Au plaisir des mots : lire, écrire et publier avec Twitter ou de l’art de réfléchir et d’être un élève actif.

, par Delphine Regnard

  • A partir de deux expériences menées cette année dans une classe Tle L et une classe de 2nde, réflexion sur l’usage pédagogique de Twitter.

Présentation (rapide) du réseau social

Twitter est bien moins utilisé que Facebook et est nettement différent dans son fonctionnement. Il s’agit surtout d’un instrument de veille qui permet de s’abonner à des comptes, publics ou privés (avec accord du gestionnaire du compte) de personnes issues non d’un réseau préexistant mais qu’il faut construire. Ainsi, il s’agit non de (re)trouver des « amis » mais de trouver des comptes qui publient (en 140 caractères) des informations de tous ordres : des liens (le plus souvent enrichis de commentaires), des informations, des commentaires, des notes prises à tel ou tel colloque, etc.
Proposer à des élèves de « tweeter », c’est leur proposer de s’astreindre à l’essence même de ce qui fait l’intérêt du Web2.0 :

  1. communiquer dans un format et des règles à suivre, comme dans la société
  2. échanger, partager, aider les personnes contactées sur Twitter
  3. créer (des phrases, des jeux de mots, des commentaires, des analyses...)
  4. réagir, soutenir, contredire de façon réglementée (pas d’abréviation ou très peu, respect de la nétiquette)

Ainsi, apprendre à des élèves à lire, écrire, publier sur Twitter, c’est, de fait, leur apprendre ce qui fait le fondement des Lettres : prendre soin de la situation d’énonciation, accepter d’être lu, être capable de mener une discussion argumentée, apprendre à gérer son attention (passer de tweets à des liens conseillés, puis revenir pour suivre la conversation...).

Le projet

J’ai commencé par créer des comptes de classe : @littlyc pour la TL et @jevousecris pour la classe de 2nde.
Je gérais les codes et permettais aux élèves de venir « tweeter » sur un ordinateur relié à un TNI, sous contrôle de la classe et du lectorat sur le web.

Pour la classe de Tle L, les objectifs déclarés furent la recherche de motivation et l’accompagnement dans leur étude des oeuvres au programme. C’est-à-dire, de façon détournée, les faire lire et écrire par le biais de cette forme de publication, mais aussi les faire débattre : les tweets ont toujours été écrits en salle de classe avec un seul ordinateur, la classe validant le tweet avant qu’il ne soit publié (validation grammaticale mais aussi littéraire).

Pour la classe de 2nde, on a cherché à travailler sur l’aspect collaboratif pour instaurer un meilleur climat de travail et un apprentissage par les pairs. En même temps que la création du compte public de la classe, on a incité les élèves à se créer leur propre compte (une charte précisant qu’il s’agissait d’un compte « professionnel » donc soumis à des contraintes).

Démarche et activités

 Classe de Terminale Littéraire (@littlyc comme « littérature au lycée »)

La première activité a consisté à faire écrire aux élèves des citations tirées de l’oeuvre de Beckett au programme et de les assortir d’un commentaire justifiant leur choix. Puis on a demandé de créer des haïkus qui rendent compte de leur lecture de l’oeuvre Fin de partie. Il s’agissait non seulement de mettre les élèves au travail en les faisant se (re)plonger dans l’oeuvre mais aussi de chercher à les faire s’engager dans leur lecture, leur interprétation, leurs réticences, leurs incompréhensions pour les faire travailler sur des attendus de la dissertation qui ne doit être moins un compte-rendu de cours qu’une proposition de lecture de l’oeuvre.
Très vite, grâce à l’affichage des tweets au TNI, s’est instauré dans la classe un débat sur la qualité de tel commentaire ou du choix de telle citation, si bien qu’en une heure, les élèves ont participé et surtout collaboré bien davantage que dans un cours « frontal » où le dialogue s’instaure davantage entre le professeur et l’élève seulement.

Ensuite, on a pu demander la publication de problématiques : l’examen des tweets postés a permis de rassembler très vite un corpus pour les analyser de façon comparatiste.

Et puis, nous avons fait la connaissance via Twitter du compte @web2_Gaulle : le webmestre est aussi celui du site dédié et est entré en contact avec les élèves, d’abord par des encouragements mais ensuite par des conseils de lecture, et a, enfin, accepté une interview et demandé à des spécialistes du site de répondre aux questions des élèves sur l’oeuvre de de Gaulle elle-même. Sans entrer dans un angélisme naïf, on peut cependant affirmer qu’au moins les élèves ont bien voulu se prêter à l’étude de cette oeuvre déroutante pour eux et ont au moins eu l’occasion d’exprimer leur point de vue, de façon évidemment justifiée et mesurée. Nous avons fait d’autres rencontres, notamment de lycéens extérieurs à la classe et au lycée, dont un qui a été très actif et fut un vrai stimulant pour nos travaux, dans ses propositions et sa façon d’aider par le partage de ses réflexions.

