Réflexion sur l’hypertexte

, par BERNOLLE Marie-Anne, Chargée de mission pour l’Inspection de Lettres

On appelle « hypertexte » tout texte traité par informatique dans lequel on a inséré des liens dynamiques permettant donc une navigation interactive d’un document à un autre.
Nous nous plaçons, pour conduire cette réflexion, dans le cadre exclusif du français (et non pas des langues anciennes) parce qu’il y aurait d’autres questions en jeu.

Introduction : de l’hypertexte

 L’article d’Educnet consacré à l’hypertexte propose un certain nombre d’éléments de réflexion et les références nécessaires pour approfondir la réflexion sur le sujet.

 On trouvera sur le site de l’IUFM de Grenoble une présentation des différents types d’hypertextes. Sans avoir un point de vue techniciste, le détour peut être intéressant pour avoir conscience de l’objet numérique auquel on est confronté ou de la difficulté de réalisation que l’on demande aux élèves, selon les consignes données, lorsqu’on leur demande d’élaborer un hypertexte.

 Enfin, un séminaire national de lettres s’est déroulé les 22, 23 et 24 novembre 2010 à la BnF : « Les métamorphoses du livre et de la lecture à l’heure du numérique ».
Les actes vidéo du séminaire sont maintenant accessibles sur Eduscol.

De l’hypertexte ’texte-ressource’

Nous nous intéressons ici à un type spécifique d’hypertexte : celui qui présente sous forme d’hypertexte des oeuvres d’auteur ; ce que nous nommons ’texte-ressource’. Il s’agit donc d’hypertextes préfabriqués mis à la disposition des professeurs et des élèves.
Quel est l’intérêt de ce type d’hypertexte ? entre-t-il en concurrence directe avec le texte brut ? avec le livre papier ?

Construction d’images mentales

Lire suppose la construction d’images mentales au fur et à mesure de la lecture qui permettent de donner sens à ce qui est lu. On est ainsi en droit de se demander ce que certains de nos élèves se construisent comme représentation - sans avoir pour autant l’impression de ne pas comprendre le texte - lorsque Balzac fait se promener un personnage masculin en justaucorps ou mieux encore en culotte de soie noire. Gare s’ils s’aventurent à faire une recherche par google ! Que dire de cette femme couverte de mousseline, de cette autre arborant une mouche et d’une troisième assise sur un crapaud ?

La facilité avec laquelle le lecteur construit et adapte ses images mentales dépend des références culturelles qu’il a déjà engrangées. Lire c’est savoir donner sens et faire en sorte que le texte fasse sens, de façon pertinente, en situation, selon l’époque et le contexte historique, culturel, idéologique de rédaction, les intentions de l’auteur, le sens possible du terme en collocation ... Il paraît ainsi intéressant, à l’heure du numérique, de proposer des hypertextes qui aideront les élèves à se construire des représentations mentales de façon pertinente et efficace.

Comment penser l’hypertexte

L’idée est de proposer des hypertextes réfléchis qui ont sélectionné un ou deux types de difficultés que l’on entend lever ou alléger par l’hypertextualité.

A prendre l’exemple de l’hypertexte Sarrasine, plusieurs choix ont été faits.

  • Les aides de type lexicographique restent réduites. Ont été retenus soit des mots particulièrement peu courants et qui pouvaient peser lourdement sur la compréhension du texte, soit des termes pour lesquels l’hyperlien vers un ou des dictionnaires permettrait de faire faire un véritable travail lexicographique. L’idée est parallèlement d’encourager le recours au dictionnaire, qu’il soit papier ou numérique. Les quelques liens existants sont dans cette perspective le signe envoyé aux élèves que le détour par le dictionnaire est une démarche normale et une étape nécessaire pour tous dans la construction du sens du texte.
  • Par ailleurs, nombre de termes donnent accès à des liens proposant des illustrations - le justaucorps, la crêpe, la moire, la crécelle ... L’objectif est que les élèves puissent se construire des représentations mentales par l’image. A cette fin, les illustrations choisies tiennent compte de l’époque du narré, 1758, et de l’époque de la narration et de l’écriture, 1830. Il s’agit donc de reconstruire par l’image la réalité concrète et visuelle à laquelle l’auteur fait référence et qui échappe souvent totalement à nos jeunes lecteurs. Il s’agit également, comme pour la moire, d’illustrer par l’image, les effets visuels et de faire ressentir les connotations qui peuvent être attachées au terme.
  • Enfin, beaucoup de liens renvoient à des dossiers informatifs dont les exploitations peuvent être multiples :
    • Construction de la culture générale des élèves : par exemple, les articles d’insecula.com explicitant le parcours des artistes cités et donnant à voir un certain nombre de ses œuvres, même si ces informations sont en soi superflues pour la stricte compréhension de l’énoncé.
    • Explicitation du contexte social, historique, culturel de façon à aider les élèves à apprécier la manière dont Balzac recrée, réinterprète, sublime la réalité qu’il donne à voir aux lecteurs, la manière dont il en joue aussi à ses fins et au service du fonctionnement du récit.
    • Données culturelles diverses appelées par le texte qui peuvent donner lieu à des exploitations pédagogiques variées dans le cadre de la séquence selon les objets d’étude retenus et les compétences que l’on veut mettre en oeuvre, dans le cadre de l’Enseignement d’Exploration de seconde, dans le cadre de l’Histoire des Arts. Il ne s’agit pas en effet de fractionner l’enseignement et de superposer les « matières » à enseigner, mais de croiser les différentes perspectives autour d’une même œuvre, d’un même projet de travail.

