Le contrat d’écriture pour le sujet d’invention

, par BERNOLLE Marie-Anne, Chargée de mission pour l’Inspection de Lettres

Introduction : un sujet aux contours encore flous

 A observer les pratiques dans les classes et les travaux d’écriture rendus par les élèves, notamment aux épreuves des EAF, a fortiori à écouter ce que les élèves en disent entre eux ou avec un tiers qu’ils ne ressentent pas comme de partie prenante dans le système scolaire, il apparaît que l’exercice d’écriture d’invention reste encore un peu flou dans la perception que les différents acteurs en ont, flou dans la pratique qui en est faite, flou dans la manière dont le type de sujet peut être présenté et enseigné.

 De fait, la première raison en est l’infini des possibles. Le glissement est aisé du « tout » au « n’importe quoi ». Un « tout » qui embarrasse le professeur pour qui la tâche semble utopique et désespère l’élève sérieux, désemparé, qui ne sait comment se préparer ; un n’importe quoi qui irrite le pédagogue qui s’interroge sur le bien fondé de l’exercice et qui renforce l’élève enclin à le penser dans l’idée que cela ne sert à rien de se préparer.

 La seconde en est la dénomination elle-même. « Ecriture d »invention« . Combien entendent inventio dans »invention«  ? Tout le problème est là. Si l’invention est imagination, l’imagination le fait de donner libre expression à son imaginaire, l’exercice devient rapidement un exercice inintéressant. »Facile !« - pensent certains - »C’est de la tchache !«  ; Le professeur de français aime ça, quand on tchache ! ». D’un autre point de vue, c’est un exercice offert à ceux qui ne savent ni disserter, ni commenter ; exercice qui sanctionne finalement le non savoir écrire des élèves. Exercice pauvre s’il en est, où l’écriture serait sa propre fin, abandonnée à la plume d’un quidam qui ne saurait la tenir.

De la notion d’inventio

La notion d’inventio en rhétorique classique

 Pour remettre l’écriture d’invention en perspective, il n’est pas inutile de revenir aux sources [1] qui permettent de définir l’invention - l’inventio. En rhétorique - définie comme art de l’éloquence - on retient
cinq parties :

  • l’inventio - invention : art de trouver des arguments et des procédés pour convaincre
  • la dispositio - disposition : art d’exposer des arguments de manière ordonnée et efficace
  • l’elocutio - élocution : art de trouver des mots qui mettent en valeur les arguments, soit le style
  • l’actio : diction, gestes, posture de l’orateur, etc.
  • la memoria : procédés pour mémoriser le discours.
    La rhétorique a d’abord réglementé la communication orale, avant de concerner la communication écrite et de désigner un ensemble de règles (formes fixes) destinées au discours. 

 Nous proposons, eu égard à notre sujet, de nous arrêter sur la seule invention. Elle est considérée comme la première des cinq grandes parties de la rhétorique que l’on distingue généralement. Elle regarde essentiellement la matière à traiter dans le discours. Elle suppose ainsi de s’intéresser non seulement au contenu, mais aussi aux moyens de mise en oeuvre, quid et quo modo dicamus - « ce que nous disons et comment nous le disons » [2]. En restant dans le genre de l’éloquence judiciaire - premier genre auquel la réflexion théorique s’est appliquée - il s’agit donc d’une part de traiter dans le discours ce qui est directement commandé part la cause, et d’autre part de réfléchir aux procédures discursives et logiques à suivre de façon à développer au mieux le discours en fonction de la fin poursuivie.

 Pour ce qui est du contenu, il n’est pas inutile de réécouter ce que nous dit Quintilien, quand bien même au premier abord on pourrait croire à une lapalissade :

Omnis vero sermo, quo quidem voluntas aliqua enuntiatur, habeat necesse est rem et verba.

Et tout discours, puisque par ce moyen s’énonce l’avis de quelqu’un, contient nécessairement une pensée et est fait de mots.

II. Ac si est brevis et una conclusione finitus, nihil fortasse ultra desideret : at oratio longior plura exigit.

S’il est court et se résume à une seule période oratoire, il pourrait sans doute ne rien nécessiter de plus ; mais un discours plus long requiert d’autres choses.

Non enim tantum refert quid et quo modo dicamus, sed etiam quo loco : opus ergo est et dispositione.

En effet, n’importe pas seulement ce que nous disons et comment nous le disons, (...). [3]

Ainsi, l’inventio, c’est réfléchir à la pensée que l’on entend développer et aux mots pour l’énoncer, c’est réfléchir à ce que l’on va dire et à la manière dont on va le dire.

 Pour ce qui est de la manière, de la mise en oeuvre, la rhétorique classique distingue :

  • les formes de raisonnement
     [4]
  • les genres de raisonnement [5]
  • les défauts des argumentations [6].
  • la façon de trouver des argumentations soit les lieux (loci) [7].
  • la façon de trouver les arguments pour certaines causes, parmi lesquelles sont distinguées la cause délibérative [8], la cause démonstrative [9], la cause conjecturale.