Le compte a également permis de publier des liens vers des sites intéressants pour la réflexion, notamment vers le JogTheWeb que j’avais construit pour accompagner leur étude de Tous les matins du monde (c’est un agrégateur de sites disponibles sur la Toile).
A présent, certains élèves ont choisi de se créer leur propre compte et twittent entre eux, et avec moi. Une élève m’a même confié son stress de twitter avec moi (il lui faut prendre garde à l’orthographe), stress qu’elle n’a jamais ressenti au moment de rédiger ses copies.
Le début des travaux :

 Classe de 2nde (@jevousecris)
On a utilisé le réseau de deux façons : soit dans sa dimension de communication (échanges de tweets de façon publique donc en vue d’être utiles à tous) soit dans sa dimension littéraire (la forme brève).

L’activité de « communication » s’est faite en salle informatique : chaque élève étant concentré devant son ordinateur, il est souvent difficile d’avoir l’attention de tous au même moment. On a donc demandé aux élèves d’ouvrir twitter et de cliquer dans le lien vers l’activité proposée et de rester connectés à twitter pour poser des questions ou recevoir des précisions. Assez vite, les élèves ont commencé à échanger entre eux pour s’aider dans leur travail. Comme ils savaient qu’ils étaient lus par tous et même par d’autres internautes, ils ont prêté attention à la qualité de leurs tweets.

Enfin, on a utilisé le réseau dans des ateliers d’écriture : on a pu leur proposer non seulement l’écriture de haïkus mais aussi de jeux oulipiens comme la réécriture de proverbes dont on prélevait une des lettres (le a, le e, etc) ou des réponses au questionnaire de Proust. Il s’agissait chaque fois de faire écrire le plus possible (non pas dans la longueur mais dans la fréquence) tout en permettant à tous de se lancer dans une écriture parfaite (140 caractères est moins effrayant qu’une copie).
Un exemple d’atelier.

Bilan pédagogique et didactique

  • Loin d’assécher la pensée par la contrainte d’un maximum de 140 caractères (20 de moins qu’un SMS !), l’écriture par tweets développe au contraire l’envie d’écrire : écrire peu à peu n’est pas écrire peu. Elle est surtout le lieu pour réfléchir à ce qu’est une contrainte : le moyen de s’adapter et d’adapter son discours, et donc son projet, et non une barrière qui vient couper le souffle de l’écriture.
  • L’intérêt majeur pour le professeur de Lettres de l’utilisation du réseau social Twitter réside dans la situation de communication : si effectivement le blog permet de publier, il ne permet pas toujours de toucher un lectorat au-delà des élèves de la classe. Or avec un compte twitter public, l’audience peut augmenter vite et les publications être lues, relayées et commentées rapidement à l’échelle de la planète entière (nous pensons à l’interaction avec une professeure de lettres au Québec : son expérience dans Le Café Pédagogique). Surtout, les élèves ont bien compris et ressenti qu’ils écrivaient pour être lus (ils en avaient la preuve tout de suite par des réponses) ce qui a naturellement changé leur rapport à l’écrit durant ces publications : l’attention à la forme fut une de leurs préoccupations majeures, plus seulement la transmission plus ou moins floue de contenu.
  • Un des aspects également très intéressant est la participation de tous les élèves au débat via leurs tweets, même des élèves qui n’aiment pas prendre la parole publiquement mais qui ont cependant un avis qu’ils veulent bien partager.
  • Enfin, et c’est en cela qu’effectivement le professeur de lettres a un rôle fondamental dans l’éducation aux médias (le Web2.0 est participatif et collaboratif), l’expérience a permis de faire collaborer davantage les élèves les uns avec les autres. Ainsi, le changement de posture de l’enseignant a également induit le changement de posture des élèves entre eux : ils furent non pas tant en dialogue avec le professeur dans une position individuelle mais dans un dialogue entre eux, qui cherchait à être constructif.

Sitographie

  • Témoignage de deux élèves.
  • Article paru dans l’Ecole numérique : « Twitter, un réseau social aux problématiques littéraires ? »
  • Dossier « Twittérature » de J.-M. Le Baut pour Le Café Pédagogique.
  • Intervention (n°14) de Christelle Membrey (professeur de lettres) sur le microblogging.
  • Sur Eduscol, des pistes pour l’usage de Twitter en Lettres-Histoire-Géo.
  • Site recensant les différentes Twittclasses

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