Texte papier et hypertexte

Il ne s’agit pas de rendre les élèves passifs en donnant à l’hypertexte ce rôle fondamental de l’élaboration des images mentales, comme s’il y avait un transfert du cerveau à l’ordinateur. Aussi bien il ne s’agit pas de remplacer uniment le livre par l’hypertexte. Il ne s’agit pas non plus de construire un hypertexte au maillage à ce point serré que toutes les difficultés, de quelque ordre que ce soit, seraient levées ; mais à quel prix ? Au prix de la lisibilité elle-même et au prix de ce travail intellectuel qui fonde l’acte même de lire.

L’hypertexte paraît à entendre comme complémentaire au livre papier. Le livre papier suppose en effet une lecture dans la linéarité de l’écriture, une confrontation à la phrase, à l’écriture dans sa continuité. Il laisse le lecteur livré à lui-même face à l’écrit. Expérience qui conduit parfois à l’abandon, à l’incompréhension, mais expérience indispensable qui permet de faire l’œuvre sienne. On la tient, on la possède, on l’enserre. La lecture du livre papier est cheminement le long d’une route, pas toujours droite, selon les choix narratifs faits par l’auteur, mais balisée par lui. Le lecteur est en partie le jouet de l’auteur quoi qu’il en ait.

On pénètre dans l’hypertexte ; on déambule ; on part et on revient ; on s’enfonce, on erre, on se perd aussi. La lecture par l’hypertexte est un cheminement qui se fait sous la forme d’un labyrinthe dont ni l’auteur du récit, ni l’auteur de l’hypertexte, ni le lecteur-visiteur sont entièrement maîtres. Le rôle du professeur dans cette relation de l’élève au texte par le biais de l’hypertexte est de baliser le parcours pour que le labyrinthe ait une entrée et une sortie.

Exploitation pédagogique de l’hypertexte

Comment exploiter ce type d’hypertexte ? comment et quand le faire lire aux élèves ? comment l’exploiter en classe ?

Lecture et relecture

Lire, c’est relire. A fortiori, par le biais de l’hypertexte.

  • Dans le cadre de la lecture et de l’étude d’une œuvre complète, la lecture indépendante sur œuvre papier peut s’apparenter à la lecture-découverte, celle par laquelle le lecteur découvre de quoi il s’agit, ce qu’il se passe, ce que cela raconte. Tout particulièrement dans le cas d’œuvres courtes comme Sarrasine. La lecture par hypertexte sera une lecture séquencée, en lien avec le travail fait en classe. Le travail préparatoire donné avant la séance peut inclure la relecture du passage sous forme d’hypertexte, associé à des questions qui inviteront à utiliser les liens existants. Ainsi, une séance centrée sur le personnage du vieillard peut être précédée d’un travail préparatoire invitant à visiter un certain nombre de liens prévus qui permettent de saisir toutes les métaphores et les univers convoqués par Balzac pour conférer au vieillard une aura mystérieuse.
  • A contrario, s’il s’agit d’une lecture cursive, donnée en complément, une œuvre se présentant sous la forme d’un hypertexte peut être l’occasion d’une lecture promenade, lecture gambade, lecture découverte, lecture buissonnière où les liens dynamiques sont autant d’occasion de s’évader pour mieux revenir au texte, plus fort, avec des images et des idées nouvelles dans la tête qui enrichiront et nourriront le texte. Quitte à ce que lecteur s’échappe ; si c’est pour s’immerger dans le dossier de présentation de l’opéra Tancredi de Rossini, qui s’en plaindra ?