De l’inventio en rhétorique classique à l’invention dans l’écriture

 La spécificité des définitions et le lien étroit entretenu notamment avec la pratique qui s’imposait alors de l’éloquence judiciaire ne peuvent échapper. Mais il s’agit par suite de s’interroger sur la manière dont ces définitions peuvent nous aider à fonder l’exercice d’invention, intellectuellement et méthodologiquement. En adaptant par analogie les préceptes de la rhétorique, il est possible d’en déduire les préceptes qui doivent présider à l’exercice d’écriture d’invention.

 Quels préceptes donc pour l’écriture d’invention ?

  • Tout écrit d’invention est discours, au sens général du terme, et partant, ce discours, puisque par ce moyen s’énonce l’avis de quelqu’un, contient nécessairement une pensée et est fait de mots. L’écrit d’invention se doit en tout premier lieu d’avoir un contenu, d’être porteur d’une pensée. Au même titre que la dissertation, l’écrit d’invention suppose la défense d’une position, d’une thèse.
  • Comme le souligne Quintillien, « ce que nous disons et comment nous le disons » vont de paire. L’écrit d’invention requiert que l’on réfléchisse certes à ce que l’on va dire, à la pensée que l’on entend développer, mais aussi à la manière dont on va le dire, aux mots pour l’énoncer. L’écrit d’invention est travail d’écriture, au même titre que la dissertation et que le commentaire, mais selon des modalités différentes qu’il nous appartient de développer maintenant.
  • On passera aisément des formes de raisonnement aux formes de discours. La particularité de l’écrit d’invention est donc de pouvoir emprunter toutes les formes de discours - argumentatif, narratif, descriptif - et toutes les formes de texte - déclaratif, injonctif, exclamatif, déprécatif ...
  • De même, les théoriciens de la rhétorique antique évoquent les différents genres de raisonnement ; parallèlement, l’écrit d’invention peut relever de tous les genres : roman, poésie, théâtre.
  • Parallèlement aux loci de l’argumentation, s’est développé en littérature le concept de « lieu littéraire ». L’écrit d’invention peut au gré de l’énoncé, investir des lieux littéraires variés : le dialogue, la lettre, l’article de journal, la lettre ouverte, ...
  • Les théoriciens antiques posaient que la nature de la cause prédisposait du type d’argument à convoquer ; l’écrit d’invention est de même un écrit à figures imposées dont les arguments (comme on dit l’argument de la pièce) sont à trouver en relation avec l’objet d’étude.

Le contrat d’écriture

Proposer une grille d’analyse

 Il en ressort que l’énoncé d’un sujet d’écriture d’invention propose une sorte de contrat qu’il nous appartient d’apprendre aux élèves de décrypter.
Pour ce faire, peut se mettre en place une grille d’analyse assez simple :

  • Objet d’étude auquel se rattachent le sujet et le corpus
  • Thème à développer
  • Genre littéraire
  • Type de discours
  • Situation d’énonciation
  • Type de texte (lieu littéraire)
  • Registre

 

en ont d’étude auquel appartient le corpus
Théâtre / réécriture
Genre du texte à produire
Peut présenter une dimension théâtrale
Type de texte à produire
Texte argumentatif
Système d’énonciation

Registre
Lyrique - polémique
Thème(s) imposé(s)

Visée
Conduire une accusation contre … (non spécifié par l’énoncé)
Justifier sa haine contre Phèdre
Connaissances à convoquer
Mythe de Phèdre
On notera que les cases qui ne peuvent pas être remplies en s’appuyant sur l’énoncé soit sont à barrer car non pertinentes pour le sujet donné, soit constituent les parts de liberté et de création.
Les élèves réalisent ainsi facilement une sorte de contrat d’écriture

Notes

[1Sources :
 Henri Bornecque sur le site de mediterranees.net
 Cicéron De l’orateur : le Livre II confié à Antonius donne les préceptes relatifs à l’inventio, la dispositio et la memoria ; le Livre III, confié à Crassus, porte sur l’elocutio et l’actio.
 Quintilien L’institution oratoire : les livres III-VII présentent les méthodes permettant de trouver les idées (inventio) et de les ordonner (dispositio).
 La Rhétorique à Herennius

[2Quintilien l’Institution oratoire

[3Quintilien l’Institution oratoire

[4inductio, raisonnement par analyse
ratiocinatio, raisonnement déductif, y compris le syllogisme.
Les parties de la ratiocinatio sont au nombre de cinq dans la Rhétorique à Hérennius aussi bien que dans le de Inventione, mais ces parties ne sont pas absolument les mêmes dans les deux ouvrages.

[5C’est le de Inventione qui s’en occupe au Livre I (§ 44 et suiv.). Le raisonnement est irréfutable (necessaria) ou simplement plausible (probabilis).

[6Cf. de Inventione, Livre I, § 89

[7Lieux inhérents à la chose et Lieux extrinsèques

[8Les arguments, d’après la Rhétorique à Hérennius (III, 2 et suiv.) varient suivant que l’on hésite entre deux solutions ou plus, et aussi suivant que les délibérations ont pour but l’objet même proposé, un autre ou les deux.

[9La Rhétorique est seule à en parler doctrinalement (III, 10 sqq.). Elle distingue res externae, res corporis, res animi.

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