrêtions que sur les points de difficulté et aucune note n’était prise par les élèves autres que les points de langue qui étaient abordés au gré de la lecture. En revanche, l’ensemble de la lecture suivie était appelée à être publiée sur le blog. Les étudiants avaient ainsi pour étoffer leurs commentaires littéraires à venir toute une série de références de l’Orator où Cicéron développaient les critères qui font un bon discours et un bon orateur.

 L’intérêt du blog est ici comparable à celui d’un site de classe ou du lycée, d’une plate-forme de publication qu’il s’agisse de moodle ou des ENT. Le blog est en effet, dans le cadre décrit, lieu de publication de nouvelles ressources. Néanmoins, le blog présente l’avantage peut-être d’une gestion des droits et de la mise en ligne par les élèves plus simple. C’est également un microcosme à échelle humaine que l’on peut créer pour une classe donnée. Les élèves sont ainsi invités à investir ce lieu qui est le leur et peuvent se l’approprier.

Notes

[1A partir du Vocabulaire étymologique de Mme Blandine DESCLOQUEMANT a été établi une liste du lexique à acquérir en deux ans sur laquelle la classe a travaillé en hypokhâgne. Sont surlignés les mots déjà appris. Les étudiants peuvent donc facilement repérer les mots les plus importants à acquérir par un travail personnel.

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