Un outil pédagogique pour la lecture analytique

Au-delà, l’hypertexte est un outil pédagogique pour initier à la lecture analytique d’un texte littéraire. Comme le texte, dans ce système d’hypertexte, est un noyau pris au sein d’une toile d’araignée de liens, tout texte littéraire entre en résonance avec les textes qui lui préexistent, coexistent ou le suivent ; il entretient toujours une relation complexe avec l’auteur qui lui a donné le jour, l’époque qui l’a vu naître, l’idéologie, les mouvements culturels, les débats du temps ; il met souvent en abyme une époque qui n’est plus, exhume du passé des personnages, des lieux, des événements. L’hypertexte est un moyen de rendre visible cette « entrée en résonance » et donne à voir dans sa matérialité même le réseau de références dans lequel l’œuvre s’inscrit, avec lequel l’auteur joue. L’hypertexte remplit ainsi une fonction propédeutique et didactique : préparer le lecteur à la lecture approfondie du texte littéraire auquel il est confronté et lui apprendre à décoder les références.

Un tremplin

L’hypertexte est enfin le point de départ d’exploitations innombrables au gré de l’imagination pédagogique.

Pour l’étude du lexique

Tous les liens d’ordre lexicographique peuvent donner lieu à des séances autour du lexique : qu’il s’agisse d’apprendre à compulser les dictionnaires, de les comparer, de se rendre compte que le sens en contexte échappe aux significations données dans le dictionnaire, de prendre conscience que le sens retenu en contexte n’est pas exclusif des autres significations du terme et que ce faisant elles sont convoquées dans le texte sous forme de connotations. Il est à noter que nous avons rencontré dans Sarrasine quelques excellentes occasions de faire un travail intéressant et qu’il est à parier que c’est le cas, quelle que soit l’œuvre.

Pour des études transversales et thématiques

Le texte numérisé facilite le relevé des passages intéressants pour la lecture thématique prévue, leur classement, leur présentation en tableau, la possibilité de récupérer les relevés des élèves pour faire un travail collectif, notamment avec l’usage du TNI.

Le travail sur les liens permet :
 d’éclairer le texte et de rendre les élèves plus sensibles à l’intérêt d’une notation ou d’une autre pour l’étude thématique. Ainsi, dans Sarrasine, tous les liens renvoyant à l’univers du merveilleux, du fantastique, de l’étrange, se répondent et contribuent à construire le personnage du vieillard en en faisant un être bizarre, chargé de mystère, éveillant la curiosité et réveillant les hypothèses les plus imaginatives.
 de constituer des dossiers de références permettant l’organisation de travaux de recherches que l’exploitation finale en soit des exposés, la constitution d’un blog, la réalisation de dossiers personnels pour la préparation d’une épreuve orale d’entrainement à l’entretien...
L’étude de Sarrasine peut se trouver prolongée par des recherches :

  • sur l’évolution de la mode du milieu du XVIIIème siècle, en relation avec la description du vieillard vêtu d’une manière un rien féminisée et surannée.
  • sur la société parisienne en 1830, en relation avec une étude du réalisme balzacien : loisirs, vie culturelle, pensées politiques...
  • sur les mouvements littéraires, culturels et artistiques qui s’entrecroisent et coexistent en 1830 : le Romantisme, le Réalisme naissant, le goût pour l’étrange, le bizarre qui trahit l’influence en France de l’esthétique gotique très présente dans la littérature anglaise et allemande, les prémices du japonisme ...
  • sur l’opéra italien au XVIIIème siècle, l’importance et le destin des castrats dans la musique du XVIIIème siècle en lien avec Zambinella.
    ...
     Nombre de perspectives mises en lumière par les liens dynamiques peuvent ainsi être la pierre angulaire d’un parcours complémentaire - qu’il relève de l’histoire des Arts, de l’Enseignement d’Exploration, voire de l’Enseignement Personnalisé :
  • apprendre à travailler avec un dictionnaire, revoir le fonctionnement du lexique (sens premier, sens dérivés ; sens propre, sens figurés ; polysémie ; dénotation, connotation etc...)
  • parcours autour de l’acte de création, la création artistique, pour une classe de seconde intéressée par la découverte des métiers artistiques, des métiers de la médiation culturelle, de la protection du patrimoine etc...
  • travail Histoire des Arts sur le dialogue entre littérature et musique.

Les hypertextes proposés sur notre site sont libres de droit, sauf à citer l’auteur initial et sa provenance par courtoisie.
Il est ainsi possible de les copier, de les découper pour ne retenir que certains passages avec leurs liens pour créer des documents avec des liens dynamiques pour conduire une séance donnée.
L’hypertexte peut être complété, enrichi ; ainsi les travaux demandés aux élèves, pour peu de les demander sous une forme numérique, peuvent eux-même donner lieu à un lien dynamique à partir de l’hypertexte. Ainsi l’hypertexte texte-ressource devient une invitation à faire produire aux élèves d’autres hypertextes, des blogs, des dossiers iconographiques, des diaporamas qui seront autant de documents venant enrichir l’hypertexte initial...

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